Les
univers
parallèles
Si nous prenons la notion d'univers parallèles dans son sens le plus large, tout en voulant être très précis, nous en donnons la définition suivante : il s'agirait de l'existence, parallèlement à notre univers sensible perceptif mais selon des modalités analogues de manifestations, d'autres univers sensibles. Ces régions se trouveraient normalement coupées, indépendantes de notre univers perceptif, mais pourraient parfois interférer avec le nôtre.
L'idée d'univers parallèles suppose donc bien celle de séparation entre deux domaines perceptifs, mais aussi celle des passages occasionnels d'une région à l'autre. Thème fascinant en vérité, que celui-ci ! Bien des récits fantastiques et de science-fiction l'utilisent : idée de phénomènes au cours desquels on passe de notre univers perceptif en un autre, ou vice-versa. La notion d'univers parallèles doit donc être distincte d'autres problèmes fascinants : celui de l'existence d'innombrables formes de vie sur les autres planètes que celles du système solaire, ou même de la galaxie ; celui de l'existence, au centre de la terre, de vastes régions inconnues ; celui, aussi, de l'existence de contacts entre le présent tel que nous le vivons hic et nunc et d'autres niveaux temporels (passés ou futurs) ; enfin, celui de ‘l’au-delà’ au sens précis du terme, c'est-à-dire des régions où se situerait la survie des esprits désincarnés.
Certes, les diverses implications ainsi distinguées se trouvent parfois quelque peu confondues. Si nous prenons, par exemple, nombre de récits contemporains de science-fiction fondés sur le passage d'un niveau temporel à l'autre, ce thème recoupe volontiers celui des ‘univers parallèles’: la durée telle que nous la vivons dans les conditions habituelles se trouve fragmentée par la série linéaire ‘passé - présent et futur’, alors que l'essence des choses baigne dans un éternel présent où tous les événements se trouvent donnés d'une manière simultanée. Un récit assez peu connu, mais de grande valeur : ‘La belle Valence’, de Théo Varlet et André Blandin (Paris, Éditions Malfère, 1923), nous relatera ainsi la fantastique aventure de tout un groupe de combattants français de la guerre 1914-1918 : ayant découvert dans une maison évacuée une bien étrange machine, celle-ci les transportera en arrière dans le temps, en pleine Espagne médiévale tiraillée entre la reconquête contre les Maures et l'établissement impitoyable de l'Inquisition. Mais, alors que les héros vivent de longs mois d'aventures, leur absence vue de l'extérieur, c'est-à-dire aux yeux des témoins restés sur place, ne semblera n'avoir duré que l'espace d'un éclair ; cette dernière idée, tout à fait classique, rejoignant un vieux thème légendaire.Pour traiter convenablement la notion d'univers parallèles, on devrait l'aborder successivement :- du point de vue des faits qui seraient accessibles à l'observation humaine courante ;- d'un point de vue traditionnel ;- d'un point de vue scientifique.
Le point de vue de l’observation courante
Il existe bien des témoignages (Charles Fort, dans son ‘Livres des Damnés’ qu'ont réédité les Éditions Planète, et d'autres auteurs se sont astreints à les recenser) qui relatent l'apparition soudaine d'objets, voire d'êtres qui se ‘matérialiseraient’ brusquement dans notre univers sensible. Les spirites désignent ces phénomènes sous le nom d'apports; mais, si des ‘séances’ médiumniques ont été marquées de tels prodiges (apparition soudaine de fleurs ou de pièces de monnaie, matérialisation temporaire d'un être venu ‘d'ailleurs’, des faits analogues ont été rapportés, qui se seraient passés en plein jour et au vu de nombreuses personnes.
