mercredi 19 février 2014

La question de la réincarnation



La question de la réincarnation


Une âme, plusieurs corps : la question de la réincarnation


Par J. Allan Danelek
(25 décembre 2010)

Que se passe-t-il quand nous mourons ? C'est une question que tout le monde finit par se poser à un moment ou un autre de la vie. Elle transcende les frontières raciales, sociales, politiques, économiques et sexuelles, en en faisant une question commune à tous les êtres humains, que cela nous plaise ou non.

Pourtant depuis les centaines de milliers d'années que les premiers hommes et les premières femmes réfléchissent à leur condition de mortel, la réponse nous échappe toujours. Qu'arrive-t-il quand nous mourons ? Que deviennent notre âme, notre esprit, notre personnalité – notre essence profonde ? À ce sujet, possédons-nous même ce qu'on appelle une âme, ou est-ce une illusion que nous avons créée pour nous donner un sens de permanence et l'espoir d'une immortalité ?

Le rationaliste répond à cette interrogation en prétendant qu'en n'étant rien de plus qu'une collection de cellules et que nos cerveaux ne sont que de simples organes enfermés au cœur d'un squelette, rien ne peut se produire quand nous mourons. L'essentiel, la personnalité, l'esprit – l'âme – ou quel que soit le nom que nous souhaitons donner à la conscience, cessent d'exister, ne donnant à notre passage sur cette planète pas d'autre signification que celle que nous choisissons de lui donner pendant notre bref séjour ici. C'est bien sûr la position d'un athée, ce qui rend l'athéisme, à mon avis, si confortable. Il ne demande rien parce qu'il n'offre rien, ce qui me semble un échange équitable.

Pour la plupart des gens, cependant, cette réponse est insatisfaisante. Elle suggère que nous sommes un peu plus qu'un grand accident cosmique et que par conséquent notre vie n'a pas de finalité, nous obligeant à contempler une existence sans signification dans un univers qui, malgré toute sa beauté et sa splendeur, n'a pas plus d'importance ou de pérennité ultime – qu'une fleur s'épanouissant brièvement au printemps pour juste se faner et mourir après quelques courtes journées de vie.


Je suppose qu'il y a des gens pour qui une telle perspective est acceptable. Elle donne après tout une vie bien organisée, comme un jeu auquel nous, êtres conscients, aimons jouer pour la seule bonne raison particulière que nous n'avons pas le choix. Il existe pourtant une intelligence au plus profond de notre cœur d'humain. Nous comprenons instinctivement que nous sommes plus que la somme des parties, ce qui explique pourquoi la plupart des gens pensent que leur personnalité va survivre à leur fin physique sous une certaine forme et va continuer longtemps après que leurs os soient devenus poussière. Ce qui, bien sûr, nous amène à notre deuxième option, qui est la survie de notre personnalité/ego/soi/, comme vous voulez le nommer, à la mort du corps et son existence – au moins pour un temps – dans une conscience désincarnée séparée. Si c'est bien le cas, la question logique suivante est, que se passe-t-il ensuite ?

Certains pensent, par exemple, que nous devenons des fantômes – guère plus que des esprits désincarnés errant sans but sur Terre, capables de percevoir le royaume matériel mais incapables d'interagir avec lui d'une manière importante. Ils peuvent même présenter diverses preuves pour soutenir cette option, depuis des compte-rendus de hantises jusqu'à de l'écriture automatique et des films où l'on voit des esprits désincarnés.

Bien que n'ayant aucun problème avec l'idée de fantômes, je ne pense pas qu'exister en tant que conscience désincarnée est réellement une option valable à long terme sur le plan de notre devenir. J'ai toujours pensé que les fantômes étaient des êtres transitoires, coincés un certain temps sur le plan terrestre et qui finissent par évoluer et donc disparaître du royaume de la matière. Ainsi, même si nous devions devenir des fantômes, ce sera, au moins pour la grande majorité d'entre nous, une brève expérience et non notre éternité. Je soupçonne que nous poursuivons notre route, si l'on peut dire, vers les "verts pâturages".

C'est pourtant maintenant que les choses deviennent plus intéressantes. La plupart des gens, qu'ils croient ou non aux fantômes, pensent que l'essence de qui nous sommes – notre "âme" si vous voulez – va dans un lieu. Le ciel est pour une majorité la destination favorite ; un endroit où notre personnalité consciente, débarrassée des limitations et fardeaux de l'existence physique, survit pour l'éternité dans un perpétuel état de béatitude et de joie. Certains en rajoutent en adhérant à la croyance d'un enfer ; un état de tourment perpétuel pour ceux qui s'orientent vers le mal et sont ainsi condamnés à exister éternellement dans un état conscient d'agonie, de regret et de peur.

