Henri Cazalis, né à Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise)
le 9 mars 1840 et mort à Genève (Suisse)
le 1er juillet 1909, est un médecin et poète symboliste français.
Il se fit connaître sous le pseudonyme de Jean Caselli et,
surtout, de Jean Lahor.
Il est enterré à Ferney-Voltaire.
Le mystère
Ô nuit, ô belle nuit, pâle comme sa chair
:
Je rêve au passé mort, je rêve au passé
clair...
Je revois ta chair pâle, et rêve aux
heures mortes,
Où notre joie, où notre extase étaient si
fortes !
Le rossignol des nuits d'alors ne chante
plus :
Je songe à tes grands yeux qui m'étaient
apparus.
Et je songe à ta voix angéliquement
tendre,
Que jamais, oh ! jamais je ne dois plus
entendre,
Aux baisers de ta voix si mortellement
doux,
Aux délices des soirs passés à tes genoux
!...
Et je pense à la mort, et je pense à la
tombe,
Qui fut scellée un jour sur ma pâle
colombe ;
Et je cherche où s'en vont ceux qui s'en
sont allés,
Ces regards, ces soupirs, ces parfums
envolés.
Je réclame ton âme invisible à l'espace :
Ton âme est-elle errante en ce souffle
qui passe ?
Et je porte à ma bouche et je baise une
fleur,
Où je sens ton haleine et revois ta
pâleur.
Ton âme revit-elle en ce frisson d'étoile
?...
Morts, pourquoi le mystère horrible qui
vous voile ?
Ô nos morts bien aimés, où disparaissez-vous
?
Serions-nous vos tombeaux ? N'êtes-vous
plus qu'en nous ?
Serais-tu tout entière, hélas ! ensevelie
Dans ce cœur d'un amant qui,
vieillissant, t'oublie ?
- Nuit chaude, ô nuit aimante, et pleine
de soupirs,
Je songe à ce néant de tous nos grands
désirs !
Jean Lahor
L’illusion
« Il fut un moment dans la vie des choses où tout dormait en
germe dans l’œuf d’or du Soleil, ma vie, celle de tous les êtres, fils de la
Terre, les mondes organique et inorganique, les océans, les continents, les
forêts, le bien et le mal, les cieux et
l’enfer d’ici-bas, et la
Lune et les autres Terres, filles du Soleil, avec leur évolution vitale, leur
longue histoire, splendide ou sombre. Or de naissance en naissance nous pouvons
remonter jusqu’à Dieu, et jusqu’à cette heure première, où tous les Mondes,
toutes les Voies lactées, toutes les énormes Nébuleuses, reposaient aussi,
comme des rêves près d’éclore, dans la nuit muette de son cerveau. »
« À
un moment, dans l’homme, la matière se fait cerveau, — et se souvient alors de
toutes ses transmigrations du passé, et de ses voyages éternels ; et
qu’elle a été plante, oiseau, bête au fond des forêts, atome au fond de
l’infini. »
« La Pensée de Dieu,
repliée en elle-même, comme l’électricité dans les nuages, par instants éclaire
l’infini de fulgurations soudaines, qui sont les créations transitoires. »
« Rien n’est simple,
tout est complexe, tout est étrange ici-bas.
Si l’on avait quelque profondeur dans l’analyse, on verrait que le moindre
atome sort de l’éternité et de l’infini, et a fait pour arriver jusqu’à moi,
dans ma main qui écrit ou mon cerveau qui pense, un chemin plus long que d’ici
au Soleil ou à la plus reculée des étoiles. On ne voit guère aujourd’hui
que la surface des choses ; on ne voit pas l’abîme qui est sous elles,
l’abîme de causes et d’effets, de mouvements, de courants sans fin, de flux et
de reflux qui les ont fait un jour s’élever à la surface. »
« J’étais avant ma
naissance, et j’étais avant la naissance des choses ; j’étais avec la
matière infinie ; chaque atome de mon corps errait à travers
l’infini ; et ma pensée flottait dans l’abîme de la Pensée divine,
aspirant à la vie, à la liberté, à la solitude, — comme ces êtres plongés dans le fond de la mer,
et qui lentement tendent vers la surface lumineuse… »