Victor
HUGO
(1802-1885)
Ce que
c'est que la mort
Ne dites pas : mourir ; dites : naître.
Croyez.
On voit ce que je vois et ce que vous
voyez ;
On est l'homme mauvais que je suis, que
vous êtes ;
On se rue aux plaisirs, aux
tourbillons, aux fêtes ;
On tâche d'oublier le bas, la fin,
l'écueil,
La sombre égalité du mal et du cercueil
;
Quoique le plus petit vaille le plus
prospère ;
Car tous les hommes sont les fils du
même père ;
Ils sont la même larme et sortent du
même œil.
On vit, usant ses jours à se remplir
d'orgueil ;
On marche, on court, on rêve, on
souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc cette aube ?
C'est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un
vent inconnu
Vous jette au seuil des cieux. On
tremble ; on se voit nu,
Impur, hideux, noué des mille nœuds
funèbres
De ses torts, de ses maux honteux, de
ses ténèbres ;
Et soudain on entend quelqu'un dans
l'infini
Qui chante, et par quelqu'un on sent
qu'on est béni,
Sans voir la main d'où tombe à notre
âme méchante
L'amour, et sans savoir quelle est la
voix qui chante.
On arrive homme, deuil, glaçon, neige ;
on se sent
Fondre et vivre ; et, d'extase et
d'azur s'emplissant,
Tout notre être frémit de la défaite
étrange
Du monstre qui devient dans la lumière
un ange. »
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