On comprend le scepticisme qui s'empare tout de suite d'un esprit rationaliste au récit de tels prodiges ; bien des cas se révèlent aisément explicables par des illusions, voire par de franches hallucinations. En voici un fort bel exemple que nous rapporte le célèbre écrivain Walter Scott, dans La ‘Démonologie’ ou ‘Histoire des démons et des sorciers’, traduction française d'Albert Montémont (Paris, Menard, 1838) p. 19-20, d'après le témoignage du chroniqueur écossais Patrick Walker : « En l'année 1686, aux mois de juin et de juillet, plusieurs personnages encore vivants peuvent attester que, près le bas de Crosford, deux milles au-dessous de Lanark et particulièrement aux Mains, sur la rivière de la Clyde, une grande foule se rassembla plusieurs fois après-midi. Il y avait là une pluie de bonnets, de drapeaux, de fusils et d'épées ; les arbres et le terrain en étaient couverts : des compagnies d'hommes armés marchaient en ordre le long de la rivière; des compagnies rencontrant des compagnies se ruaient les unes sur les autres, et, tombant à terre, disparaissaient ; d'autres reparaissaient immédiatement et marchaient dans la même direction. Je suis allé là trois fois consécutivement dans l'après-midi, et j'ai observé qu'il y avait les deux tiers des personnes qui avaient vu, et un tiers qui n'avait rien vu, et, quoique je n'eusse rien vu, ceux qui voyaient avaient une telle frayeur et un tel tremblement, que ceux qui ne voyaient rien s'en apercevaient bien (...). Ceux qui voyaient ces choses-là pouvaient décrire les espèces de batteries de fusils, leur longueur et largeur, et la poignée des épées, si elles étaient petites ou triangulaires, ou selon la mode des montagnards ; les ganses de bonnets noirs ou bleus ; et ceux qui virent ces objets, en sortant de chez eux, aperçurent un bonnet et une épée qui tombèrent sur le chemin ».
Mais il ne suffit évidemment pas d'une préparation impressionnante de faits aisément réductibles à des illusions ou à des hallucinations pour entraîner la fausseté ipso facto de tous les témoignages invoqués.On connaît l'explication scientifique des mirages vus dans le désert par les voyageurs ; il ne s'agit pas d'hallucinations, mais du reflet d'un lieu réel (ville, lac, etc.) situé à une très grande distance, et dont l'image se trouve projetée en un point déterminé. Or, il existe dans le désert américain de l'Arizona un mirage, toujours le même et se manifestant au même endroit, qui représente une ville « ne ressemblant à aucune cité terrestre connue ». Faudrait-il supposer que, dans ce lieu, s'opère la projection d'une ville qui existe dans un univers ‘parallèle’ au nôtre? Ce serait pourtant la seule explication concevable.
Naturellement, les auteurs fantastiques et de science-fiction ont volontiers traité le thème, si fascinant, du contact soudain entre notre univers perceptif et d'autres régions, existant ‘ailleurs’, mais dans un ‘ailleurs’ se situant dans le même plan, au même niveau d'existence que le nôtre. L'un des plus beaux exemples est la longue nouvelle de l'auteur belge Thomas Owen : « Etranger à Tabiano », publiée dans le recueil « Cérémonial nocturne: Contes insolites » (Collection Marabout, 1965). Le héros du récit se trouve dans sa barque, perdu en un épais brouillard. Quand il en émergera, il se trouvera avoir abordé en un pays inconnu situé dans un univers autre que le nôtre. Il ne s'agit pas d'une région différente, d'un autre plan d'existence: les lieux, les hommes sont tout aussi réels, tangibles, palpables que dans notre monde. Tabiano se trouve clos sur lui-même d'une part par la mer sans limites, de l'autre par une région montagneuse et désertique. « A l'horizon, des montagnes blanches dont on eut dit les flancs couverts de miroirs, brasillaient au soleil. Lorsque le jour baissait, d'extraordinaires jeux de lumière métamorphosaient cette cordillère rocheuse, dont on devinait mieux dans une douceur accrue, plus supportable à l'œil, qu'elle était faite d'une pierre où le mica affleurait de toutes parts ».
