samedi 2 avril 2011

Détruire l'ego

  
"La plupart des gens vivent, que ce soit physiquement, intellectuellement ou moralement, très en dessous de leurs capacités. Nous avons tous des réserves dont nous ne soupçonnons pas l’existence."

William James

« Nous ne sommes pas des êtres humains qui vivent une expérience spirituelle. Nous sommes des êtres spirituels qui vivent une expérience humaine. »

Pierre Teilhard de Chardin

Détruire l'Ego


« On n’apprend jamais d’autrui que ce que l’on sait déjà, car apprendre quelque chose que l’on ne sait pas encore n’est possible que par l’expérience du vécu et non par quoi que ce soit qui puisse être dit ou enseigné, ce à quoi sert précisément le champ de l’expérience apporté par nos incarnations successives, et le Maître, le « guru » de la tradition extrême-orientale, sert à nous rappeler ce que nous avons oublié une fois que nous sommes en quête de ce que nous sommes vraiment, quoi qu’en disent ceux qui refusent que quiconque leur montre ce qu’ils ne veulent pas voir (ce qui est d’ailleurs tout-à fait leur droit sans avoir besoin pour cela de jeter l’opprobre sur la notion de maître spirituel).

Ainsi, l’énergie à la base de la volonté d’une essentielle et inévitable destruction progressive de l’ego, ne peut être induite par quelque conseil donné de la part de quiconque, soit-il le plus grand « libéré » du monde, mais doit naître en soi suite au champ d’expérience exploré en profondeur et finalement inspirant une forme de lassitude ressentie face à la stérilité que représente la course à la satisfaction de l’image que nous avons de nous, au détriment de ce que nous sommes vraiment en nature. La destruction de l’ego, l’abolition de la souveraine importance accordée à la personnalité transitoire et affamée de reconnaissances et d’honneurs, est une bien vaste entreprise, mais c’est le chemin inévitable afin de parvenir à la libération de tout enchaînement intérieur, et par effet de conséquence, également extérieur. Attention cependant car lorsqu’il est question de destruction de l’ego, il ne s’agit SURTOUT PAS de destruction de cette personnalité, pas plus que de la conscience mentale, infiniment précieux au sein du monde de la matière. L’ego en soi n’existe pas, sous quelque forme que ce soit. L’ego n’est qu’une erreur d’interprétation de soi-même, captant la conscience ailleurs que là où elle est requise, contrairement à la personnalité qui est l’ensemble de nos modes d’expressions hérités de notre potentiel karmique et de nos mémoires des vies successives, teinté de programmations sociales et de codes comportementaux, d’habitudes d’identification de soi à ce que nous ne sommes pas, et de manipulations en tous genres depuis le jour de notre conception jusqu’à souvent quelques années après la trentaine.

