L’intuition, faculté du corps causal
Omraam Mikhaël
Aïvanhov
Chaque matin, quand le soleil se lève,
dans l’espace limité qu’il éclaire, tout devient visible et précis; nous
pouvons nous diriger, observer, faire des recherches. Et quand il se couche,
tout s’estompe, nous ne voyons plus ni formes ni couleurs, nous entrons dans l’indifférencié,
dans l’illimité de la nuit; face à cet espace infini, un vertige s’empare
parfois de nous et notre âme s’envole, elle est attirée par cette immensité
sans bornes et tend à se fusionner avec d’autres existences.
Nous faisons quotidiennement cette
expérience; le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité… pendant le jour, la
lumière du soleil, qui nous rend visibles les objets terrestres, éclipse le
reste de la création ; pourtant, cet espace où nous ne distinguons rien
est peuplé de planètes et de bien d’autres soleils plus grands et plus
puissants que celui qui nous éclaire.
Alors, l’important pour nous est de
comprendre comment cette alternance du jour et de la nuit se retrouve dans
notre monde intérieur.
Le soleil nous donne sa lumière afin que
nous puissions étudier, agir et travailler. Il est donc absolument nécessaire à
notre évolution. Sans la lumière du soleil, nous n’aurions pas de conscience
individuelle, nous nous perdrions dans l’immensité, l’illimité. Le soleil est
absolument indispensable pour l’individualisation et pour le développement de
la conscience. Et notre intellect est cette faculté qui, comme le soleil, est
capable d’éclairer l’espace autour de nous afin que nous puissions voir,
étudier et comprendre. L’intellect est notre soleil. Mais ce soleil a ses
limites; en nous individualisant, en nous permettant de prendre conscience de
notre propre moi, il nous isole, il nous sépare de la véritable réalité qui est
l’immensité. C’est pourquoi les hindous disent que l’intellect est l’assassin
de la réalité. Il détruit la réalité parce qu’il nous la cache; exactement
comme le soleil qui, nous empêchant d’embrasser l’espace infini peuplé de
milliers d’autres soleils, nous laisse voir seulement une petite portion de
terre.
Le soleil est un symbole extrêmement
vaste; en disant qu’il nous cache les immenses richesses de l’univers, je ne
considère évidemment qu’une partie de son symbolisme, je veux seulement attirer
votre attention sur un aspect de la vie psychique ; par sa lumière le soleil
délimite un espace autour de nous, et cette délimitation est nécessaire,
indispensable : elle fixe l’espace dans lequel l’intellect doit exercer
son activité. Mais l’intellect ne doit pas maintenant prendre la prépondérance
sur toutes les autres facultés, comme cela se produit de plus en plus à
l’époque actuelle, car tel qu’il est en train de se manifester chez la plupart
de nos contemporains, on peut dire qu’il devient un instrument de destruction.
Plus il se fie à lui, à la manière dont il aborde les questions et tire des
conclusions, plus ils se coupent des créatures visibles et invisibles, plus ils
se coupent de la réalité, c’est à dire de la vie.
L’homme doit travailler avec l’intellect,
il doit développer son corps mental afin de se manifester en tant qu’individu
autonome et maîtriser le monde matériel.
S’il se laisse seulement aller aux
impulsions de sa sensibilité, au besoin de vivre en osmose avec les humains et
avec l’univers, là aussi, il lui manquera quelque chose. Et c’est d’ailleurs le
cas de certains tempéraments mystiques quand ils s’abandonnent seulement au
monde nébuleux des sensations et développent uniquement leur corps astral.
Evidemment, ils ressentent quelque joies, mais non seulement ils deviennent
incapables d’assumer les charges de la vie quotidienne, mais ils sont menacés
de grave déséquilibres psychique; lorsque le monde astral n’est pas maîtrisé
par le monde mental, c’est la voie ouverte à tous les désordres.
Qu’est-ce qui rend l’intellect tellement
précieux ?
C’est sa capacité d’analyser tout ce qui
vient de la région inférieure des instincts, des désirs, des convoitises, et de
faire un triage afin de ne garder que ce qui est utile et bénéfique pour
soi-même et pour les autres. Evidemment, ce n’est pas ainsi que les humains
considèrent le rôle de l’intellect. Ils ont surtout compris que cette faculté
leur permet d’explorer et d’exploiter la matière, de satisfaire leurs ambitions
et leur besoin de domination. C’est pourquoi, jusqu’à maintenant, l’intellect
n’a pas beaucoup contribué au véritable progrès de l’humanité. Les machines,
les outils, les appareils se perfectionnent, les produits de toutes sortes se
multiplient, mais ils ne contribuent pas vraiment à résoudre des problèmes
essentiels. Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce point, tout le monde est
en train de le constater. Et pourquoi cette situation ? Parce que cet
intellect, sur lequel on a tellement mis l’accent pour le développer, ne se
préoccupe pas tellement du bien des autres; il essaie de se donner l’apparence
de l’honnêteté, de la justice, de l’altruisme, et il y arrive car il est très
doué pour trouver des arguments, mais ce n’est que l’apparence.
