jeudi 26 janvier 2023

Hommage Nervalien

 


Épitaphe

 

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.

C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu ? "

 


Photographie de Nadar


« Ainsi ce doute éternel de l’immortalité de l’âme qui affecte les meilleurs esprits se trouvait résolu pour moi. Plus de mort, plus de tristesse, plus d’inquiétude. Ceux que j’aimais, parents, amis, me donnaient des signes certains de leur existence éternelle, et je n’étais plus séparé d’eux que par les heures du jour. J’attendais celles de la nuit dans une douce mélancolie. »

Aurélia


 

Rue de la Vieille Lanterne, à Paris

 

« Ma bonne et chère tante, dis à ton fils qu'il ne sait pas que tu es la meilleure des mères et des tantes. Quand j'aurai triomphé de tout, tu auras ta place dans mon Olympe, comme j'ai ma place dans ta maison. Ne m'attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche. »

 

Gérard Labrunie

(24 janvier 1855)

 

Le matin du 26 janvier 1855, il est retrouvé pendu, rue de la Vieille Lanterne, derrière le Châtelet. Il n'a pas de manteau. La veille, en soirée, le poète a emprunté sept sous pour manger. Paris disparaît sous la neige. Il fait moins 18 degrés.

 

Gravure de Gustave Doré 

« L'éternité profonde
Souriait dans vos yeux...
Flambeaux éteints du monde
Rallumez-vous aux cieux! »


Meurtre ou suicide ?

 

« Mon cher Monselet,

Je ne sais jusqu’à quel point il importe historiquement d’établir si le cher et doux Gérard de Nerval s’est ou a été pendu. Mais comme il n’est, d’autre part, vérité qui soit indifférente et que tu prends parti pour la seconde hypothèse, je crois que tu fais erreur, et je te soumets ce sur quoi je m’appuie.

Quelques-uns, partisans de la légende suicide – comme je le suis avec certitude absolue – ont mis cette mort sur le compte de la folie. Folie est vite dit. Mais d’abord qui de nous peut dire de son voisin : « Celui-là est fou ? »

D’autres ont cru devoir l’en défendre. Défendre de quoi ? Ne meurt pas fou qui veut, quand cette folie nous a laissé tomber du nuage, dont elle se garda toujours de descendre, l’Œuvre si original, personnel, qui commence par l’exquise églogue de Sylvie pour s’arrêter à l’imbroglio fantastique des Filles de feu.

Enfin, on a parle de la pauvreté de Gérard et de l’unique pièce de dix centimes trouvée sur lui. Le vrai motif n’est pas encore tout à fait là.

Si pauvre que fut en effet Gérard, il était fait à l’habitude de cette pauvreté qui lui tint compagnie fidèle toute sa vie, un jour excepté : fut-ce un jour ou une heure ? Et qui donc, ayant eu la grâce d’entrevoir seulement le charmant rêveur si bienveillant à tous, inoffensif même au mal, âme naïve de petit enfant et pourtant si énergiquement dévoué à ceux qu’il aimait, – qui oserait faire aux amis de Gérard si serrés autour de lui : Gautier, A. Dumas père, l’inépuisable hospitalier, Méry, de Stadler, qui le soigna comme une sœur de charité. Célestin Nanteuil, Hetzel, Bell, Asselineau, A. Houssaye et tant d’autres, l’offense de douter que le poète n’eût pas toujours à choisir entre ceux qui lui offraient la bourse, la table et le toit ?

Mais Gérard refusait toujours, et, vers la fin, plus opiniâtrement que jamais.

Il craignait de ne pas rendre. C’est là, crois-le bien, mon cher Monselet, qu’il faut chercher, parce que c’est là seulement que tu trouves.

Absolument incapable de production suivie et surtout de « fabrication » littéraire, Gérard, ne savait que couver son œuvre jusqu’à ce qu’il la jugeât vaillante pour l’essor, et il n’eût jamais eu à se tenir pour déshonoré d’avoir fait autrement parce que faire autrement lui était physiologiquement impossible. Dans ces conditions, il est plus que difficile au cerveau d’être toujours prêt à servir l’estomac à ses heures. À cette incapacité absolue de la production courante, il faut joindre encore l’innocence antique de Gérard, l’ignorance native et éternelle de ce qu’on nomme « la pratique, » en un mot la plus ferme incapacité devant le Réel, c’est-à-dire devant le combat de la vie moderne au jour le jour, autrement difficile et féroce au boulevard des Italiens et le long d’Oxford street que dans l’île la plus déserte des Feroë. Maintenant, à la fierté du poète, à son respect légitime de lui-même, si tu ajoutes l’insurmontable réserve, les délicatesses ultra-sensitives de l’homme né d’une certaine façon, du « gentleman » (ils sont tout aussi bien de roture), voilà notre Robinson condamné inexorablement à la mort par la faim.

