Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans
les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe
menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à
mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête
nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai
rien :
Mais l'amour infini me montera dans
l'âme,
Et j'irais loin, bien loin, comme un
bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une
femme.
Arthur Rimbaud, 1870
Ma
bohème
Je m'en allais, les poings dans mes
poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal,
J'allais sous le ciel, Muse ! et
j'étais ton féal;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides
j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large
trou.
- Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans
ma course
Des rimes. Mon auberge était à la
Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux
frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des
routes,
Ces bons soirs de septembre où je
sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de
vigueur;
Où rimant au milieu des ombres
fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près
de mon cœur !
Arthur Rimbaud, 1870
Le Dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une
rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête
nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort.
Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa
narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud, 1870
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