En certaines circonstances, il se produit un épais brouillard, au cours duquel se réalise le contact entre cet univers et un autre : « Nous cheminions dans une sorte de brouillard dense, étonnamment agréable au toucher, neutre, sans odeur. Je m 'y sentais plus léger que dans l'air (...). On dit (...) qu'à la faveur, ou la défaveur, de ce phénomène relativement rare, il arrive que certains disparaissent, ayant franchi la limite du lieu et du moment, désormais perdus pour les leurs. (Mais, sans doute en un autre monde qui les a absorbés, recommencent-ils une vie nouvelle.)C'est le temps de la compénétration. Celui où deux mondes, momentanément jouxtés, ou mieux, se chevauchant, mêlent quelques heures leur orbe comme deux cercles qui se coupent.Le double segment ainsi formé, appartenant ensemble à chacun d'eux, se trouve être la zone de brouillard. Par bonheur, nous ne passâmes point de l'autre côté».
Le héros, et la jeune femme qu'il a sauvée, chercheront en vain à franchir l'inexorable limite que forment les interminables montagnes désertiques : Un paysage, jamais vu, s'étendait devant nous. Il semblait que nous fussions arrivés à la barrière du monde. Un chaos terrifiant bouleversait la terre jusqu'aux plus lointains horizons. Finalement d'ailleurs, ce sera l'impitoyable barrière de flammes : Déjà, à plusieurs reprises, parmi les multiples mirages de ce désert sans limites, nous avions vu, à intervalles réguliers, monter dans le ciel de brusques lueurs. La nuit s'illuminait ainsi en bouffées inexplicables. Durant le jour, l'atmosphère même paraissait basculer sous des poussées incandescentes qui nous remplissaient d'inquiétude et d'effroi.Enfin, après mille crêtes franchies, du haut d'un plateau peuplé de pitons gréseux auxquels l'érosion avait donné l'aspect de tours en ruines, nous pûmes découvrir la nature et l'ampleur terrible du phénomène.Au pied même d'une muraille de pierre, que sans doute nous ne pourrions jamais franchir, couraient des flammes presque blanches, énormes, monstrueuses, qui explosaient brusquement en bouquets d'étincelles.Une clarté aveuglante annonçait quelque mystérieux et imminent point de fusion. Le feu rongeait le roc, en faisait les couches horizontales se disjoindre, se distendre, se tordre, éclater enfin en fragments dont les flancs, mis à jour après avoir été des siècles enfouis, possédaient une couleur inconnue d'une pureté extraordinaire. La pierre se désagrégeait de seconde en seconde. Des lézardes couraient au loin le long des moyes, soulignées d'un sifflement terrible de poussière et de vapeur.Bientôt rongée, mangée par les flammes d'une incroyable vigueur, la paroi de roche parut s'amincir, se tendre sous une poussée intérieure, se bomber ainsi qu'une cloison trop faible prête à se rompre.Et voilà qu'elle se délitait, s'ouvrait de partout, s'éventrait, s'abandonnait, libérant un flot monstrueux d'eau noire. Enfin elle s'écroulait dans un chaos primaire de blocs de boue, de pans de montagnes entiers qui s'écrasaient en déroute sur l'énorme brasier dans un fracas indicible de volcan qu 'on eut voulu éteindre ».
On pourrait songer à un autre sens possible susceptible d'être donné à ce passage : dans les traditions de haute magie, il est fait allusion à la terrible muraille de flammes que le téméraire doit franchir, s'il veut dépasser les apparences sensibles nous atteindre les plans supérieurs à la vie terrestre particularisée.
Dans de nombreux récits de science-fiction, on trouve le thème complémentaire de celui des ‘apports’ (pour reprendre le terme spirite : les choses ou êtres d'un autre monde qui se manifestent tout d'un coup dans notre univers à nous) : celui de la disparition soudaine d'objets ou de personnes, qui passent de notre monde à un ‘univers parallèle’. Mais la question se posera : oui ou non, de telles disparitions -passages ‘ailleurs’ plutôt- se produisent-elles dans la réalité? En éliminant les récits mythiques et aussi l'interprétation fabuleuse de faits normalement explicables, il reste quand même un noyau troublant de cas de ce genre.L'une des plus célèbres de ces disparitions mystérieuses fut, au début du XIXe siècle, celle d'un diplomate britannique. Nous en donnerons le récit d'après l'étude signée Jérôme Cardan, dans le numéro 28 (1966) de la revue Planète, p.44 : « Un jour d'été 1809, Benjamin Bathurst, ambassadeur de l'Angleterre auprès de la cour d'Autriche, se trouvait dans une petite ville allemande. Son carrosse s'arrêta devant une auberge. Il en descendit, en fit le tour. Les chevaux le masquèrent un instant à la vue de l'aubergiste, de ses domestiques et de quelques voyageurs qui se trouvaient là. Il ne reparut jamais (...). Les passions politiques s'enflammèrent, puis se calmèrent. Mais on ne retrouva jamais Benjamin Bathurst ».
