Le rappel de soi
"Je me regarde regarder.
Je me regarde regardant.
Je me rappelle à moi-même dans l'acte de regarder.
[...] Il s'agit d'établir une perception compacte et fixe, par rapport à un Je compact et fixe.
La réelle conscience naît de ce double effort.»
Louis Pauwels
L'Apprentissage de la sérénité
« L'individualité, un "moi" unique et permanent, la conscience, la volonté, la capacité de faire et la liberté intérieure sont des qualités que ne possède pas l'homme ordinaire. »
G.I.Gurdjieff
La notion de soi revêt des sens multiples allant de la réalité de ce qui est (la chose en soi) à l'image que l'on se fait de sa propre individualité (l'ego, le moi), en passant par la réalité individuelle (le Je, le Soi).
Le Soi avec un S majuscule représente le Soi supérieur, par distinction avec l'ego, et désigne l'identité première et ultime de l'être.
Le dormeur doit se réveiller
Le plus important dans notre vie consiste à être capable de discerner quand nous sommes conscients et quand notre conscience s’absente, étant distraite ou endormie. Pour ce faire, il est nécessaire de tourner le regard vers soi, de se regarder soi-même évoluer dans la vie quotidienne courante. Tant que nous ne sommes pas capables d’effectuer cette démarche, nous sommes comme des machines humaines programmées par notre éducation, notre personnalité et l’illusion des prétendus choix que nous faisons, qui ne sont en fait que le résultat d’un véritable déterminisme atavique et social.
En fait, l’homme ordinaire, tant qu’il ne s’est pas éveillé, n’agit pas vraiment mais réagit à des stimuli culturels implantés en lui par tout l’environnement qui le conditionne. Il est plus proche du chien, étudié par Pavlov, que de l’être libre, parce qu’éveillé spirituellement.
Pour s’arracher à ce sommeil profond qui le paralyse en le soumettant à des normes totalement artificielles (argent, pouvoir, paraître, rôle social, hyper activité et fuite de soi-même) il n’a que la possibilité d’aller rechercher au plus profond de lui-même l’authenticité de sa nature originelle d’être spirituel dégagé de toute contingence matérielle. Il doit pour ce faire retrouver sa mémoire, c’est-à-dire se rappeler à lui-même qui il est véritablement, en dehors de toutes les illusions qui le phagocytent.
Métaphoriquement, on emploie l’expression significative que « le dormeur doit se réveiller ».
Prendre conscience de soi
Lorsque nous prenons conscience que notre vie quotidienne est purement hypnotique, que nous agissons tel un robot humanoïde, c’est que nous sommes en train de nous éveiller, en prenant conscience de notre nature réelle originelle.
Cet éveil ne peut se faire qu’en accédant à trois niveaux de compréhension de soi.
Le premier niveau porte sur la nature des choses et est accessible par l’analyse ; le second niveau concerne le sens des choses et est accessible par la compréhension intellectuelle ; enfin, le troisième et dernier niveau relève de la valeur des choses et n’est accessible que par une approche spirituelle.
Autrement dit, quand je pose un acte dans ma vie, je dois l’analyser pour comprendre quel sens il a et ensuite juger s’il correspond réellement à ce que je pensais jusqu’à présent qu’il était. Ce n’est qu’au prix de cet effort qu’on pourra se libérer des conditionnements qui nous entravent et donner la parole à notre individualité spirituelle, le Soi supérieur.
« La vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.
L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur. »
« Les Pensées »
Blaise Pascal
Pas facile d’abandonner le jeu de rôles auquel nous participons toute notre vie ;
Et pourtant si nous le voulons, nous le pouvons.
Avec le temps la lucidité s’installe, avec le recul la sagesse fait son entrée, et soudain, un jour, nos yeux sont décillés et notre âme arrive à se faire entendre, pour rétablir la vérité en dissipant toutes les illusions de la vie.
C’est un peu « mon cœur mis à nu » de Charles Baudelaire, cette « vaporisation du moi » qui permet de se confronter aux seuls vrais mystères existentiels:
« Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.
Où sont nos amis morts ?
Pourquoi sommes-nous ici ?
Venons-nous de quelque part ?
Qu'est-ce que la liberté ?
Peut-elle s'accorder avec la loi providentielle ?
Le nombre des âmes est-il fini ou infini ?
Et le nombre des terres habitables ?
Etc., etc.… »
Distanciation par rapport à tous les aspects superficiels de notre vie et intériorisation consciente et régulière, par des exercices de concentration ou méditation, sont les deux conditions nécessaires et suffisantes à la renaissance à soi-même.
« Ce monde objectif ne constitue pas votre « véritable demeure » - c’est pourquoi vous n’êtes pas heureux. La source sous-jacente de tout ce monde objectif est votre « véritable foyer », retournez-y et soyez satisfait, oubliez le monde même lorsque vous y vivez. L’état de sommeil profond est presque équivalent à votre « véritable demeure ». Le sommeil profond est très relaxant et régénérateur, car vous retournez plus ou moins à votre état originel et véritable. Dans cet état, la conscience « je»
n’est pas présente, ni la connaissance de la personnalité, car la personnalité s’est plus ou moins dissoute dans l’état originel. »
Nisargadatta Maharaj
Sri Nisargadatta Maharaj (mars 1897 - 8 septembre 1981) , enseignant du xxème siècle de la doctrine de l'Advaita Vedānta, ou non-dualité.