La question de la
réincarnation
Une âme, plusieurs
corps : la question de la réincarnation
Par J. Allan Danelek
(25 décembre 2010)
Que se passe-t-il quand nous mourons ? C'est une
question que tout le monde finit par se poser à un moment ou un autre de la
vie. Elle transcende les frontières raciales, sociales, politiques, économiques
et sexuelles, en en faisant une question commune à tous les êtres humains, que
cela nous plaise ou non.
Pourtant depuis les centaines de milliers d'années
que les premiers hommes et les premières femmes réfléchissent à leur condition
de mortel, la réponse nous échappe toujours. Qu'arrive-t-il quand nous mourons
? Que deviennent notre âme, notre esprit, notre personnalité – notre essence
profonde ? À ce sujet, possédons-nous même ce qu'on appelle une âme, ou est-ce
une illusion que nous avons créée pour nous donner un sens de permanence et
l'espoir d'une immortalité ?
Le rationaliste répond à cette interrogation en
prétendant qu'en n'étant rien de plus qu'une collection de cellules et que nos
cerveaux ne sont que de simples organes enfermés au cœur d'un squelette, rien
ne peut se produire quand nous mourons. L'essentiel, la personnalité, l'esprit
– l'âme – ou quel que soit le nom que nous souhaitons donner à la conscience,
cessent d'exister, ne donnant à notre passage sur cette planète pas d'autre
signification que celle que nous choisissons de lui donner pendant notre bref
séjour ici. C'est bien sûr la position d'un athée, ce qui rend l'athéisme, à
mon avis, si confortable. Il ne demande rien parce qu'il n'offre rien, ce qui
me semble un échange équitable.
Pour la plupart des gens, cependant, cette réponse
est insatisfaisante. Elle suggère que nous sommes un peu plus qu'un grand
accident cosmique et que par conséquent notre vie n'a pas de finalité, nous
obligeant à contempler une existence sans signification dans un univers qui,
malgré toute sa beauté et sa splendeur, n'a pas plus d'importance ou de
pérennité ultime – qu'une fleur s'épanouissant brièvement au printemps pour
juste se faner et mourir après quelques courtes journées de vie.
Je suppose qu'il y a des gens pour qui une telle
perspective est acceptable. Elle donne après tout une vie bien organisée, comme
un jeu auquel nous, êtres conscients, aimons jouer pour la seule bonne raison
particulière que nous n'avons pas le choix. Il existe pourtant une intelligence
au plus profond de notre cœur d'humain. Nous comprenons instinctivement que
nous sommes plus que la somme des parties, ce qui explique pourquoi la plupart
des gens pensent que leur personnalité va survivre à leur fin physique sous une
certaine forme et va continuer longtemps après que leurs os soient devenus
poussière. Ce qui, bien sûr, nous amène à notre deuxième option, qui est la
survie de notre personnalité/ego/soi/, comme vous voulez le nommer, à la mort
du corps et son existence – au moins pour un temps – dans une conscience
désincarnée séparée. Si c'est bien le cas, la question logique suivante est,
que se passe-t-il ensuite ?
Certains pensent, par exemple, que nous devenons des
fantômes – guère plus que des esprits désincarnés errant sans but sur Terre,
capables de percevoir le royaume matériel mais incapables d'interagir avec lui
d'une manière importante. Ils peuvent même présenter diverses preuves pour
soutenir cette option, depuis des compte-rendus de hantises jusqu'à de
l'écriture automatique et des films où l'on voit des esprits désincarnés.
Bien que n'ayant aucun problème avec l'idée de
fantômes, je ne pense pas qu'exister en tant que conscience désincarnée est
réellement une option valable à long terme sur le plan de notre devenir. J'ai
toujours pensé que les fantômes étaient des êtres transitoires, coincés un
certain temps sur le plan terrestre et qui finissent par évoluer et donc
disparaître du royaume de la matière. Ainsi, même si nous devions devenir des
fantômes, ce sera, au moins pour la grande majorité d'entre nous, une brève
expérience et non notre éternité. Je soupçonne que nous poursuivons notre
route, si l'on peut dire, vers les "verts pâturages".