Les deux opinions souffrent cependant du même problème, c'est de voir que notre temps ici sur cette planète se déroule en un clin d’œil d'éternité, en fonction des décisions que nous prenons – ou que nous échouons à prendre – tout en ayant dans le corps de profondes et éternelles ramifications. Ce qui réduit malheureusement le monde physique à un simple "couvoir" cosmique qui n'existe que pour donner naissance à de nouvelles âmes, chacune d'entre elles y passant un moment avant de s'élancer – ou plutôt plonger – vers sa destination finale.

Tout en devant reconnaître que cette idée parvient à rendre cette vie unique d'une importance primordiale, elle oblige à se demander pourquoi un royaume terrestre est bien nécessaire. Si l'univers physique existe simplement comme un véhicule pour nous créer, pourquoi le processus ne pourrait-il être contourné entièrement en nous créant directement dans le royaume spirituel – comme cela aurait été le cas pour les anges divins ?

Pourquoi toutes les souffrances et épreuves inutiles d'une existence physique – surtout s'il existe un très réel danger potentiel de mériter l'enfer à cause de nos méfaits – si notre seule destination est le royaume spirituel ? Dans un tel contexte, l'existence physique semble non seulement absurde mais aussi, de plusieurs manières, même, risquée.

Que nous reste-t-il alors ? Sans ciel ni enfer, que reste-t-il ?

Il y a une troisième option à envisager qui a été largement ignorée jusqu'à récemment en occident mais a été adoptée par littéralement des milliards de gens dans le monde depuis des milliers d'années. C'est la croyance en une existence physique ni dérisoire ni transitoire, mais au contraire en perpétuelle évolution. C'est le concept d'âmes vivant quelque part non pas dans un Eden éthéré – ou un enfer, l'Hadès – mais dans une existence perpétuelle par un processus de renaissances continuelles dans le royaume terrestre, faisant de notre passage sur cette planète non pas une expérience unique et brève, mais un processus répétitif grâce à des centaines de vies. C'est une croyance intemporelle – antérieure de plusieurs siècles au christianisme et à l'Islam – et connue sous de multiples noms dans de nombreuses cultures. Elle a été appelée renaissance, régénération, transmigration de l'âme, et même métempsychose, mais c'est sous le terme de réincarnation qu'elle est la mieux connue aujourd'hui.

La toute première chose à prendre en compte, surtout pour ceux qui n'ont accordé que peu de réflexion à cette idée, est que la réincarnation peut sembler un concept étranger ou exotique, surtout pour la mentalité occidentale imprégnée de méthodisme scientifique et baignant depuis deux mille ans dans une religion monothéiste. C'est un sujet de méditation pour les saints hommes hindous ou adopté par les partisans du Nouvel-Âge, mais qui ne semble en rien particulièrement pertinent pour la plupart des occidentaux d'aujourd'hui.

Je peux parfaitement comprendre cette perspective car c'est celle que j'ai conservée pendant les 40 premières années de ma vie. Et il faut dire la vérité, c'est un concept oriental – en vogue depuis plus de quatre mille ans avant la naissance de Jésus et aujourd'hui c'est la croyance de presque deux milliards d'individus dans le monde – en faisant l'un des systèmes de croyance parmi les plus anciens et les plus durables connu de l'homme. En fait, cette croyance sur l'après-vie provient peut-être d'humains primitifs qui avaient probablement envisagé l'idée en se mettant à remarquer de fortes similitudes entre un nouveau-né et son ancêtre décédé. Peut-être que les manières ou les intérêts que montrait l'enfant rappelaient l'un des êtres aimés décédé ou une marque de naissance qui reproduisait celle trouvée sur un grand-parent depuis longtemps disparu, qui a amené les anciens du village à imaginer que l'ancêtre mort était revenu une deuxième fois – supposition non déraisonnable pour des cultures qui ressentaient l'âme comme fondamentalement immortelle.

Les occidentaux ont par tradition la tendance malheureuse à considérer les concepts religieux étrangers ou primordiaux comme étant primitifs et donc à les rejeter. Cette perception apparaît cependant évoluer lentement car les croyances réincarnationnistes ont fait du chemin en occident, surtout ces cinquante dernières années, et elles deviennent de plus en plus populaires auprès d'un grand nombre de gens.

