Ecran noir
« Ferme les yeux et tu verras. »
Joseph Joubert
« Si un homme veut être sûr de son chemin, qu'il ferme les yeux
et marche dans l'obscurité. »
Saint Jean de la Croix
« Plus nous ouvrons les yeux, plus la nuit est profonde ;
Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde,
Un plus obscur abîme où l'esprit s'est lancé. »
Alphonse de Lamartine
Ouvrir les yeux pour découvrir le monde extérieur est une nécessité vitale, avec la mobilisation de tous nos sens et de leurs organes affutés pour l’exploration du terrain sur lequel nous évoluons.
Mais il est une autre expérience, plus rare, plus insolite, qui consiste à fermer les yeux, tout éveillé, en s’abandonnant à ce vide soudain de noirceur enveloppante.
Première impression : un sentiment de calme, puis de manque.
La fonction essentielle de la vigilance s’arrête et c’est une sensation de repos, de lâcher-prise qui apparaît presque immédiatement ; c’est comme un soulagement de ne plus devoir assumer cette tension visuelle quotidienne qui est notre ordinaire du lever au coucher.
Mais ce sentiment paisible et léger ne dure pas longtemps ; il est très rapidement remplacé par une impression de manque, de privation. Le mental essaie de reprendre le contrôle de la situation et de mettre un terme à cet interlude.
La vision est une addiction nécessaire à un fonctionnement mental optimisé ; plus il y a profusion d’images et plus il peut occuper le terrain en maître, générant analyses, ressentis, jugements, distractions, éveil des sens, réveil de pulsions, etc.
Deuxième impression : un sentiment de vide, puis d’impatience.
Survient alors rapidement une sensation de vide ; cette obscurité qui nous enveloppe ne véhicule aucun signe, aucun signal interprétable, elle est vacuité totale ressentie progressivement comme lassante puis inquiétante.
L’ego trépigne et donne des consignes pour sortir de ces ténèbres ; il faut ouvrir les yeux, ce genre d’expérience est vain et inutile.
Troisième impression : un sentiment de plénitude et de réceptivité.
Et puis soudain, si nous conservons cette fermeture des yeux en l’assortissant d’un réglage ralenti de la respiration, progressivement le vide initial se remplit de perceptions nouvelles, nourries de tonalités différentes dans l’épaisseur de la noirceur, de mouvements mal identifiables mais repérables, de vagues silhouettes ou paysages suggérés pour disparaître aussitôt que devinés.
Tout se passe à ce moment-là comme si nous étions en mesure de percevoir ce qui nous échappe en temps normal ; nous captons d’autres fréquences, inhabituelles, de nous-mêmes, un peu comme si nous pouvions avoir accès à l’infrarouge ou à l’ultra- violet…
A partir de ce moment-là, nous sommes en phase avec un au-delà de soi-même qui peut nous ouvrir d’autres horizons en permettant une expansion de conscience ayant pour effet de repousser nos limitations habituelles imposées par le temps et l’espace.
Bienvenue dans un monde d’ailleurs, dans d’autres dimensions.
C’est une expérience simple en apparence mais plus ou moins difficile à réaliser selon l’état d’esprit du moment. Il faut savoir que le mental n’apprécie guère ce genre de situation qui lui échappe totalement et le vide qu’elle crée qu’il craint par-dessus tout.
Le mental est là pour meubler l’espace et le temps qui nous sont octroyés, pour définir des schémas de penser, pratiquer des analyses et en tirer des stratégies de comportement ; il est notre pilote automatique et, à ce titre, il n’aime pas du tout qu’on le débranche ; pour lui, c’est comme une petite mort.
Si vous avez la patience et la ténacité de garder le cap, vous verrez surgir sur cet écran noir une étincelle, vive, crue et fugitive ; ce sera très bref, le temps de réaliser ce que vous avez vu et cela aura disparu.
Mais ce n’est pas grave ; l’important c’est que cette étincelle constitue un signal de changement de fréquence vibratoire, qui vous permet de prendre conscience que vous avez atteint un état de calme psychique suffisant pour ouvrir les portes d’autres mondes, et vous en autoriser la perception.
Sachez qu’avec l’entrainement, ce signal apparaîtra régulièrement et de plus en plus tôt.
Ce n’est pas pour autant gagné, car le mental n’a pas dit son dernier mot et, à défaut de pensées en tous genre, il va provoquer des démangeaisons, picotements et autres désagréments épidermiques pour vous ramener à la réalité.
Si vous arrivez à rester concentré sur votre rythme respiratoire et à maintenir votre apaisement, peu à peu une sorte d’engourdissement physique va vous gagner et vous ne sentirez plus du tout votre corps.
Vous verrez alors apparaitre une petite pastille lunaire, au fond du noir, qui va se dilater et s’approcher de vous (à moins que ce ne soit vous qui vous approchiez d’elle) ; puis cette pastille va se transformer en un orifice blanchâtre, laiteux, aux bords échancrés et mouvants, avec lequel vous n’allez bientôt faire qu’un pour avoir accès à d’autres visions tout-à-fait différentes de notre vision oculaire.
Les yeux clos, en nous interdisant la vision, nous ouvrent les portes de l’intuition, par l’intermédiaire du troisième œil, ou glande pinéale ; en fait, c’est un nouveau traitement de l’information qui se met en place, remplaçant l’extériorité mentale par l’intériorité spirituelle et inaugurant une nouvelle résonance vibratoire générant une élévation du niveau spirituel dans l’être.
Alors, qu’attendez-vous pour faire la nuit ?
Dessin de Descartes expliquant la fonction de la glande pinéale où le troisième œil (également dit «œil intérieur » ou « œil de l’âme ») est une métaphore mystique et ésotérique qui désigne, au-delà des yeux physiques, un troisième regard, celui de la connaissance de soi. Dans certaines traditions, le troisième œil est symboliquement placé sur le front, entre les sourcils.
« Il y a alors perception extra-sensorielle, monde de beauté visionnaire, émerveillement de l’instant. Au stade final de l’absence du moi, il y aura une connaissance obscure que Tout est dans Tout, que Tout est effectivement chacun, état par lequel un esprit fin perçoit tout ce qui se produit dans l’univers. »
Aldous Huxley
« Je ne crois plus à rien qu’à ces petits matins où l’étincelle passe … »
Gabrielle Russier