Le bonheur n’est définitivement pas dans la satisfaction des désirs, des envies, des pulsions, dans la quête de ce qui est « agréable », ni dans la recherche des émotions pas plus que dans celle des sensations satisfaisantes, que cette recherche soit fructueuse ou non…! Mais que ceux qui en sont devenus conscients s’entraînent alors à se considérer comme n’étant PAS séparés, ni du Tout, ni de l’autre, pas plus que de ce que l’on voit autour de soi, simple « bulle » de réalités conforme à la projection sur l’écran mental de ce qui se trouve logé en soi, pas plus que nous ne sommes séparés de ce que l’on ne voit pas, ni de ce dont nous restons ignorants par le fait même de nos propres limitations, telles que notre fermeture d’esprit ou tout simplement nos sens ou notre intellect. Le sentiment de « séparativité », de se sentir profondément séparé de ce qui ne fait pas partie de notre corps physique et pour cette raison, est ce qui brise l’Unité fondamentale du Tout dont nous sommes une indissociable partie interagissant sans cesses avec le reste de la Création.  Se considérer en permanence comme un être fondamentalement séparé et distinct renforce considérablement l’ego, ce sentiment puissant de la distinction entre soi-même et la vision mentale que nous avons de nous par rapport à celle que nous avons d’autrui, induisant de fait le sentiment qui fait des ravages sur notre planète, celui du « rien à foutre, après MOI le déluge », et autres « moi », « moi, je », « à bat celui qui ne me ressemble pas », « à bat le plus faible que moi », etc. La culture de ce sentiment de l’Unité absolue, avec les êtres, les choses, les règnes de la nature, les étoiles mêmes, les mondes visibles et invisibles jusqu’aux limites du créé quel qu’en soit le Plan de conscience, est d’une importance capitale. Une fois l’ego laminé, c’est exactement comme ça que nous percevons le monde: comme une part sans limites de nous-mêmes, êtres sans limites en tant que formes temporaires du sans-limites absolu. C’est grâce à cette évidence se présentant dès lors toujours à notre esprit, que nous pouvons développer une compassion à toute épreuve et un Amour inconditionnel où soi-même d’une part, et tout le reste d’autre part, ne sont que les aspects d’une chose unique aux milliards de formes différentes, sans accorder plus d’importance à soi qu’à autrui (et c’est là, en lisant ces lignes… que notre ego et notre mental frémissent n’est-ce pas?). Et c’est pourtant bel et bien ce qui Est, car celui qui a atteint l’état de Réalisé, se voit littéralement en l’autre, sans se voir prioritairement en lui-même, du moins pas davantage que dans tous le reste… C’est l’ego et lui seul, de par l’activité du mental phagocytaire, qui marque cette frontière illusoire entre SOI et tout le reste, fragmentant, dissociant, disséquant à l’infini, nous faisant croire que quoi que nous fassions, disions, pensions, éprouvions, ce sera sans effets sur tout le reste comme sur nous-même, que nuire à autrui ne nous nuit pas, que ne se sentir concerné par rien de ce qui ne nous touche pas personnellement ne nous impactera jamais directement… L’élimination de l’ego dilue notre conscience objective sur tous les plans de la Création sans limites, nous faisant petit à petit prendre conscience que nous appartenons à la Création entière, que nous avons toujours été fondus en elle comme en son Esprit Créateur, ce que certains esprits étroits ou manipulateurs à l’occasion ont commencé un jour à appeler « Dieu » en associant à ce mot l’idée qu’ils s’en faisaient, ou plus probablement encore, à celle qu’ils voulaient que nous nous en fassions. »



Commentaires faisant suite à l'article "Détruire l'Ego" :



Ophoemon dit :
4 décembre 2009 à 14 h 48 min

On trouve dans beaucoup de traditions initiatiques cette idée que l’homme pour s’éveiller doit tuer le Moi, faute de quoi il court à sa perte. Je pense que cette mort, ou ce meurtre, doit être pris au sens symbolique, un peu comme ce cher Freud insistait sur la nécessité pour le fils de tuer son père, psychanalytiquement, afin de pouvoir se libérer et exister par lui-même, en mettant fin à la tutelle de l’autorité paternelle. Si tel n’était pas le cas, je ne pense pas qu’il soit possible de tuer le Moi comme on tue le cochon, et si cela était possible, je ne crois pas que ce soit souhaitable. Ce serait même une faute grave qui tiendrait de l’automutilation.

Il m’apparaît tout-à-fait préférable de travailler avec l’Ego pour lui rappeler sa véritable nature et le but profond de sa mission. Le Soi doit ramener le Moi à la raison, en l’intégrant progressivement à sa lumière, en le spiritualisant en quelque sorte. Ainsi, l’élévation du niveau vibratoire du Moi va lui permettre d’effectuer une authentique remontée vers la lumière, dont il est un instrument nécessaire et efficace dans la matérialité. C’est ce protocole, lent et difficile, qui doit déboucher, s’il est réussi, sur l’éthérisation de l’être, sur son ascension et donc sa remontée libératoire vers la lumière.



Eléazar dit :
4 décembre 2009 à 22 h 14 min

Vous avez raison, votre logique est entièrement celle du bon sens. Néanmoins vous utilisez une terminologie dont le parallèle n’est pas aisé avec la notion d’ego au sens mystagogique du terme. Je n’assimile pas le « Moi » de la psychologie à l’ego de la Tradition. Le « Moi » est une réalité structurelle. L’ego n’a d’existence nulle part si ce n’est dans l’illusion pure par effet de diffraction entre la conscience de soi et le miroir nous renvoyant notre propre image en tant qu’entité biologique. L’ego n’est que la vision la plus extérieure de soi-même face à la forme que peut prendre une incarnation, sans avoir pour autant son siège où que ce soit en nous. L’ego est en cela plus immatériel encore qu’un mirage…

Néanmoins, se basant sur votre vocabulaire par rapport à ce qu’il désigne, vous avez entièrement raison. Il ne s’agit pas de « tuer » quoi que ce soit, serait-ce dans un pseudo « acte sacrificiel sacré », afin de parvenir à un état supérieur de conscience. Cet état supérieur s’obtient en élevant le champ de conscience et la vibration personnelle. La transformation opérée nous rend en tous points… équivalents à ce que nous étions au départ, mais néanmoins un cran, un degrés, une octave au-dessus!