Comment reviennent les âmes : une tradition occidentale perdue

Bien sûr, inconnue pour la plupart des gens, la réincarnation a toujours fait partie de la pensée occidentale. La perspective d'une âme qui revient s'incarner plusieurs fois s'est développée dans la Grèce ancienne il y a presque 3000 ans et a pu jouer un rôle bien plus important pour l'évolution de notre civilisation que ce que les récits traditionnels nous ont amené à croire. Aristote, Socrate, Platon et Pythagore ont tous enseigné et adhéré à un genre de renaissance, fondements adoptés plus tard par les grands philosophes romains Ovide, Virgile et Cicéron, ainsi qu'une foule d'autres grands penseurs de l'antiquité.

Les concepts réincarnationnistes étaient en fait si répandus dans les siècles précédant immédiatement la naissance de Jésus, qu'ils ont joué un rôle majeur dans de nombreuses religions des "mystères" autour de la Méditerranée ; religions qui devaient elles-mêmes devenir le modèle de nouveaux systèmes mystiques de la région. La réincarnation, loin d'être un concept purement étranger, était courante et elle a pu fortement influencer la forme et l'idée des philosophies grecques et romaines.

Ce qui étonne encore plus, cependant, est le fait que les concepts réincarnationnistes ont également fait partie de certaines branches plus mystiques de la religion occidentale traditionnelle, depuis les Soufis d'Islam aux gnostiques des premiers siècles du christianisme et même au sein des traditions hassidiques et kabbalistes du judaïsme. En fait, le concept fut virtuellement florissant et, particulièrement dans le cas du christianisme, il devint presque le système de croyance prédominant durant les premiers siècles d'existence de l'Église jusqu'à ce que des branches plus traditionnelles et non-réincarnationnistes de la chrétienté l'obligent à devenir clandestin. Les écrits de ses adeptes ayant été déclarés hérétiques et brûlés, le concept fut supprimé avec un tel succès par l'Église de Rome que très peu de chrétiens d'aujourd'hui réalisent qu'il a fait un jour partie de leur propre foi.

Pourquoi fut-il supprimé ? Une réponse évidente est parce qu'il menaçait l'autorité. La religion occidentale est largement dépendante de la croyance en une humanité destinée à "mourir un jour et ensuite à être jugée" dans le but de garder un contrôle sur elle. En promettant de multiples renaissances, pourtant, la réincarnation rend les proclamations du pape ou du grand Mufti ou de tout autre dirigeant de l'époque, éphémères et, à la vérité, également inappropriées. La réincarnation menaçait ainsi le gagne-pain même de l'église, elle devenait un idée très dangereuse à supprimer ou qualifier d'hérétique pour que l'église maintienne son pouvoir basique. Ce qui fait que le concept est resté largement inconnu à l'extérieur de l'Asie pendant probablement 1700 ans.
Son renouveau en occident était cependant imminent avec l'arrivée de l'ère des Lumières au 18ème siècle. Une fois les écrits depuis longtemps perdus des anciens grecs redevenus disponibles ainsi que la possibilité de soutenir des idées précédemment défendues sans mettre sa vie en jeu, ces concepts autrefois interdits comme celui de la réincarnation devinrent de plus en plus populaires, surtout parmi l'élite intellectuelle de l'époque. Parmi ceux qui soutenaient cette forme de multiples renaissances on trouvait parmi d'autres des gens célèbres comme Charles Dickens, Ralph Waldo Emerson, Benjamin Franklin, Shakespeare, Léonard de Vinci et Voltaire.

Comprendre ce que veut dire se réincarner

Depuis sa réintroduction dans la conscience occidentale, la réincarnation a pourtant subi une transformation. Ce n'est plus la roue des "cycles de vie" sans fin enseignée par les hindous et les bouddhistes, mais une "école d'éducation évoluée" conçue pour nous amener à de toujours plus grands niveaux d'éveil spirituel. C'est pourquoi quand un hindou ou un bouddhiste et leurs homologues réincarnationnistes occidentaux parlent du sujet, ils semblent parler deux langages différents. C'est d'une certaine façon là que s'installe la confusion.

Pour l'hindou, l'âme est fondamentalement coincée dans un cycle éternel de renaissances qui ne peut jamais être rompu en raison du besoin continuel d'équilibrer son karma. En effet, avec toute incarnation charnelle, la personnalité humaine – sous-produit de l'âme sous-jacente qui lui a donné naissance – accumule une dose de mauvais karma qui doit être éliminé pour restaurer son équilibre. Une partie de ce karma peut être éliminé dans la vie sous forme de bonnes actions, mais c'est rarement suffisant pour éliminer la dette entière, dont on tient compte dans la vie suivante avec l'âme qui accepte une incarnation qui peut être plus difficile et permet donc à la dette karmique d'être éliminée.