Lors d'un voyage en Cornouailles britanniques (octobre 1961), nous apprîmes nous-mêmes un fait de ce genre, qui avait défrayé la chronique locale : la disparition soudaine d'une dame et de son chien, sur un petit chemin au bord de la mer, devant des témoins situés à distance suffisamment courte pour avoir été capables de voir toute agression soudaine, ou une chute éventuelle dans un trou ignoré. On ne revit jamais cette pauvre femme, mais le cadavre de son chien -ramené par les vagues- fut retrouvé quelques jours après dans les rochers... Dans le folklore de divers pays, et dans les Iles Britanniques notamment, il nous est volontiers parlé de personnes enlevées par le mystérieux ‘petit peuple’ réfugié dans des cavités souterraines. Thème magique traditionnel, repris par de grands auteurs fantastiques comme Arthur Machen ou H.P. Lovecraft.
Vers 1930, le Cyclops, un torpilleur de la marine américaine, disparut par temps calme sans que les spécialistes puissent donner la moindre explication. A supposer que des espions aient pu placer une bombe à retardement, il serait forcément remonté de nombreux débris à la surface, comme c'est toujours le cas lors d'une explosion.Il arrive que des avions disparaissent tout d'un coup, sans S.O.S. préalable, sans débris retrouvés au sol, et sans qu'il s'agisse de l'océan, d'une région montagneuse ou désertique, où ceux-ci risqueraient donc de passer inaperçus pendant de nombreuses années. Malgré les consignes de silence adoptées par les états-majors, on a souligné divers cas d'avions militaires brusquement disparus au moment où ils allaient entrer en contact avec un ‘objet volant non identifié’. A propos de ces fameuses ‘soucoupes volantes’, on est (semble-t-il) obligé de penser à l'hypothèse des univers parallèles : ces engins, en effet, jouissent de l'extraordinaire possibilité d'apparaître et de disparaître soudainement, comme s'ils surgissaient d'un autre monde et y rentraient tout d'un coup.
Mais, chacun de nous n'a-t-il pas, chaque fois qu'il dort, la possibilité d'entrer en contact avec un autre mode d'existence? Lorsque nous rêvons, et alors que notre corps repose sur un lit, nous avons conscience de vivre toutes sortes d'expériences, d'aventures qui se déroulent en des lieux variés. Et il faudrait également parler de ces visions éprouvées à l'état de veille, et dont certaines sembleraient presque revêtir l'allure de ‘matérialisations’ brusquement surgies d'ailleurs.
Sur les rêves et visions, la bibliographie est particulièrement abondante. Nous nous contenterons de citer l'un des ouvrages les plus récents et complets, celui de Raymond de Becker : ‘Les machinations de la nuit’ (Éditions Planète, 1965).On connaît la place jouée par les expériences oniriques dans le romantisme, le symbolisme, le surréalisme. Citons un passage célèbre de Gérard de Nerval (Aurélie, 1re Partie, I) : « Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pas pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence ».
Donnons aussi un texte, bien moins connu, où Nerval nous raconte l'un de ses rêves d'angoisse. Il est extrait du recueil : ‘Les nuits d'Octobre’ (XVII Capharnaüm) : « Des corridors, des corridors sans fin. Des escaliers, - des escaliers où l'on monte, où l'on descend, où l'on remonte, et dont le bas trempe toujours dans une eau noire agitée par des roues, sous d'immenses arches de pont... à travers des charpentes inextricables? - Monter, descendre, ou parcourir les corridors, - et cela pendant plusieurs éternités... Serait-ce la peine à laquelle je serais condamné pour mes fautes ? ».