C'est pourtant maintenant que les choses deviennent
plus intéressantes. La plupart des gens, qu'ils croient ou non aux fantômes,
pensent que l'essence de qui nous sommes – notre "âme" si vous voulez
– va dans un lieu. Le ciel est pour une majorité la destination favorite ; un
endroit où notre personnalité consciente, débarrassée des limitations et
fardeaux de l'existence physique, survit pour l'éternité dans un perpétuel état
de béatitude et de joie. Certains en rajoutent en adhérant à la croyance d'un
enfer ; un état de tourment perpétuel pour ceux qui s'orientent vers le mal et
sont ainsi condamnés à exister éternellement dans un état conscient d'agonie,
de regret et de peur.
Les deux opinions souffrent cependant du même
problème, c'est de voir que notre temps ici sur cette planète se déroule en un
clin d’œil d'éternité, en fonction des décisions que nous prenons – ou que nous
échouons à prendre – tout en ayant dans le corps de profondes et éternelles
ramifications. Ce qui réduit malheureusement le monde physique à un simple
"couvoir" cosmique qui n'existe que pour donner naissance à de
nouvelles âmes, chacune d'entre elles y passant un moment avant de s'élancer –
ou plutôt plonger – vers sa destination finale.
Tout en devant reconnaître que cette idée parvient à
rendre cette vie unique d'une importance primordiale, elle oblige à se demander
pourquoi un royaume terrestre est bien nécessaire. Si l'univers physique existe
simplement comme un véhicule pour nous créer, pourquoi le processus ne pourrait-il
être contourné entièrement en nous créant directement dans le royaume spirituel
– comme cela aurait été le cas pour les anges divins ?
Pourquoi toutes les souffrances et épreuves inutiles
d'une existence physique – surtout s'il existe un très réel danger potentiel de
mériter l'enfer à cause de nos méfaits – si notre seule destination est le
royaume spirituel ? Dans un tel contexte, l'existence physique semble non
seulement absurde mais aussi, de plusieurs manières, même, risquée.
Que nous reste-t-il alors ? Sans ciel ni enfer, que
reste-t-il ?
Il y a une troisième option à envisager qui a été
largement ignorée jusqu'à récemment en occident mais a été adoptée par
littéralement des milliards de gens dans le monde depuis des milliers d'années.
C'est la croyance en une existence physique ni dérisoire ni transitoire, mais
au contraire en perpétuelle évolution. C'est le concept d'âmes vivant quelque
part non pas dans un Eden éthéré – ou un enfer, l'Hadès – mais dans une
existence perpétuelle par un processus de renaissances continuelles dans le
royaume terrestre, faisant de notre passage sur cette planète non pas une
expérience unique et brève, mais un processus répétitif grâce à des centaines
de vies. C'est une croyance intemporelle – antérieure de plusieurs siècles au
christianisme et à l'Islam – et connue sous de multiples noms dans de
nombreuses cultures. Elle a été appelée renaissance, régénération,
transmigration de l'âme, et même métempsychose, mais c'est sous le terme de
réincarnation qu'elle est la mieux connue aujourd'hui.
La toute première chose à prendre en compte, surtout
pour ceux qui n'ont accordé que peu de réflexion à cette idée, est que la
réincarnation peut sembler un concept étranger ou exotique, surtout pour la
mentalité occidentale imprégnée de méthodisme scientifique et baignant depuis
deux mille ans dans une religion monothéiste. C'est un sujet de méditation pour
les saints hommes hindous ou adopté par les partisans du Nouvel-Âge, mais qui
ne semble en rien particulièrement pertinent pour la plupart des occidentaux
d'aujourd'hui.
