Né en 1954, Philippe Mac Leod réside dans les Pyrénées, où il
mène une vie contemplative depuis plusieurs années. Née de la rencontre du ciel
et de la terre, sa poésie traduit la quête de transparence qui est au cœur de
son expérience spirituelle. Il a publié deux recueils de poèmes aux éditions Le
Castor astral : La Liturgie des saisons (Prix Max-Pol Fouchet 2001) et Le Pacte
de lumière (2007). Aux éditions Ad Solem, vient de paraître L’Infini en toute
vie (2008), une suite de méditations sur les chemins de montagne, pour faire
descendre en nous le murmure des hauteurs.
Le ciel intérieur
par
Philippe Mac Leod
« Nous
sommes si raides, notre enveloppe est devenue si dure, que nous ne parvenons
plus à rejoindre ce fond de bonté première qui dort en chacun de nous. »
Tu partiras de plus loin
Vois-tu, ce qu’on appelle le moi n’est peut-être
qu’une excroissance, la cristallisation de tout ce qui nous préoccupe dans une
pauvre journée. Ce à quoi nous nous identifions : nos soucis, nos
insatisfactions, nos réponses aux circonstances, aux évènements dans un rapport purement réactif au monde, en
fonction, bien sûr, de la loi quasi immuable du principe de plaisir et
déplaisir. En ce sens, et contrairement à l’évidence commune, le moi (ce que
nous appelons le moi) n’est pas au-dedans de nous, mais totalement au-dehors,
dans l’image exposée, blessée ou caressée, amoindrie ou exaltée ; une sorte de pur
fantasme, une représentation de soi dans une représentation du monde.
Tu dis que j’exagère. Sans doute, mais si peu.
Regarde de plus près, et vois combien, en prenant appui sur le monde extérieur
plus qu’en toi-même, tu te compares, tu te focalises sur tant de détails
insignifiants, tu surinvestis tes activités, tu te distrais, tu te disperses,
tout cela parce que ton centre de gravité se trouve là où est ton cœur,
c’est-à-dire dans un attachement excessif aux autres ou aux choses, qui te
rassurent sur ton existence. Mais celle-ci n’est rien, ne recouvre en réalité
qu’une infime partie de toi-même. Tu te consumes pour un vernis qui avec le
temps s’épaissit et se durcit. Il nous protège tout autant qu’il nous expose.
Parce que nous y sommes tout entiers, l’apparence surinvestie devient notre
substance.
Bien sûr, il y a tout ce qu’on ne peut pas montrer,
notre part obscure, nos petites laideurs, mais tout cela, c’est encore le
paraître. Nous sommes si raides, notre enveloppe est devenue si dure, que nous
ne parvenons plus à rejoindre ce fond de bonté première qui dort en chacun de
nous. Et chaque fois que j’en reprends conscience, je ne puis retenir mes
larmes, un flot de larmes brûlantes, de joie tout autant que de contrition,
comme un mur qui fond, comme si elles seules pouvaient me guérir.
Que nous faut-il donc faire ? Rompre avec le monde,
résolument, courageusement, dans une sorte de basculement qui nous oblige à
reprendre appui en nous, là où nous n’existons pour rien d’autre, personne
d’autre que Dieu, sans comparaison, sans référence aucune. Et alors, mais alors
seulement, comme un faisceau s’élargissant à partir d’une source lumineuse,
retourner vers le monde, retourner vers les autres, les choses, qui ne sont pas
là pour notre propre satisfaction mais pour être illuminés du regard de Dieu
capable de nous traverser.
La libération, la délivrance ressemblent toujours à
une grande respiration. Le bonheur vient d’une dilatation, de cette sensation
de souffle libéré, comme un grand recul au fond de soi, un immense reflux du
moi naturel, qui faisait écran à la réalité invisible, à la présence de Dieu
comme à la grandeur du monde. Il suffit parfois d’une toute petite baisse de
tension dans nos gestes pour sentir l’infini nous envahir, nous déborder. Nous le
tenons serré, comprimé comme un gaz volatil dans une boîte verrouillée. Nous ne
vivons que pour et par notre image, il n’est pas étonnant que notre existence
soit si étroite, que le visible ne dépasse pas l’immédiateté, sans échappée,
sans réelle perspective.
Pour en finir avec notre moi illusoire, il nous faut
apprendre à être plus présents intérieurement. Toujours tournés vers
l’extérieur, mais en partant de plus loin. Agir, voir, à partir de ce lieu
caché où je ne suis plus seulement moi, c’est-à-dire l’ensemble de mes
préoccupations, la pression de mon histoire, de mes souffrances, mais l’être de
tous les êtres, le souffle où je peux entendre tous les souffles, le cœur
battant et captivant de ce mystère inépuisable d’être au monde.
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