Toujours cette ambivalence du rêve, générateur d'angoisses comme d'émerveillements.
Mais il n'y a pas que les rêves proprement dits qui réalisent le soudain contact d'un ‘ailleurs’ avec notre univers perceptif habituel : il existe des expériences au cours desquelles, à l'occasion de certains états de conscience, l'être humain peut atteindre à l'illumination, à une sorte de véritable conscience cosmique (pour parler comme certains mystiques modernes) en partant du plan sensible lui-même. On retrouverait ici les ‘Rêveries d'un promeneur solitaire’ de Jean-Jacques Rousseau, ou encore, dans une perspective de recherche toute différente, la manière dont un Marcel Proust retrouvait le temps perdu, ou encore celle dont un André Hardellet (2) peut retrouver les expériences où la conscience passe de l'autre côté des choses, redécouvre la perception vraie et totale en brisant enfin la muraille (si ténue mais tellement dure à franchir) des apparences illusoires.
Le temps peut se prêter à notre perception libérée; le déroulement linéaire de la série temporelle (passé - présent - avenir) ne serait-il pas une illusion? Pour en revenir à Gérard de Nerval, une bonne étude de Georges Poulet (publiée dans les Cahiers du Sud en 1938) a montré combien, dans ce récit, le temps n'est plus du tout le même que le cadre rigide auquel nous accoutument nos expériences quotidiennes.
L'homme n'oublie-t-il pas de remarquer combien il vit dans ‘l’extraordinaire’, à y bien réfléchir? Prenons une expérience apparemment si banale : la mémoire. Grâce à cette faculté, ne pouvons-nous pas revivre à volonté, avec toutes leurs nuances, tous leurs détails, les événements passés? Le monde des images mentales ne vieillit pas... Des expériences exceptionnelles (vision panoramique de tous les faits vécus durant la vie terrestre) - celle des noyés ou perdus sauvés in extremis, comme des faits d'une observation facile (la manière dont, brusquement, un petit fait que nous croyions oublié depuis des années, nous saute aux yeux) attesteraient le caractère total de la mémoire.
Le point de vue traditionnel
Les traditions magiques contiennent maints récits qui se rapporteraient, semble-t-il, à des faits ressortissant au soudain contact avec des ‘univers parallèles’. Il suffit de songer au miroir magique, grâce auquel devient possible la vision de quelque ‘autre’ monde. John Dee, célèbre magicien et alchimiste britannique du temps de la première reine Elisabeth, obtint par ce procédé la communication des plus hauts secrets thaumaturgiques. Dans les grimoires magiques, on trouve nombre de procédés visant à obtenir des visions. Empruntons un passage à l'un des plus fameux, ‘le Livre d'Abramelin le Mage’ (Livre III, chapitre IV) : Pour les diverses Visions :1) Par les miroirs de cristal et de verre.2) Cavernes et souterrains.3) Dans l'air.4) Dans les Bagues et Anneaux.5) Dans la Cire.6) Dans le Feu.7) Dans la Lune.8) Dans l'Eau.9) Dans la Main.
A un degré de plus, nous aurons l'obtention de véritables ‘matérialisations’, qui s'opèrent en cas de réussite du processus magique.
Les auteurs fantastiques ont volontiers utilisé le thème des évocations magiques. Citons l'un des plus remarquables contes de notre ami Claude Seignolle : ‘Le rond des sorciers’, directement inspiré du folklore magique de la Sologne.
Il est tout naturel que les maîtres du fantastique aient été fascinés par la possibilité, traditionnelle en magie, de ‘court-circuiter’ les conditions sensibles habituelles d'espace et de temps. Dans ses ‘Nouveaux contes de Canterbury’ (Collection Marabout, 1963, p. 267 et suiv.), le grand auteur belge Jean Ray avait donné un récit : ‘Le fleuve Flinders’, qui est sans doute un modèle du genre. Il y est question d'une région située au sud-est de l'Australie, et où la magie ancestrale des aborigènes permet, à celui du moins qui osera en utiliser les secrets, la maîtrise des conditions spatio-temporelles. Le soudain bouleversement des conditions sensibles habituelles se trouvant toujours annoncé par un étrange phénomène vibratoire : « Quelque chose siffla dans les airs, comme une fronde qui se détend ».