La destruction de l’ego en tant que telle est impossible car l’effet de prisme duquel il est issu trouve son origine dans l’incarnation elle-même, en l’occurrence la conscience mentale. Sa destruction doit être naturelle en quelque sorte car l’ego, comme le reste, est l’expression d’une énergie ayant ses limites quant à ses possibilités d’expression et de manifestation. Ainsi s’il faut détruire la nuit en soi (prenons cette image en exemple), on ne peut y parvenir en tentant de la « tuer », mais elle disparait d’elle-même au lever du soleil… On ne corrige pas un déséquilibre en tentant de réduire ce qui est en excès, mais en augmentant ce qui est en défaut. L’ego représente un excès de conscience mentale ayant pour axe central le fait de s’identifier à la forme davantage qu’à l’essence, et voyant chaque chose séparée du tout. Et en effet, ce n’est pas en tentant d’éliminer l’ego que l’équilibre en soi se fera, mais un augmentant la conscience non mentale, non réfléchie, non intellectualisée, favorisant le passage de cette conscience vers le seuil supramental où l’ego disparaît alors devant la vibration de cette conscience de l’Eveillé, retrouvant l’essence des choses et non plus seulement leur apparence et le jeu d’illusion qui en découle.

Rien ne doit être détruit en soi ou hors de soi, mais tout doit être sublimé, transcendé, transmuté. C’est ainsi qu’intervient alors la destruction de l’ego, qui n’est en réalité que la perte de son pouvoir sur les circonstances de l’incarnation et le mode de compréhension qui lui est attaché, bien davantage que sa disparition pure et simple… Pourtant à force de ne plus avoir de fonctions, se révélant fondamentalement inutile sur tous les plans, la trace, la signature, l’énergie et donc la manifestation de ce qu’était l’ego jusque là, finit par s’évanouir et disparaître vraiment.

Néanmoins au vu de l’attachement que la plupart des gens nourrissent envers cette notion égotique à laquelle ils s’attachent et s’identifient entièrement, parler de la nécessité de sa destruction est un pré-requis indispensable à l’éventualité de la poursuite d’une voie sincère de réintégration car si le mental qui le nourrit ne finit pas par se taire, il tentera un contrôle systématique sur la tentative de vie initiatique de celle ou celui qui y aspire. Et là où est le mental, le Divin n’est pas, et vice versa. Il s’agit là du premier acte de renoncement nécessaire à la vie mystique aussi basique soit-elle, sans lequel la quête du Suprême en soi est de facto impossible, lui réservant alors un échec assuré tant que l’acceptation de la perspective de sa disparition et de sa nécessité ne sera pas entièrement manifestée et exprimée en conscience.



Ophoemon dit :
6 décembre 2009 à 6 h 38 min

Je vous remercie de votre réponse complète et méthodique, ainsi que de la qualité pédagogique de votre exposé.

Le jour et la nuit sont les deux versants de la dualité, laquelle est la marque de la matérialité de l’incarnation. Le moi et l’ego sont aussi le reflet de cette dualité qui a eu pour effet, en nous fractionnant en de multiples incarnations expérimentales, antérieures et successives ou simultanées et multidimensionnelles, de nous séparer de notre unité spirituelle originelle.

Si je vous ai bien compris, le moi est l’outil biologique de notre existence physique, l’ego en étant la perception que nous en avons à travers les sens et le mental. Sans jouer sur les mots, on pourrait dire, pour schématiser et clarifier les idées, que l’ego est le résultat du regard que le moi porte sur lui-même, et de la compréhension qu’il tente d’avoir de lui-même, se sa nature, de son rôle dans l’existence.