Mais encore, comment ne tiendrions-nous pas compte, spécialement en cette fin finale, de la caractéristique dominante de Gérard de Nerval ? Celui qui fut l’écrivain impeccablement précis, celui qui vigoureusement traduisit à dix-huit ans, le Faust et que Gœthe déjà « respectait, » il était aussi et surtout celui que Janin avait appelé « le rêveur éveillé, » l’esprit flottant éperdument par les sphères du monde hyperphysique, l’illuminé toujours en quête du fantastique et respectueux des nécromanciens, vagabond du nuage, ivre-vivant d’imaginaire, et qui, de la plate-forme de la tour, eût sans hésiter posé le pied sur le vide n’ayant jamais rien soupçonné, ne croyant à rien de ce qui est en bas.

J’arrive aux faits.

Gérard était venu de très bon matin, la veille de sa mort, chez le meilleur de nous, notre regretté Charles Asselineau, alors rue de Savoie, et il lui avait demandé « sept sous » pour se rendre au cabinet de lecture où il avait sa coutume de travail.

Asselineau, voyant, par le froid très rigoureux de ce matin de janvier – 18 degrés, – le pauvre ami vêtu seulement de son petit habit noir et – symptomatique ! – sans le paletot marron qu’il portait en manteau, les manches tombantes, évidemment engagé de la veille, puisque nous le lui voyions l’avant-veille encore, Asselineau lui ouvrit aussitôt sa bourse. Gérard s’obstina à ne prendre que strictement les quelques centimes qu’il avait demandés. Il était visiblement préoccupé, soucieux même, lui, l’immatériel, d’une placidité si imperturbable toujours par sa vie d’insouciance inouïe et de personnel abandon.

Il dit « textuellement » à Charles :

« Je ne sais ce qui va m’arriver, mais je suis inquiet. Depuis plusieurs jours, je ne puis littéralement plus écrire une ligne. Je crains de ne pouvoir plus rien produire… Je veux, encore une fois, essayer aujourd’hui… »

Il alla essayer, en effet, car il resta une grande partie de la journée attablé au cabinet de lecture, et il est à croire que son esprit, frappé de cette préoccupation de stérilité, ne lui fournit cette fois rien encore ; les petits feuillets de copie raturés, qu’on trouva sur lui, avaient été écrits les jours précédents. Alors, insuffisamment vêtu, l’estomac à peu près vide, le cerveau grand ouvert aux chimères, il erra sans doute le soir et pendant cette nuit glaciale, s’exaltant à mesure dans l’isolement et le silence de cette marche au hasard par les ruelles sans nom, de la vieille cité, qu’il savait mieux que personne, voyant plus distinctement à chaque pas, dans la neige épaisse, le menaçant fantôme d’une vie désormais improductive et « sans dignité, » – entendant l’appel, – jusqu’à ce qu’il s’arrêtât court, pour en finir. Et ses doigts engourdis attachèrent le lacet à ce quatrième barreau…

Son corps était tiède encore lorsqu’au petit jour on le découvrit.

Le cordon avec lequel il se pendit était, non, comme tu le dis, un cordon de tablier, mais un bout de lacet de corset, blanc, avec son ferret en cuivre, qu’il nous tirait volontiers de sa poche depuis une huitaine de jours, nous assurant que c’était « la jarretière de Mme de Longueville, » et il nous la développait avec des précautions respectueuses… Ullum magnum ingenium sine mixtura dementiæ : saint Augustin avait peut-être raison ; mais qu’importe !…

Le hasard voulut que ce fût précisément un de nos anciens amis du collège Bourbon, le docteur Pau, mort il y a cinq ans, qui coupa le cordon. Pau se trouvait cette nuit-là chef du poste de la garde nationale à l’Hôtel de Ville. Il essaya, à plusieurs reprises, pendant près d’une heure, de pratiquer l’insufflation, et je n’ai pas été le seul à attribuer à cette tentative, poussée héroïquement à l’excès, l’effroyable ulcère buccal dont le brave Pau souffrit plusieurs années, et qui faillit nous l’enlever avant l’heure : que l’honneur tardif lui soit fait ! – Dans son rapport, le docteur Pau atteste l’absence absolue de toutes violences sur le corps, ecchymoses par contusion ou compression, et il affirme le suicide, indiscutable suivant lui. Nombre de fois, il revint avec moi sur ce triste souvenir, m’établissant à nouveau les gages de sa conviction.