Dans un autre conte fantastique du même recueil, Jean Ray semble nous laisser supposer sa connaissance personnelle des traditions magiques. Il y écrit en effet (‘Le Bonhomme Mayeux’, p. 135 des ‘Derniers Contes de Canterburv’) : « ...des sciences anciennes et nouvelles, appartenant au trésor infini du savoir de la divinité : science tantrique, connaissance hermétique des prêtres comme des initiés... les fantômes, formes simples de la vie pensante, sont créatures à dimension unique. Chacune de ses dimensions ajoute un poids effroyable à l'essence... L'homme et les choses qui sont de son domaine, créations tridimensionnelles, sont lourdes et grossières au-delà de toute imagination. Il se peut qu'une science de l'avenir, encore jalousement cachée dans l'inconnu, leur octroie la connaissance des êtres qui se meuvent sur un plan encore fort mystérieux : celui d'une quatrième et dernière dimension. Les rêveurs qui les auront revêtus des incroyables atours des dieux, mourront d'effroi et de douleur en les découvrant des milliers de fois plus denses que le fer et le plomb, écrasés par la matière, incapables d'un geste vers la lumière ».
On retrouve ici un double thème traditionnel, commun aux systèmes magiques et à nombre de théologies : celui de la chute par émanation (qui est dégradation, épaississement); celui, d'autre part, de l'existence dans ‘l'ailleurs’ de régions supérieures et inférieures, d'états paradisiaques ou terribles d'existence, d'entités célestes ou infernales. Et nous retrouverions les révélations célèbres de Saint Paul (‘Epître aux Éphésiens’. VI, II) : « Car nous avons à combattre... non contre des hommes de chair et de sang, mais contre des Principautés, contre les Princes de ce Monde, c'est-à-dire de ce Siècle Ténébreux, et contre les Esprits de Malice répandus dans l'atmosphère ».
Thème traditionnel, qui se retrouve sous le fantastique et la science-fiction contemporains. Il nous suffira de mentionner les récits de Lovecraft, peuplés d'inconcevables horreurs venues ‘d'ailleurs’.
Même un thème aussi franchement ‘science-fiction’ que celui de la totale relativité des expériences sensibles d'espace et de temps se retrouverait dans les traditions spirituelles. On sait comment Mahomet, qui était tombé en extase au moment où une jarre d'eau se renversait, eut le temps de voir des formes plus ou moins extraordinaires dans toutes les merveilles des états célestes et infernaux d'existence avant de reprendre ses sens… en s'apercevant que la jarre ne s'était pas encore complètement vidée. Toutes proportions gardées, cela va sans dire, de telles expériences peuvent être vérifiées à l'occasion de ce prodige relativement fréquent : le rêve durant lequel nous connaissons mille aventures, alors qu'il s'est objectivement écoulé un temps minime (dix minutes par exemple).
Dans les traditions de nombreux peuples, il est décrit des lieux, des régions dans lesquels cesseraient de jouer les lois normales de notre réalité sensible — y compris celle du vieillissement et de la mort. En Asie centrale, ce sera le fabuleux royaume de Shangri-la, où les êtres ne vieillissent pas tant qu'ils y demeurent.
Claude Seignolle a écrit un admirable conte symbolique. ‘Le bout du monde’ (p. 111-30 du recueil ‘Contes Macabres’, Collection Marabout, 1966). Le héros, si bien représentatif des éternelles aspirations humaines vers une libération véritable, rêve d'accéder à la mystérieuse vallée perdue: « Je désirais toujours aller dans cette vallée, là-bas derrière, lointaine et secrète, d'où ne revenait jamais aucun de ceux partis la violer par goût du mystère ou orgueil de bravoure. Après bien des périls, il parvient à cette région isolée : Je regardais vers l'aval (de la rivière suivie) et à son aspect d'ailleurs, je sus que j'étais arrivé. Dans cette vallée perdue, le temps se meut à un rythme incomparablement plus ralenti que dans les régions normales. La vallée comporte en son centre un gigantesque pic de granit, rose et nu, où une pie vient à intervalles réguliers retirer un fragment : ... (l'oiseau) venait chaque siècle (de notre temps à nous) se poser sur le pic, d'où il détachait et emportait une parcelle de granit... Lorsqu'il l'aurait ainsi, peu à peu, nivelé jusqu'au ras du sol, ce serait la Fin universelle, dont nous serions les témoins».