On a longtemps cru que le progrès de
l’instruction amènerait le bonheur sur la terre. Eh bien, on voit maintenant de
quelle nature est ce bonheur et combien en bénéficient. Il est très utile de
faire travailler l’intellect, mais comment et à quoi ?
Voilà la question qu’il faut se poser.
L’intellect est surtout devenu une arme redoutable chez certains, parce qu’en
même temps que l’instruction, on ne leur a pas inculqué le besoin de développer
leurs qualités morales. Or, l’intellect par lui-même n’est pas moral, il est
naturellement porté à chercher les moyens de se satisfaire en l’homme que les
intérêts les plus égoïstes.
En réalité, l’intellect pourrait jouer un
rôle très bénéfique dans la vie morale des humains s’ils savaient mieux comment
l’utiliser. Si on étudie les statistiques, on voit que c’est dans les milieux
intellectuels qu’on rencontre le plus de personnes fragiles et même
déséquilibrées, malades. Car l’usage qu’elles sont habituées à faire de
l’intellect ne les protège pas des troubles psychiques; au contraire il
contribue à les amplifier. L’intellect est capable d’observer et de réfléchir
sur les événements qui se déroulent en nous et autour de nous, mais il n’est
pas capable de trouver de véritables solutions. Car l’intellect, ce n’est pas
encore l’intelligence, il est trop limité; son champ de vision est trop étroit,
trop superficiel.
La véritable intelligence commence au
moment où l’homme, ayant appris à lier le corps mental au corps causal devient
capable de maîtriser ses pensées et ses sentiments afin de tout utiliser pour
son bien et celui du monde entier.
Sinon, il ne peut que se nuire à lui-même
et nuire aux autres. Ce n’est qu’après avoir jugulé les forces anarchises des
plans astral et mental que l’homme accède à la véritable intelligence. Il ne
faut pas s’étonner si certains que l’on considère comme de grands savants, de
grands philosophes commettent de grossières erreur ; quand on ne cherche pas à
s’élever au-dessus des plans astral et mental pour atteindre le plan causal, on
en peut que se tromper.
L’intuition est une vision, une réception
instantanée, une saisie immédiate et totale de la réalité. On peut la définir
comme une faculté du corps causal.
Dans le plan causal, qui se situe au-delà
des plans astral et mental, le sentiment et la pensée sont confondus; il est
donc possible, en même temps, de sentir et de comprendre; parce que les humains
ne connaissent d’eux-mêmes que les manifestations du corps astral et du corps
mental, cette possibilité supérieure de penser et de sentir à la fois leur est
fermée. La majorité d’entre eux se débattent, tiraillés entre leur cœur et leur
intellect, sans comprendre que la seule façon d’harmoniser ces deux principes
psychiques est de développer l’intuition.
L’intuition est en même temps une
sensibilité et une intelligence, une sensibilité et une intelligence à un
niveau supérieur. Pour arriver jusque-là, le chemin est difficile; celui qui
veut développer cette faculté doit non seulement être animé par un haut idéal,
mais recevoir d’un maître des notions justes afin de ne pas s’égare ; et il
doit aussi avoir une volonté inébranlable, car c’est chaque jour qu’il y a des exercices
à faire pour conserver, quoi qu’il arrive, la direction vers le haut.
L’intuition ne peut se manifester chez
celui qui accepte de vivre dans la turbulence des émotions et des passions du
cœur, ou dans les intrigues, les manigances, les calculs intéressés de
l’intellect. Pour y voir clair, il doit mettre de l’ordre dans tout son être,
afin de ressembler à la surface d’un lac limpide où le ciel vient se refléter.
Grâce à ses capacités d’observation, de
raisonnement, l’intellect nous permet de faire déjà une partie du chemin. Oui,
mais arrivé à une certaine limite, il nous abandonne, il est incapable de nous
mener plus loin, il nous dit : « c’est une région où je ne peux pas te guider,
il est impossible d’aller plus loin ; je t’ai amené jusqu’ici et maintenant
c’est à d’autres forces, d’autres facultés, d’autres entités de te
conduire ».
L’intellect est l’instrument le plus
formidablement utile pour préparer les conditions, déblayer la voie, mettre les
choses en place en attendant que l’intuition puisse se manifester.