Je peux parfaitement comprendre cette perspective
car c'est celle que j'ai conservée pendant les 40 premières années de ma vie.
Et il faut dire la vérité, c'est un concept oriental – en vogue depuis plus de
quatre mille ans avant la naissance de Jésus et aujourd'hui c'est la croyance
de presque deux milliards d'individus dans le monde – en faisant l'un des
systèmes de croyance parmi les plus anciens et les plus durables connu de
l'homme. En fait, cette croyance sur l'après-vie provient peut-être d'humains
primitifs qui avaient probablement envisagé l'idée en se mettant à remarquer de
fortes similitudes entre un nouveau-né et son ancêtre décédé. Peut-être que les
manières ou les intérêts que montrait l'enfant rappelaient l'un des êtres aimés
décédé ou une marque de naissance qui reproduisait celle trouvée sur un
grand-parent depuis longtemps disparu, qui a amené les anciens du village à
imaginer que l'ancêtre mort était revenu une deuxième fois – supposition non
déraisonnable pour des cultures qui ressentaient l'âme comme fondamentalement
immortelle.
Les occidentaux ont par tradition la tendance
malheureuse à considérer les concepts religieux étrangers ou primordiaux comme
étant primitifs et donc à les rejeter. Cette perception apparaît cependant
évoluer lentement car les croyances réincarnationnistes ont fait du chemin en
occident, surtout ces cinquante dernières années, et elles deviennent de plus
en plus populaires auprès d'un grand nombre de gens.
Comment reviennent
les âmes : une tradition occidentale perdue
Bien sûr, inconnue pour la plupart des gens, la
réincarnation a toujours fait partie de la pensée occidentale. La perspective
d'une âme qui revient s'incarner plusieurs fois s'est développée dans la Grèce
ancienne il y a presque 3000 ans et a pu jouer un rôle bien plus important pour
l'évolution de notre civilisation que ce que les récits traditionnels nous ont
amené à croire. Aristote, Socrate, Platon et Pythagore ont tous enseigné et
adhéré à un genre de renaissance, fondements adoptés plus tard par les grands
philosophes romains Ovide, Virgile et Cicéron, ainsi qu'une foule d'autres
grands penseurs de l'antiquité.
Les concepts réincarnationnistes étaient en fait si
répandus dans les siècles précédant immédiatement la naissance de Jésus, qu'ils
ont joué un rôle majeur dans de nombreuses religions des "mystères"
autour de la Méditerranée ; religions qui devaient elles-mêmes devenir le
modèle de nouveaux systèmes mystiques de la région. La réincarnation, loin
d'être un concept purement étranger, était courante et elle a pu fortement
influencer la forme et l'idée des philosophies grecques et romaines.
Ce qui étonne encore plus, cependant, est le fait
que les concepts réincarnationnistes ont également fait partie de certaines
branches plus mystiques de la religion occidentale traditionnelle, depuis les
Soufis d'Islam aux gnostiques des premiers siècles du christianisme et même au
sein des traditions hassidiques et kabbalistes du judaïsme. En fait, le concept
fut virtuellement florissant et, particulièrement dans le cas du christianisme,
il devint presque le système de croyance prédominant durant les premiers
siècles d'existence de l'Église jusqu'à ce que des branches plus
traditionnelles et non-réincarnationnistes de la chrétienté l'obligent à
devenir clandestin. Les écrits de ses adeptes ayant été déclarés hérétiques et
brûlés, le concept fut supprimé avec un tel succès par l'Église de Rome que
très peu de chrétiens d'aujourd'hui réalisent qu'il a fait un jour partie de
leur propre foi.