En de rares occasions, la vie peut être si exemplaire que la personne peut naître dans une situation plus évoluée (ou dans une caste différente dans le parler hindou) mais la règle veut que le mauvais karma a tendance à peser plus lourd que le bon karma et, en s'accumulant constamment au fil des vies, il s'ajoute à la dette croissante qui reste à équilibrer et ainsi perpétue le cycle des renaissances. (Bien sûr, si quelqu'un accumule trop de mauvais karma, il peut ne pas renaître en tant que personne, mais peut revenir sous la forme d'un animal ou même dans certains enseignements, en tant qu'objet inanimé tel qu'une pierre. Cette croyance s'appelle "transmigration de l'âme" et est aussi un élément majeur des enseignements de l'hindouisme).

Le bouddhisme, d'un autre côté, tout en envisageant le processus de la réincarnation à peu près de la même manière que les hindous, diffère en ce qu'il enseigne que le cycle des renaissances peut être brisé en atteignant le nirvana (littéralement l'illumination), moment auquel le cycle est rompu.

L'illumination signifie fondamentalement devenir conscient de sa vraie nature et des réalités contenues au cœur des Quatre Nobles Vérités comme l'a exprimé Gautama Bouddha il y a plus de 2000 ans. Ce sont : premièrement, être en vie veut dire souffrir en raison de l'imperfection de la nature humaine et du monde qui nous entoure ; deuxièmement, la cause de la souffrance est l'attachement aux choses transitoires (en effet, l'état de besoin ou le désir des choses) ; troisièmement, on peut apprendre à laisser partir ces attachements ; et enfin, le processus pour accéder à l'illumination est progressif et peut s'étendre sur plusieurs vies.

Au contraire, le but de la renaissance pour de nombreux réincarnationnistes occidentaux est d'apprendre les leçons nécessaires dans chaque incarnation pour accéder au  niveau spirituel suivant qui, tout en ayant des similitudes avec le concept bouddhiste de la lente accession à l'illumination pendant plusieurs incarnations par la pratique de la Voie Octuple du Bouddha (vision juste, intentions justes, parler juste, action juste, moyens de subsistance justes, effort juste, attention juste, et concentration juste), est en fait tout à fait différent.

Le bouddhiste ne pense pas qu'on "apprend" de nouvelles leçons à chaque vie, mais qu'on applique simplement les principes contenus au sein de la Voie Octuple jusqu'à ce que l'état de besoin, l'ignorance, les illusions et ses effets disparaissent graduellement en progressant vers l'illumination. Pour la mentalité occidentale, l'attachement n'est pas considéré comme la source du problème (bien qu'il soit généralement reconnu qu'un attachement obsessionnel aux choses puisse être au détriment de la croissance spirituelle).

Une autre différence importante entre les concepts orientaux et occidentaux de la réincarnation se rapporte à la perception de ce qui, exactement, se réincarne. L'hindou voit son âme – l'essence divine de Dieu – comme ce qui génère chaque incarnation, avec la personnalité individuelle ou ego comme étant l'expression transitoire de cette âme.

Contrastant fortement, le bouddhiste ne croit pas du tout à des âmes individualisées, mais pense que le sens de soi est principalement une illusion créée par nos propres perceptions personnelles – une "mémoire" consciente si vous voulez, conçue par la supposition que nous existons séparément. Pour le bouddhiste, nous faisons tous partie d'une conscience divine plus large et nous avons simplement accepté l'"illusion" momentanée d'une séparation. Les bouddhistes comparent la signification de notre existence aux vagues de l'océan ; de même que la vague est un phénomène temporaire causé par le vent et les courants, notre personnalité est également aussi éphémère et est réabsorbée, après la mort, par la conscience divine de la même manière qu'une vague est finalement avalée par l'océan.

En occident, cependant, la personnalité – ou ego – est plus résistante et généralement considérée comme immortelle. Pour beaucoup, l'âme et la personnalité sont vues comme synonymes, faisant donc qu'à la mort notre personnalité de base – chargée de toutes ses mémoires, expériences de vie, connaissances et caractères – retourne dans un autre corps afin de poursuivre son existence. Elle peut ne pas avoir un souvenir direct de sa vie passée – bien que certaines personnes prétendent posséder la capacité de se rappeler consciemment leurs précédentes incarnations – mais c'est essentiellement la même personnalité qui recommence à vivre dans un autre contexte.
 
