DIEU
« Que ce poème au vol de feu
Effleure le siècle où nous sommes,
Qu'il passe vite et brille peu,
Et qu'à travers l'oubli des hommes,
Sombre, il
s'en retourne vers Dieu. »
L'univers, c'est un
livre...
L'univers, c'est un
livre, et des yeux qui le lisent.
Ceux qui sont dans la
nuit ont raison quand ils disent :
Rien n'existe ! Car
c'est dans un rêve qu'ils sont.
Rien n'existe que lui,
le flamboiement profond,
Et les âmes, les grains
de lumière, les mythes,
Les moi mystérieux,
atomes sans limites,
Qui vont vers le grand
moi, leur centre et leur aimant ;
Points touchant au
zénith par le rayonnement,
Ainsi qu'un vêtement
subissant la matière,
Traversant tour à tour
dans l'étendue entière
La formule de chair
propre à chaque milieu,
Ici la sève, ici le
sang, ici le feu ;
Blocs, arbres, griffes,
dents, fronts pensants, auréoles ;
Retournant aux cercueils
comme à des alvéoles ;
Mourant pour s'épurer,
tombant pour s'élever,
Sans fin, ne se perdant
que pour se retrouver,
Chaîne d'êtres qu'en
haut l'échelle d'or réclame,
Vers l'éternel foyer
volant de flamme en flamme,
Juste éclos du pervers,
bon sorti du méchant,
Montant, montant,
montant sans cesse, et le cherchant,
Et l'approchant
toujours, mais sans jamais l'atteindre,
Lui, l'être qu'on ne
peut toucher, ternir, éteindre,
Le voyant, le vivant,
sans mort, sans nuit, sans mal,
L'idée énorme au fond de
l'immense idéal !
La matière n'est pas et
l'âme seule existe.
Rien n'est mort, rien
n'est faux, rien n'est noir, rien n'est triste.
Personne n'est puni,
personne n'est banni.
Tous les cercles qui
sont dans le cercle infini
N'ont que de l'idéal
dans leurs circonférences.
Astres, mondes, soleils,
étoiles, apparences,
Masques d'ombre ou de
feu, faces des visions,
Globes, humanités,
terres, créations,
Univers où jamais on ne
voit rien qui dorme,
Points d'intersection du
nombre et de la forme,
Chocs de l'éclair
puissance et du rayon beauté,
Rencontres de la vie
avec l'éternité,
Ô fumée, écoutez ! Et
vous, écoutez, âmes,
Qui seules resterez
étant souffles et flammes,
Esprits purs qui mourez
et naissez tour à tour :
Dieu n'a qu'un front :
Lumière ! et n'a qu'un nom : Amour !
Victor HUGO
(1802-1885)
Dieu - poème inachevé posthume
(1891)
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