Pourquoi fut-il supprimé ? Une réponse évidente est
parce qu'il menaçait l'autorité. La religion occidentale est largement
dépendante de la croyance en une humanité destinée à "mourir un jour et
ensuite à être jugée" dans le but de garder un contrôle sur elle. En
promettant de multiples renaissances, pourtant, la réincarnation rend les
proclamations du pape ou du grand Mufti ou de tout autre dirigeant de l'époque,
éphémères et, à la vérité, également inappropriées. La réincarnation menaçait
ainsi le gagne-pain même de l'église, elle devenait un idée très dangereuse à
supprimer ou qualifier d'hérétique pour que l'église maintienne son pouvoir
basique. Ce qui fait que le concept est resté largement inconnu à l'extérieur
de l'Asie pendant probablement 1700 ans.
Son renouveau en occident était cependant imminent
avec l'arrivée de l'ère des Lumières au 18ème siècle. Une fois les écrits
depuis longtemps perdus des anciens grecs redevenus disponibles ainsi que la
possibilité de soutenir des idées précédemment défendues sans mettre sa vie en
jeu, ces concepts autrefois interdits comme celui de la réincarnation devinrent
de plus en plus populaires, surtout parmi l'élite intellectuelle de l'époque.
Parmi ceux qui soutenaient cette forme de multiples renaissances on trouvait
parmi d'autres des gens célèbres comme Charles Dickens, Ralph Waldo Emerson,
Benjamin Franklin, Shakespeare, Léonard de Vinci et Voltaire.
Comprendre ce que
veut dire se réincarner
Depuis sa réintroduction dans la conscience
occidentale, la réincarnation a pourtant subi une transformation. Ce n'est plus
la roue des "cycles de vie" sans fin enseignée par les hindous et les
bouddhistes, mais une "école d'éducation évoluée" conçue pour nous
amener à de toujours plus grands niveaux d'éveil spirituel. C'est pourquoi
quand un hindou ou un bouddhiste et leurs homologues réincarnationnistes
occidentaux parlent du sujet, ils semblent parler deux langages différents.
C'est d'une certaine façon là que s'installe la confusion.
Pour l'hindou, l'âme est fondamentalement coincée
dans un cycle éternel de renaissances qui ne peut jamais être rompu en raison
du besoin continuel d'équilibrer son karma. En effet, avec toute incarnation
charnelle, la personnalité humaine – sous-produit de l'âme sous-jacente qui lui
a donné naissance – accumule une dose de mauvais karma qui doit être éliminé
pour restaurer son équilibre. Une partie de ce karma peut être éliminé dans la
vie sous forme de bonnes actions, mais c'est rarement suffisant pour éliminer
la dette entière, dont on tient compte dans la vie suivante avec l'âme qui
accepte une incarnation qui peut être plus difficile et permet donc à la dette
karmique d'être éliminée.
En de rares occasions, la vie peut être si
exemplaire que la personne peut naître dans une situation plus évoluée (ou dans
une caste différente dans le parler hindou) mais la règle veut que le mauvais
karma a tendance à peser plus lourd que le bon karma et, en s'accumulant
constamment au fil des vies, il s'ajoute à la dette croissante qui reste à
équilibrer et ainsi perpétue le cycle des renaissances. (Bien sûr, si quelqu'un
accumule trop de mauvais karma, il peut ne pas renaître en tant que personne,
mais peut revenir sous la forme d'un animal ou même dans certains enseignements,
en tant qu'objet inanimé tel qu'une pierre. Cette croyance s'appelle
"transmigration de l'âme" et est aussi un élément majeur des
enseignements de l'hindouisme).
Le bouddhisme, d'un autre côté, tout en envisageant
le processus de la réincarnation à peu près de la même manière que les hindous,
diffère en ce qu'il enseigne que le cycle des renaissances peut être brisé en
atteignant le nirvana (littéralement l'illumination), moment auquel le cycle
est rompu.
L'illumination signifie fondamentalement devenir
conscient de sa vraie nature et des réalités contenues au cœur des Quatre
Nobles Vérités comme l'a exprimé Gautama Bouddha il y a plus de 2000 ans. Ce
sont : premièrement, être en vie veut dire souffrir en raison de l'imperfection
de la nature humaine et du monde qui nous entoure ; deuxièmement, la cause de
la souffrance est l'attachement aux choses transitoires (en effet, l'état de
besoin ou le désir des choses) ; troisièmement, on peut apprendre à laisser
partir ces attachements ; et enfin, le processus pour accéder à l'illumination
est progressif et peut s'étendre sur plusieurs vies.