La personnalité peut expérimenter un cadre radicalement nouveau – par exemple, elle peut vivre une incarnation en tant que femme indienne qui a vécu et est morte au 19ème siècle et ensuite revenir comme un homme dans l'Espagne du 20ème siècle – mais c'est toujours la même "personne" qui sous-tend chaque "rôle". Bien sûr, les expériences et l'environnement qu'elle retrouve à chaque nouvelle incarnation affecteront la personnalité de base d'une manière subtile et parfois substantielle, mais cela fait aussi partie du processus. Voilà pourquoi l'occidental voit la réincarnation comme des "leçons". Après tout, la jeune femme indienne a pu vivre et n'apprendre que trop peu dans son bref passage sur Terre, et elle aurait fait le choix de revenir – cette fois en tant qu'homme espagnol – pour apprendre ce qu'elle avait négligé d'apprendre dans sa précédente incarnation ou qu'elle n'a pas eu l'opportunité de faire.

Cela fait de l'illumination spirituelle une sorte de liste de "choses à faire" qui a besoin d'être pointée dans son intégralité avant que le processus des renaissances puisse être stoppé. (Ce qui arrive après est également ouvert à la spéculation parmi les occidentaux : certains imaginent que nous revenons en tant qu'avatars ou enseignants spirituels ; d'autres supposent que nous recommençons le processus sur une autre planète, alors que d'autres encore maintiennent que nous nous dirigeons vers d'autres dimensions. Il semble que les options possibles pour une âme évoluée sont étendues.)

Je me demande, toutefois, si la vérité ne serait pas une accumulation de chacune de ces perceptions ? Il est clair que le concept oriental d'une âme-source qui donnerait naissance à toutes les personnalités est fondé, tout comme la croyance bouddhique en la nature transitoire et temporaire de l'ego qui est venu au monde. Et le concept occidental selon lequel nous nous réincarnons jusqu'à ce que nous apprenions ce que nous devons savoir a un certain bien-fondé et pourrait être l'équivalent, en quelque sorte, de l'idée bouddhiste selon laquelle le cycle des renaissances prend fin avec l'illumination -- bien que ce soit l'individu qui choisisse d'en définir les conditions.


Je me demande souvent si nous ne regardons pas tous le même phénomène et n'en voyons pas uniquement les éléments qui nous parlent personnellement. Je soupçonne que notre compréhension du but de la réincarnation a des manques à plusieurs niveaux et ne peut jamais être intégralement parfaite, bien qu'il me semble aussi que nous progressons pour en arriver à une meilleure idée de sa complexité et de sa sophistication. Peut-être qu'un jour l'Orient et l'Occident s'uniront pour fusionner leurs différentes perceptions et ainsi formeront un tout qui répondra aux questions de chacun.

Bien sûr, je reconnais qu'une chose de ce genre peut sembler un processus contradictoire. Après tout, comment peut-il y avoir une âme et une absence d'âme et comment l'ego peut-il être immortel et pourtant transitoire ? Associer les concepts occidentaux et orientaux sur la réincarnation semblerait vouloir adopter ce paradoxe, mais j'ai découvert que c'est souvent dans les complexités d'un paradoxe que réside la vérité. En fait, ce n'est avant tout que notre capacité limitée de compréhension qui transforme ces apparentes contradictions en paradoxes.

Je me demande si elles apparaîtraient toujours comme telles en découvrant en nous la capacité de comprendre réellement à un niveau que notre capacité mentale actuelle ne permet pas. D'un autre côté, il est possible que comprendre ces concepts ne se font pas au niveau mental, mais spirituel, qui est d'un accès difficile pour beaucoup de gens.

Il est possible qu'on ne nous ait finalement jamais donné les moyens de comprendre pleinement comment fonctionne la réincarnation et ce peut être là que l'aventure commence réellement. La question de notre devenir après notre mort n'a peut-être jamais été censée recevoir une réponse, mais simplement être un thème d'exploration, car c'est en cherchant – pas forcément en trouvant – la réponse qu'une croissance peut se faire.