Il faudrait également mentionner un étrange thème légendaire traditionnel: celui de l’Agarttha. Selon les témoignages rapportés par Saint Yves d'Alveydre (‘Mission de l'Inde’) et Ferdinand Ossendowski (‘Bêtes, hommes et dieux’- Plon éditeur), il s'agirait effectivement de l'existence de fantastiques régions sises très profondément au cœur de notre planète, dans de prodigieux cavernes et abîmes, à l'échelle inconcevable. L'étrange roman de H. Bulwer Lytton : ‘La race qui nous exterminera’, utilise ce thème légendaire. L'idée de races habitant l'intérieur même de la terre est d'ailleurs répandue dans les contes et légendes d'Asie centrale, des pays celtiques, d'Amérique du Nord, d'autres régions aussi.
N'oublions pas non plus, et c'est ce qui aurait pu donner naissance à ces légendes, l'utilisation des grottes et cavernes, depuis le plus lointain passé, pour des mystères initiatiques. D'où ces fort pertinentes remarques de René Guenon (‘Le Roi du monde’. Editions traditionnelles, p. 55) : « ...on pourrait observer, d'un façon générale que le ‘culte des cavernes’ est toujours plus ou moins lié à l'idée de ‘lieu intérieur’ ou de ‘lieu central’, et (...), à cet égard, le symbole de la caverne et celui du coeur sont assez proches l'un de l'autre. D'autre part, il y a très réellement, en Asie centrale comme en Amérique et peut être ailleurs encore, des cavernes et des souterrains où certains centres initiatiques ont pu se maintenir depuis des siècles…
Mais il existe aussi des légendes où il semble s'agir en fait de l'accès dans des régions situées ailleurs que dans notre univers perceptif normal. Citons la tradition judaïque sur la mystérieuse cité appelée ‘Luz’.
Certes, il nous est dit l'existence d'un amandier (lequel se dit également luz en hébreu), au pied duquel se trouve un trou permettant de pénétrer dans le souterrain qui conduit à la ville cachée. « L'Ange de la Mort ne peut pénétrer dans cette ville et n'y a aucun pouvoir ». Pourtant, il semble bel et bien s'agir de régions situées en dehors de notre perception sensible normale.
Le point de vue scientifique
Si nous abordons le problème des univers parallèles d'un point de vue scientifique, il faut se garder d'un double écueil : déformer les vérités traditionnelles ; déformer, faute de compétence, les travaux des savants. Il est néanmoins fort utile d'en aborder les extraordinaires conséquences. Dans le n° 28 (1966) p. 43-48, de la revue ‘Planète’, l'auteur qui signe Jérôme Cardan (Ce n'est pas le célèbre magicien de la Renaissance, mais un savant actuel dissimulant son identité pour des raisons évidentes) n'hésite pas à nous le dire dans le titre même : ‘Des physiciens croient aux univers parallèles’.
A ce propos, il procède à l'étude des expériences réalisées sur la nature du temps au niveau des microparticules (c'est-à-dire des composants de l'atome, que la physique classique croyait indivisible). Il cite (p.43-44 de l'étude précitée) un article, intitulé ‘Time reversal’, qu'a publié en août 1965, dans le ‘Science Journal’, le docteur J.H. Christenson, de l'Académie new-yorkaise des Sciences : « Une hypothèse audacieuse suggère qu'il existe un univers fantôme ressemblant au nôtre : il n'existe qu'une interaction très faible entre ces deux univers, de sorte que nous ne voyons pas cet autre monde : il se mélange librement avec le nôtre ».