Au contraire, le but de la renaissance pour de
nombreux réincarnationnistes occidentaux est d'apprendre les leçons nécessaires
dans chaque incarnation pour accéder au
niveau spirituel suivant qui, tout en ayant des similitudes avec le
concept bouddhiste de la lente accession à l'illumination pendant plusieurs
incarnations par la pratique de la Voie Octuple du Bouddha (vision juste,
intentions justes, parler juste, action juste, moyens de subsistance justes,
effort juste, attention juste, et concentration juste), est en fait tout à fait
différent.
Le bouddhiste ne pense pas qu'on "apprend"
de nouvelles leçons à chaque vie, mais qu'on applique simplement les principes
contenus au sein de la Voie Octuple jusqu'à ce que l'état de besoin,
l'ignorance, les illusions et ses effets disparaissent graduellement en
progressant vers l'illumination. Pour la mentalité occidentale, l'attachement
n'est pas considéré comme la source du problème (bien qu'il soit généralement
reconnu qu'un attachement obsessionnel aux choses puisse être au détriment de
la croissance spirituelle).
Une autre différence importante entre les concepts
orientaux et occidentaux de la réincarnation se rapporte à la perception de ce
qui, exactement, se réincarne. L'hindou voit son âme – l'essence divine de Dieu
– comme ce qui génère chaque incarnation, avec la personnalité individuelle ou
ego comme étant l'expression transitoire de cette âme.
Contrastant fortement, le bouddhiste ne croit pas du
tout à des âmes individualisées, mais pense que le sens de soi est
principalement une illusion créée par nos propres perceptions personnelles –
une "mémoire" consciente si vous voulez, conçue par la supposition
que nous existons séparément. Pour le bouddhiste, nous faisons tous partie
d'une conscience divine plus large et nous avons simplement accepté
l'"illusion" momentanée d'une séparation. Les bouddhistes comparent
la signification de notre existence aux vagues de l'océan ; de même que la
vague est un phénomène temporaire causé par le vent et les courants, notre
personnalité est également aussi éphémère et est réabsorbée, après la mort, par
la conscience divine de la même manière qu'une vague est finalement avalée par l'océan.
En occident, cependant, la personnalité – ou ego –
est plus résistante et généralement considérée comme immortelle. Pour beaucoup,
l'âme et la personnalité sont vues comme synonymes, faisant donc qu'à la mort
notre personnalité de base – chargée de toutes ses mémoires, expériences de
vie, connaissances et caractères – retourne dans un autre corps afin de
poursuivre son existence. Elle peut ne pas avoir un souvenir direct de sa vie
passée – bien que certaines personnes prétendent posséder la capacité de se
rappeler consciemment leurs précédentes incarnations – mais c'est
essentiellement la même personnalité qui recommence à vivre dans un autre
contexte.
La personnalité peut expérimenter un cadre
radicalement nouveau – par exemple, elle peut vivre une incarnation en tant que
femme indienne qui a vécu et est morte au 19ème siècle et ensuite revenir comme
un homme dans l'Espagne du 20ème siècle – mais c'est toujours la même
"personne" qui sous-tend chaque "rôle". Bien sûr, les expériences
et l'environnement qu'elle retrouve à chaque nouvelle incarnation affecteront
la personnalité de base d'une manière subtile et parfois substantielle, mais
cela fait aussi partie du processus. Voilà pourquoi l'occidental voit la
réincarnation comme des "leçons". Après tout, la jeune femme indienne
a pu vivre et n'apprendre que trop peu dans son bref passage sur Terre, et elle
aurait fait le choix de revenir – cette fois en tant qu'homme espagnol – pour
apprendre ce qu'elle avait négligé d'apprendre dans sa précédente incarnation
ou qu'elle n'a pas eu l'opportunité de faire.