Ce n'est peut-être qu'en abandonnant en fait notre besoin de trouver des réponses que nous leur donnons la possibilité de nous atteindre. En effet, nous pouvons ressembler à un homme tellement occupé à chercher un trésor qu'il en oublie de réaliser qu'il ne le cherche qu'au plus profond d'une mine d'or. En levant simplement la tête pour regarder le trésor qui scintille autour de lui, il comprendrait combien sa quête passionnée s'est révélée stupide. Nous avons peut-être juste besoin de faire de même.

Ainsi parlait Arnaud Desjardins



«  Nous ne nous mettons pas en route si nous ne sommes pas attirés. »

"S'il existe un chemin, une voie – et ce sont des termes qu'on retrouve partout, « via » en latin, « marg » en sanscrit – il y a un point de départ, un trajet (un parcours) et un point d'arrivée.
Le point de départ, c'est notre niveau d'être ou notre condition actuelle et le point d'arrivée, c'est ce niveau d'être ou cette condition transcendante, telle qu'elle nous est décrite, telle que le sage l'incarne, telle que nous l'entrevoyons. Et en vérité, il n'y a de départ qu'à cause du but. Nous ne nous mettons pas en route si nous ne sommes pas attirés."

"Et le chemin de la sagesse propose une solution radicale, absolue, qui est l'abolition de ce sens du moi individuel.
 Donc, s'il y a bien une part du chemin commune aux psychothérapies et aux voies spirituelles, ce n'est jamais qu'une part, et même une petite part. Ensuite apparaît nettement la différence. Vous aurez tendance, sauf exception, à interpréter ce que vous entendez en fonction de la conscience ordinaire qui vit dans la dualité, de la dualité, par la dualité, pour la dualité (qu'est-ce que l'ascèse va m'apporter à moi, est-ce que je vais aller mieux ?) sans entrevoir que, si la voie peut vous être bénéfique à l'intérieur de ce monde de la dualité, elle vous appelle en vérité à transcender celle-ci."

"Au départ du chemin, ce qui est cruel, c'est de reconnaître « je ne suis pas » et au bout du chemin, ce qui est merveilleux c'est d'avoir le droit de dire « je ne suis plus ». Mais subsiste-t-il un « je » pour le dire? "

"La première partie du chemin sera dominée par la structuration, la présence à soi-même, la volonté (will power), l'axe, le centre, l'autonomie par rapport aux fonctionnements. La deuxième partie verra l'extinction ou la dissolution de l'ego, la réalisation mystique proprement dite. Mais la voie de l'effort précède le non-effort, un effort intense de conscience, de vigilance, d'attention..."

"Tous les êtres vivants aspirent à être heureux, complètement heureux, d'un bonheur parfait, auquel rien ne manque et qui soit stable, définitif, à l'abri des événements, des malheurs, des tragédies. Ce bonheur est inatteignable dans les conditions courantes de l'existence qui permettent tout au plus d'aspirer à des satisfactions et à des joies relatives. Et pourtant, l'inimaginable promesse des enseignements spirituels, c'est que le bonheur absolu dont nous portons tous la nostalgie est accessible à l'homme à condition de comprendre ce qui nous en sépare et comment nous pourrions nous établir en lui."


"La réalité suprême, c'est le Soi. Si vous découvrez « votre propre Soi », l'ego disparaît et, selon une autre terminologie, le « je » disparaît aussi.
Si vous vous confondez ou vous identifiez avec le corps physique, qui est l'auteur des actions, qui a un larynx pour parler ou a été au contraire opéré d'un cancer de la gorge, le corps physique qui peut se sauver en courant parce qu'il a peur ou demeure paralysé sur place, si vous vous identifiez même avec l'intelligence qui peut prendre une décision délibérée, vous n'échapperez jamais à la condition limitée, vous n'accéderez pas à la réalité métaphysique.
Cette dimension que je décris comme verticale dans l'espace correspond à une dimension verticale à l'intérieur de vous, une dimension nouvelle de la conscience d'être ou de la conscience de soi."

"En fait, notre stratégie de libération doit se déployer dans trois domaines : un domaine concernant en effet les émotions, les affects; un domaine concernant la manière dont nous pensons ou dont nous voyons les différents visages de la réalité – y compris nous-mêmes et tout ce que nous pouvons observer en nous-mêmes – et, troisième aspect de cette stratégie d'ensemble, l'activité.

Le domaine de l'action peut être une stratégie à court terme s'il s'agit de décisions ponctuelles à prendre, ou à plus longue échéance s'il s'agit d'envisager le déroulement de notre existence, dans la mesure où il nous semble que nous avons certaines possibilités d'intervenir sur nos destins."

« La Voie et ses pièges »
Arnaud Desjardins