A la fin de 1964, on a découvert une particule élémentaire, le méson K2 0 pour préciser, qui ne respecte pas la loi microphysique de l'irréversibilité du temps. Selon le Docteur Christenson, cette particule se conduirait d'une manière aussi étrange pour la raison suivante : elle se trouve perturbée par les forces d'un autre univers, parallèle au nôtre !
Le postulat scientifique général sera le suivant : la matière, telle que nous la connaissons, se trouve susceptible d'être organisée en systèmes très diversifiés, en nombre pratiquement indéfini; d'où une pluralité d'univers parallèles. On sait que la matière de notre univers obéit à un certain nombre de constantes : nombre d'Avogadro, vitesse de la lumière, constante de Planck, charge élémentaire, etc. Mais, remarque ‘Jérôme Cardan’ dans l'étude citée (p. 46), « supposons ces constantes différentes. Que serait alors un univers ? Inimaginable si la différence est trop grande. Mais peut être susceptible d'interférences avec le nôtre si ces différences sont minimes. Il devrait alors se passer le même phénomène qu 'à la radio où parfois on peut entendre en même temps deux postes émetteurs différents à condition que leurs fréquences soient très voisines ». Si, par un champ de force spécial, on change les constances universelles de la matière constitutive d'un objet, celui-ci disparaîtra alors de notre univers. Ainsi se réaliseraient les prodiges décrits dans les récits de science-fiction.
Selon l'astrophysicien Robert Jordan, l'apparition d'étoiles nouvelles (‘les Supernovae’, tout spécialement) s'expliquerait par le phénomène suivant : des masses matérielles acquérant assez d'énergie pour devenir capables de franchir la barrière séparant deux univers : c'est ainsi qu'elles passent dans le nôtre.
Quant à l’anti-matière, il s'agit de quelque chose de tout différent (bien que l'hypothèse possède ses propres implications pour le problème des univers parallèles). Celle-ci obéit aux mêmes lois, exactement, que la matière constitutive de notre univers ; simplement chacune des particules de l'antimatière possède une charge électrique inverse de celle qu'elle a dans la matière connue. Il ne pourrait donc pas y avoir d'interpénétrations entre notre univers et un univers composé d’antimatière : les contacts ne pourraient avoir qu'une seule conséquence : l'explosion immédiate, la destruction radicale.Loin d'infirmer les conséquences extraordinaires des récits de science-fiction, il semble bel et bien que les découvertes scientifiques récentes les confirment d'une manière vertigineuse. Mais cela ne nous rappellera-t-il pas cette constatation : par son intuition l'homme ne peut-il pas franchir, sans connaître de limites concevables, aussi bien l'infini de l'espace que celui du temps?
Cet article magistral nous avait été donné par notre regretté ami Serge Hutin .
Serge Hutin (né le 2 avril 1929 - décédé le 1er novembre 1997, à la maison de retraite de Prades (Pyrénées Orientales). Franc-maçon, auteur d'ouvrages sur l'ésotérisme et les sciences occultes. Docteur es-lettres, diplômé de l'École pratique des Hautes Études, attaché de recherche au CNRS, il écrira dans la revue Planète.
http://www.france-secret.com/
N.B.- Le lecteur trouvera des éclaircissements sur le problème des ‘univers parallèles’ dans le livre de Serge Hutin : ‘Des mondes souterrains au Roi du monde’ (Albin Michel, 1975).- Sur le problème des soucoupes volantes, nous renvoyons aux ouvrages d'Aimé Michel, de Paul Thomas, de Jacques et Janine Vallée.- Voir également le roman ‘Le Seuil du Jardin’, réédité en 1966 par les Éd. Jean-Jacques Pauvert, Paris.
N.B.- Le lecteur trouvera des éclaircissements sur le problème des ‘univers parallèles’ dans le livre de Serge Hutin : ‘Des mondes souterrains au Roi du monde’ (Albin Michel, 1975).- Sur le problème des soucoupes volantes, nous renvoyons aux ouvrages d'Aimé Michel, de Paul Thomas, de Jacques et Janine Vallée.- Voir également le roman ‘Le Seuil du Jardin’, réédité en 1966 par les Éd. Jean-Jacques Pauvert, Paris.
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