Les
mots ne sont pas de ce monde
Hugo von Hofmannsthal
Hugo von Hofmannsthal, né le 1er février 1874 à Vienne et mort le 15 juillet 1929 à Rodaun (Autriche), est un écrivain
autrichien et un des fondateurs du Festival de Salzbourg. C'est un Rimbaud qui recommence -
ou continue - à écrire après avoir constaté la faillite de la parole.
«Au commencement était le Verbe. Avec ces
paroles, les hommes se trouvent sur le seuil de la connaissance du monde et ils
y restent, s’ils restent attachés à la parole. Quiconque veut faire un pas en
avant, ne serait-ce qu’un minuscule pas, doit se libérer de la parole, doit se
libérer de cette superstition, il doit essayer de libérer le monde de la
tyrannie des mots.»
Fritz Mauthner
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«Les mots ne sont
pas de ce monde, ils sont un monde pour soi, justement un monde complet et
total comme le monde des sons. On peut dire tout ce qui existe, on peut mettre
en musique tout ce qui existe. Mais jamais on ne peut dire totalement une chose
comme elle est. C’est pourquoi les poèmes suscitent une nostalgie stérile, tout
comme les sons.»
«Cela va un peu te perturber au début, car on a cette
croyance chevillée au corps – une croyance enfantine – que, si nous trouvions
toujours les mots justes, nous pourrions raconter la vie, de la même façon que
l’on met une pièce de monnaie sur une autre pièce de monnaie de valeur
identique. Or ce n’est pas vrai et les poètes font très exactement ce que font
les compositeurs; ils expriment leur âme par le biais d’un médium qui est aussi
dispersé dans l’existence entière, car l’existence contient bien sûr l’ensemble
des sonorités possibles mais l’important, c’est la façon de les réunir; c’est
ce que fait le peintre avec les couleurs et les formes qui ne sont qu’une
partie des phénomènes mais qui, pour lui, sont tout et par les combinaisons
desquelles il exprime à son tour toute son âme (ou ce qui revient au même :
tout le jeu du monde). »
«Les mots flottaient, isolés, autour de moi; ils se
figeaient, devenaient des yeux qui me fixaient et que je devais fixer en retour
: des tourbillons, voilà ce qu'ils sont, y plonger mes regards me donne le
vertige, et ils tournoient sans fin, et à travers eux on atteint le vide.»
«La plupart, l’immense majorité des livres ne sont pas de
vrais livres; ils ne sont rien d’autre que de mauvaises répétitions morcelées
des rares vrais livres. Mais pour le lecteur, ça ne change pas grand-chose, il
n’a pas besoin de se soucier de savoir si le premier ou le troisième messager
raconte quelque chose, si le message est digne d’être entendu. Dit un peu
grossièrement, les livres me semblent avoir cette fonction dans l’existence :
nous aider à prendre conscience et de ce fait à profiter pleinement de notre
propre existence. Qu’ils le fassent comme un tout ou de façon fragmentaire, ou
plus ou moins, c’est une affaire personnelle. Il est possible que, pour moi,
certains livres signifient en partie ce que je signifie pour toi : un compagnon
qui se déclare.»
« Il y a des étoiles qui, à cette heure précise,
sont atteintes par les vibrations provoquées par la lance qu’un soldat romain a
plantée dans le flanc de notre Sauveur. Pour cette étoile, c’est une chose qui
est simplement du présent. Remplace maintenant ce médium simple qu’est l’éther
par un autre chemin de propagation, allant de l’âme de celui qui vit quelque
chose à l’oreille de celui à qui il le raconte. De la bouche de ce dernier à la
suivante et ainsi de suite, avec au milieu toujours une halte dans le cerveau
de ces gens, une halte qui ne va pas sans une modification de l’image réelle
originale. Prends dans cette chaîne un poète, profond, et une foule de gens qui
ne font que répéter. N’est-ce pas ce qui fait pleurer les enfants au bout de
trois mille ans, une chose vraie et réelle et digne qu’on pleure à son sujet ?
Coupe la chaîne à un autre endroit et à la place du conte tu obtiendras
peut-être une prière fervente où l’âme, tenaillée par la peur, lance un cri
vers Dieu, exactement comme le prince dans le conte, qui, épouvanté, se jette
par la fenêtre d’une haute tour et disparaît dans l’eau noire. Coupe encore
ailleurs et tu entendras une ineptie sans saveur. Certains
maillons de cette chaîne sont justement des livres.”
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