Cela fait de l'illumination spirituelle une sorte de
liste de "choses à faire" qui a besoin d'être pointée dans son
intégralité avant que le processus des renaissances puisse être stoppé. (Ce qui
arrive après est également ouvert à la spéculation parmi les occidentaux :
certains imaginent que nous revenons en tant qu'avatars ou enseignants
spirituels ; d'autres supposent que nous recommençons le processus sur une
autre planète, alors que d'autres encore maintiennent que nous nous dirigeons
vers d'autres dimensions. Il semble que les options possibles pour une âme
évoluée sont étendues.)
Je me demande, toutefois, si la vérité ne serait pas
une accumulation de chacune de ces perceptions ? Il est clair que le concept
oriental d'une âme-source qui donnerait naissance à toutes les personnalités
est fondé, tout comme la croyance bouddhique en la nature transitoire et
temporaire de l'ego qui est venu au monde. Et le concept occidental selon
lequel nous nous réincarnons jusqu'à ce que nous apprenions ce que nous devons
savoir a un certain bien-fondé et pourrait être l'équivalent, en quelque sorte,
de l'idée bouddhiste selon laquelle le cycle des renaissances prend fin avec
l'illumination -- bien que ce soit l'individu qui choisisse d'en définir les
conditions.
Je me demande souvent si nous ne regardons pas tous
le même phénomène et n'en voyons pas uniquement les éléments qui nous parlent
personnellement. Je soupçonne que notre compréhension du but de la réincarnation
a des manques à plusieurs niveaux et ne peut jamais être intégralement
parfaite, bien qu'il me semble aussi que nous progressons pour en arriver à une
meilleure idée de sa complexité et de sa sophistication. Peut-être qu'un jour
l'Orient et l'Occident s'uniront pour fusionner leurs différentes perceptions
et ainsi formeront un tout qui répondra aux questions de chacun.
Bien sûr, je reconnais qu'une chose de ce genre peut
sembler un processus contradictoire. Après tout, comment peut-il y avoir une âme
et une absence d'âme et comment l'ego peut-il être immortel et pourtant
transitoire ? Associer les concepts occidentaux et orientaux sur la
réincarnation semblerait vouloir adopter ce paradoxe, mais j'ai découvert que
c'est souvent dans les complexités d'un paradoxe que réside la vérité. En fait,
ce n'est avant tout que notre capacité limitée de compréhension qui transforme
ces apparentes contradictions en paradoxes.
Je me demande si elles apparaîtraient toujours comme
telles en découvrant en nous la capacité de comprendre réellement à un niveau
que notre capacité mentale actuelle ne permet pas. D'un autre côté, il est
possible que comprendre ces concepts ne se font pas au niveau mental, mais
spirituel, qui est d'un accès difficile pour beaucoup de gens.
Il est possible qu'on ne nous ait finalement jamais
donné les moyens de comprendre pleinement comment fonctionne la réincarnation
et ce peut être là que l'aventure commence réellement. La question de notre
devenir après notre mort n'a peut-être jamais été censée recevoir une réponse,
mais simplement être un thème d'exploration, car c'est en cherchant – pas
forcément en trouvant – la réponse qu'une croissance peut se faire.
Ce n'est peut-être qu'en abandonnant en fait notre
besoin de trouver des réponses que nous leur donnons la possibilité de nous
atteindre. En effet, nous pouvons ressembler à un homme tellement occupé à
chercher un trésor qu'il en oublie de réaliser qu'il ne le cherche qu'au plus
profond d'une mine d'or. En levant simplement la tête pour regarder le trésor
qui scintille autour de lui, il comprendrait combien sa quête passionnée s'est
révélée stupide. Nous avons peut-être juste besoin de faire de même.