samedi 23 février 2013

Ainsi parlait Hugo von Hofmannsthal

Les mots ne sont pas de ce monde

Hugo von Hofmannsthal




Hugo von Hofmannsthal, né le 1er février 1874 à Vienne et mort le 15 juillet 1929 à Rodaun (Autriche), est un écrivain autrichien et un des fondateurs du Festival de Salzbourg.  C'est un Rimbaud qui recommence - ou continue - à écrire après avoir constaté la faillite de la parole.


 «Au commencement était le Verbe. Avec ces paroles, les hommes se trouvent sur le seuil de la connaissance du monde et ils y restent, s’ils restent attachés à la parole. Quiconque veut faire un pas en avant, ne serait-ce qu’un minuscule pas, doit se libérer de la parole, doit se libérer de cette superstition, il doit essayer de libérer le monde de la tyrannie des mots.»
 Fritz Mauthner

------------------------------

 «Les mots ne sont pas de ce monde, ils sont un monde pour soi, justement un monde complet et total comme le monde des sons. On peut dire tout ce qui existe, on peut mettre en musique tout ce qui existe. Mais jamais on ne peut dire totalement une chose comme elle est. C’est pourquoi les poèmes suscitent une nostalgie stérile, tout comme les sons.»

«Cela va un peu te perturber au début, car on a cette croyance chevillée au corps – une croyance enfantine – que, si nous trouvions toujours les mots justes, nous pourrions raconter la vie, de la même façon que l’on met une pièce de monnaie sur une autre pièce de monnaie de valeur identique. Or ce n’est pas vrai et les poètes font très exactement ce que font les compositeurs; ils expriment leur âme par le biais d’un médium qui est aussi dispersé dans l’existence entière, car l’existence contient bien sûr l’ensemble des sonorités possibles mais l’important, c’est la façon de les réunir; c’est ce que fait le peintre avec les couleurs et les formes qui ne sont qu’une partie des phénomènes mais qui, pour lui, sont tout et par les combinaisons desquelles il exprime à son tour toute son âme (ou ce qui revient au même : tout le jeu du monde). »

«Les mots flottaient, isolés, autour de moi; ils se figeaient, devenaient des yeux qui me fixaient et que je devais fixer en retour : des tourbillons, voilà ce qu'ils sont, y plonger mes regards me donne le vertige, et ils tournoient sans fin, et à travers eux on atteint le vide.»

«La plupart, l’immense majorité des livres ne sont pas de vrais livres; ils ne sont rien d’autre que de mauvaises répétitions morcelées des rares vrais livres. Mais pour le lecteur, ça ne change pas grand-chose, il n’a pas besoin de se soucier de savoir si le premier ou le troisième messager raconte quelque chose, si le message est digne d’être entendu. Dit un peu grossièrement, les livres me semblent avoir cette fonction dans l’existence : nous aider à prendre conscience et de ce fait à profiter pleinement de notre propre existence. Qu’ils le fassent comme un tout ou de façon fragmentaire, ou plus ou moins, c’est une affaire personnelle. Il est possible que, pour moi, certains livres signifient en partie ce que je signifie pour toi : un compagnon qui se déclare.»

« Il y a des étoiles qui, à cette heure précise, sont atteintes par les vibrations provoquées par la lance qu’un soldat romain a plantée dans le flanc de notre Sauveur. Pour cette étoile, c’est une chose qui est simplement du présent. Remplace maintenant ce médium simple qu’est l’éther par un autre chemin de propagation, allant de l’âme de celui qui vit quelque chose à l’oreille de celui à qui il le raconte. De la bouche de ce dernier à la suivante et ainsi de suite, avec au milieu toujours une halte dans le cerveau de ces gens, une halte qui ne va pas sans une modification de l’image réelle originale. Prends dans cette chaîne un poète, profond, et une foule de gens qui ne font que répéter. N’est-ce pas ce qui fait pleurer les enfants au bout de trois mille ans, une chose vraie et réelle et digne qu’on pleure à son sujet ? Coupe la chaîne à un autre endroit et à la place du conte tu obtiendras peut-être une prière fervente où l’âme, tenaillée par la peur, lance un cri vers Dieu, exactement comme le prince dans le conte, qui, épouvanté, se jette par la fenêtre d’une haute tour et disparaît dans l’eau noire. Coupe encore ailleurs et tu entendras une ineptie sans saveur. Certains maillons de cette chaîne sont justement des livres.”

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire