« Je n'ai jamais
rien étudié, mais tout vécu et cela m'a appris quelque chose. »
Antonin
Artaud, né Antoine Marie Joseph Paul Artaud,
à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 4 septembre 1896 et
mort à Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948, est un
théoricien du théâtre, un acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et poète
français.
Figure emblématique
de l’artiste incompris, l’œuvre d’Antonin Artaud vise un absolu qui n’a
convaincu que très peu de personnes de son vivant. En 1920, le jeune homme
débarque à Paris pour entamer une carrière dans l’écriture mais ses premières
tentatives ne trouvent pas le succès auprès des maisons d’édition. Homme de
théâtre, il fréquente Lugné-Poë, directeur de l’Œuvre, et joue dans ses
spectacles. Plusieurs collaborations avec des metteurs en scène jalonnent le
parcours d’Artaud comme avec les Pitoëff, avec qui il partage l’idéal du
théâtre du rêve. Avec Vitrac, il fonde le théâtre Alfred Jarry et tente de
rénover la conception du spectacle qui doit être teinté de grotesque et de
risque. Des concepts trop innovants et un public trop frileux font que la
tentative échoue. Le comédien s’essaye au cinéma mais n’obtient que des seconds
rôles et se fait recaler lors des auditions à cause d’une “trop grande acuité
dans l’interprétation”. En 1931, il assiste à une représentation de théâtre
balinais. C’est la révélation. Artaud est convaincu que la parole n’est pas le
véhicule de la pensée mais plutôt son point de suture. Il souhaite un retour au
rituel et prône l’exercice de la transe. Il écrit le recueil intitulé ‘Le
Théâtre et son double’, pamphlet révolutionnaire qui ne trouve pas l’écho
nécessaire pour débarrasser le théâtre de la sclérose du vaudeville bourgeois
et du mélodrame de chaumière. C’est seulement un demi-siècle après la mort
d’Antonin Artaud que ses talents de théoricien et de poète visionnaire sont
unanimement reconnus.
Evène
Lettre
aux Recteurs des Universités Européennes
Monsieur le Recteur,
Dans la citerne étroite que vous appelez
« Pensée », les rayons spirituels pourrissent comme de la paille. Assez de jeu
de langue, d'artifices de syntaxe, de jongleries de formules, il y a à trouver
maintenant la grande Loi du cœur, la Loi qui ne soit pas une loi, une prison,
mais un guide pour l'Esprit perdu dans son propre labyrinthe.
Plus loin que ce que la science pourra
jamais toucher, là ou les faisceaux de la raison se brisent contre les nuages,
ce labyrinthe existe, point central ou convergent toutes les forces de l'être,
les ultimes nervures de l'esprit. Dans ce dédale de murailles mouvantes et
toujours déplacées, hors de toutes formes connues de pensée, notre Esprit se
meut, épiant ses mouvements les plus secrets et spontanés, ceux qui ont un
caractère de révélation, cet air venu d'ailleurs, tombé du ciel.
Mais la race des prophètes s'est éteinte.
L'Europe se cristallise, se momifie lentement sous les bandelettes de ses
frontières, de ses usines, de ses tribunaux, de ses universités. L'Esprit gelé
craque entre les ais minéraux qui se resserrent sur lui. La faute en est à vos
systèmes moisis, à votre logique de 2 et 2 font 4, la faute en est à vous,
Recteurs, pris au filet des syllogismes. Vous fabriquez des ingénieurs, des
magistrats, des médecins à qui échappent les vrais mystères du corps, les lois
cosmiques de l'être, de faux savants aveugles dans l'outre-terre, des
philosophes qui prétendent à reconstruire l'Esprit. Le plus petit acte de
création spontanée est un monde plus complexe et plus révélateur qu'une
quelconque métaphysique.
Laissez-nous donc, Messieurs, vous n'êtes
que des usurpateurs. De quel droit prétendez-vous canaliser l'intelligence,
décerner des brevets d'esprit ? Vous ne savez rien de l'Esprit, vous ignorez
ses ramifications les plus cachées et les plus essentielles, ces empreintes
fossiles si proches des sources de nous-même, ces traces que nous parvenons
parfois à relever sur les gisements les plus obscurs de nos cerveaux. Au nom
même de votre logique, nous vous disons : la vie pue, Messieurs. Regardez un
instant vos faces, considérez vos produits. A travers le crible de vos
diplômes, passe une jeunesse efflanquée, perdue. Vous êtes la plaie d'un monde,
Messieurs, et c'est tant mieux pour ce monde, mais qu'il se pense un peu moins
à la tête de l'humanité.
Antonin Artaud
La Révolution Surréaliste, n°3 (1925)
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