Mais les œillères qui nous sont imposées par les limitations de l’incarnation ont pour effet de corrompre ce regard et de produire une illusion d’optique, parce que les sens n’ont pas accès à l’essence, parce que le mental n’a pas de prise sur l’esprit.

C’est sans doute le fondement de l’éveil spirituel, avec l’expansion de conscience qu’il autorise, de libérer l’être des contraintes existentielles, telles que matérialité et dualité, qui le paralysent. Alors, l’émergence du supramental instaurera le retour progressif à l’unité. Seulement, pour espérer pouvoir atteindre, un jour, cette autre dimension, il faut tout d’abord passer par le mental, mais en modifiant sa façon de regarder, en tournant le regard vers l’intérieur de soi et non plus vers l’extérieur et ses illusions.

Certainement plus facile à écrire qu’à réaliser ; mais n’est-on pas ici pour cela ?



Eléazar dit :
6 décembre 2009 à 9 h 55 min

Très belle conclusion !
Néanmoins il est indispensable de prendre conscience d’un détail essentiel et de s’en souvenir à toute force: la quête n’est peut-être pas chose facile et d’ailleurs tant mieux car de la facilité rien ne nait de bon. En revanche, la quête est d’une infinie simplicité, infiniment plus simple que tout ce qu’on pourrait s’imaginer. Atteindre son but est tout aussi simple, puisque la quête est le but. Tant qu’on n’en a pas fait l’expérience, on peut difficilement s’en rendre compte, et pourtant pour atteindre cet intangible objectif, cet incommensurable sommet à l’altitude qui donne le vertige et dont il nous semble toujours que nous soyions si éloignés, il n’y a qu’à tendre la main…! Il ne nous reste pas à devenir le Divin en nous, nous le sommes déjà. Il nous reste seulement qu’à en prendre conscience en profondeur, et à l’accepter. La clef de la Réalisation est vraiment là. Le reste n’est qu’un affinage sans fin… en Dieu.

Eléazar le Magicien

2 commentaires:

  1. Et si l'ego n'était, tout compte fait, pas à détruire, s'il était une construction mentale nécessaire quand même ?

    L'enfant naît...il est "inconscient" de lui-même, il s'identifie avec le "grand tout"...puis un jour, il dit "je"...et c'est un progrès ! Il y a "détachement" et possibilité de "conscience de soi"... Ensuite, ce "sentiment du moi détaché" grandit, prend des proportions énormes jusqu'à se croire, à l'âge adulte, "séparé du Tout"...
    Si l'on s'arrête là, c'est très dommage...(et c'est à quoi nous incite effectivement notre société moderne).
    Mais si l'évolution et le travail sur soi-même se poursuit, l'ego-égoïste va peu à peu se diluer et revenir, doucement, à la conscience de faire partie d'un Tout qui n'est fondamentalement pas différent de soi-même. C'est le "retour aux sources"...
    Au final, le voyage n'aura néanmoins pas été inutile, puisque l'ego ainsi détaché puis de nouveau relié aura pris conscience et intégré beaucoup de choses en route. Il revient au Tout "enrichi" de ses expériences personnelles.

    D'ailleurs ce qui est vrai pour l'individu l'est sans doute aussi pour l'humanité tout entière...
    Issue de la Source, elle y retourne...après s'être "enrichie" de toutes les expériences vécues dans la matière...

    Faut-il donc encourager à "tuer" l'ego ? Sans doute pas puisque c'est une étape nécessaire quoique temporaire. Je dirais qu'il faut plutôt, une fois qu'il est développé, inciter à le dépasser...

    L'image qui me vient pour décrire cela est celle d'une petite goutte d'eau détachée de l'océan, et qui, parce qu'elle voit les choses d'un peu plus haut, parce qu'elle est détachée, peut prendre conscience du Tout qu'elle vient de quitter...nécessairement, tôt ou tard, elle redescendra, donc reviendra à ce Tout de l'océan, dont elle n'est pas distincte, mais avec, en plus, la "vision" que ce moment de "détachement" aura permis...

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  2. Merci pour ce commentaire intéressant, la Licorne, qui confirme mon analyse personnelle. Pour moi, l'ego est le prolongement du Je, qui lui est nécessaire pour réaliser ses expériences dans la matière. A un moment-donné, à défaut d'amputation, il me semble qu'une jonction-fusion entre les deux constitue la consécration de l'expérience spirituelle de la vie.

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