Il vous aide à surveiller, à contrôler ce
qui se passe dans votre tête et dans votre cœur, à éliminer les pensées et les
sentiments négatifs, à conserver au contraire les pensées et les sentiments
constructifs, bénéfiques, et à décider de les amplifier. Quand vous avez ainsi
introduit en vous l’ordre, la clarté, la paix qui sont les conditions
indispensable pour entrer en contact avec le ciel, ce sont d’autres courants
qui viennent vous prendre pour vous amener jusqu’à la région divine de la lumière
infinie et du savoir absolu. Là, d’un seul coup, vous avez des révélations.
Car c’est cela, l’intuition: une
étincelle, une lumière projetée, un savoir que l’on capte de l’intérieur, sans
pouvoir discerner d’où et comment c’est venu; mais on ressent avec une
certitude absolue que c’est ainsi et pas autrement. Les vérités, les
connaissances que nous recevons par l’intuition sont sans défaut. C’est comme
s’il existait en nous un être dont le regard est capable de pénétrer la réalité
des choses et de nous communiquer ce qu’il perçoit, en prenant en considération
non seulement les éléments du plan physique, mais tous les éléments invisibles
et subtils qui échappent à la compréhension ordinaire. Ainsi, l’intuition est
une révélation d’un ordre supérieur à l’intellect; c’est tout le ciel qui vient
se refléter sur la surface limpide de notre conscience. Il est bon d’avoir une
pratique quotidienne de ce monde de l’intuition.
C’est pourquoi, lorsque vous avez un
problème important à résoudre, trouvez un lieu et un moment propices pour vous
concentrer. Faites taire les voix discordantes du cœur et de l’intellect, et
quand vous avez obtenu le silence, essayez de vous élever très haut par la
pensée.
Lorsque vous sentez que vous avez réussi
à atteindre un certain point, posez la question qui vous préoccupe et attendez
paisiblement; il y aura toujours une réponse. Au début, ce ne sera peut-être
qu’une sensation vague, difficile à interpréter, mais ce sera déjà un indice.
Alors, n’abandonnez pas, recommencez à vous fier au monde de la lumière,
reposez la question… plus vous aurez appris à maîtriser les mouvements des
plans astral et mental, plus la réponse que vous recevrez sera claire et
précise.
L’intuition est une forme de vision, mais
une vision dans laquelle l’intelligence s’allie à la sensibilité pour nous
donner la connaissance complète.
C’est en ce sens qu’elle est supérieure à
la clairvoyance, car la clairvoyance n’est que la vision du côté objectif,
matériel des plans astral et mental. On voit et on est terrifié ou émerveillé,
mais ces sensations n’apportent ni la connaissance, ni la compréhension. Tandis
qu’avec l’intuition, on ne « voit » peut-être rien, maison comprend
les choses beaucoup mieux que si on les voyait, car on les vit, on les sent.
L’intuition est donc supérieure à la
clairvoyance, c’est elle qui donne la véritable compréhension de la vie.
Un véritable spiritualiste ne se
préoccupe donc pas de ce qu’il peut voir dans les plans astral et mental. Il ne
travaille pas pour ça, il passe au-delà, il veut des réponses supérieures.
Quand il aura appris à recevoir des
réponses de l’intuition, il pourra essayer de développer la clairvoyance et la
clairaudiance. Mais d’abord, il doit viser le but le plus élevé, sinon ces
visions, ces images flottantes s’accrocheront à lui et l’empêcheront d’aller
plus loin. Oui, il faut le savoir, les mondes astral et mental sont des lieux
de troubles, de confusion. Celui qui s’y aventure est harcelé, agrippé par
toutes sortes d’existences malsaines dont il n’arrive pas à se dépêtrer pour
aller plus haut; il est obligé de s’arrêter en chemin, et c’est une entrave à
son évolution.
Donc, tant que vous ne possédez pas les
connaissances et les pouvoirs qui permettent d’explorer sans risque ces
régions, il est préférable de les traverser rapidement, les yeux fermés, et de
concentrer tous vos efforts sur l’intuition.
Il existe de nombreuses méthodes pour
développer l’intuition. La plus sûre est de travailler sur la pureté, c’est à
dire d’éviter d’avoir des partis pris et d’agir par intérêt.
Plus vous serrez capable de vous montrer
ouvert, compréhensif, désintéressé, soucieux de l’épanouissement des autres
plus ce qui vous empêche d’y voir clair disparaîtra et vous pourrez connaître
enfin les choses et les êtres dans leur réalité.
« Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière. »
Victor Hugo