Et qui eût eu intérêt à tuer cet inoffensif par excellence, cet innocent, ce pauvre parmi les pauvres ? Et encore, pour cette besogne par trop vaine, qui eût été précisément rechercher au fond des poches de Gérard la fameuse jarretière de Mme de Longueville ?

L’objection, la seule objection à laquelle peuvent s’attacher quelques esprits, n’est que spécieuse : Gérard avait dû relever les jarrets pour que ses pieds ne portassent plus et ainsi rester suspendu. Mais on sait dans quel nombre de cas la médecine légale a constaté cette même énergie de volonté chez les strangulés volontaires. Et, de fait, était-ce bien à terre que la Mort pouvait saisir cet esprit ailé ?

Aux constats de l’ordre physique affirmés par la science, réunis, mon cher Monselet, les appréciations et déductions morales, – plus motivées encore que, personnellement, il ne m’appartient ici de le dire, – la déposition sincère des deux amis qui eurent le plus de notre Gérard dans ses derniers jours, considère le caractère de l’homme dans sa vie tout entière, et, dans le même pieux souvenir de respect ému et d’infinie compassion, conclus avec nous que Gérard de Nerval s’est tué, et qu’il s’est tué par honneur !

Ne crois-tu pas cette fois la cause entendue ? »

 

Ton NADAR

Félix Tournachon, dit Nadar, né le 6 avril 1820, rue Saint-Honoré et mort le 20 mars 1910 dans la même ville, est un caricaturiste, écrivain, aéronaute et photographe français. Il publie à partir de 1854 une série de portraits photographiques de personnalités contemporaines.

 

« Était-il arrivé à ce triste lieu par hasard ? L’avait-il cherché ? La maîtresse d’un logis à la nuit, situé dans la rue, aurait dit, prétend-on, qu’elle avait entendu frapper à sa porte vers les trois heures du matin, et, quoique tous ses lits fussent occupés, qu’elle avait eu comme un regret de n’avoir pas ouvert. Était-ce vrai, était-ce lui ? » (Champfleury, Grandes Figures d’hier et d’aujourd’hui : Balzac, Gérard de Nerval, etc., Paris, 1861)

« C’était là, pendu avec un cordon de tablier dont les deux bouts se rejoignaient sur sa poitrine, les pieds presque touchant terre, qu’un des hôtes du garni, en sortant pour se rendre au travail, l’avait trouvé, lui, l’amant de la reine de Saba ! C’était à n’y pas croire, et cependant cela était ainsi : Gérard de Nerval s’est pendu, ou on l’avait pendu. » (Alfred Delvau, Gérard de Nerval, sa vie et ses œuvres, Paris, 1865)

Partout le même doute ! Partout la même incertitude !

Mais, selon moi, le plus de probabilités est pour le meurtre.

Je sais bien que Gérard de Nerval était fou, mais c’était un fou d’une espèce particulière, raisonnante. Il avait horreur de la mort, je ne saurais trop y insister ; il l’avait toujours eue. Par contre, il s’était fait un cercle de petits bonheurs, de petits voyages, de petites promenades, qui lui suffisaient depuis son retour d’Orient.

Pourquoi se serait-il tué ? Nadar croit en trouver la raison dans un sentiment tout à coup développé de sa dignité. Singulière manière d’affirmer sa dignité, que de la cracher avec sa vie dans une bouche d’égout ! Et du moment que nous reconnaissons en lui un esprit et un cœur tout faits de délicatesse, n’aurait-il pas craint d’affliger jusqu’à l’épouvante ses nombreux camarades ?

N’est-il pas plus sensé d’admettre qu’entré dans un bouge, et déjà sous l’empire de ses hallucinations, Gérard aurait été l’objet d’une chétive convoitise et d’un coup de main facile ?

Que devait peser le doux rêveur, sous l’étreinte d’un malfaiteur ?

À demi étourdi, il aura été transporté et accroché à la grille voisine. Le premier cordon venu (j’admets même qu’il ait été pris dans sa poche) aura fait l’affaire. On lui aura remis son chapeau sur la tête et on l’aura laissé là, où le froid l’aura suffoqué bientôt. De là, cette absence de souffrance sur les traits.

J’aime mieux cette version, pour la mémoire de l’être vagabond et aimant qui pouvait, s’adressant à son âme, dire comme Hégésippe Moreau :

De mes erreurs, toi, colombe endormie,

Tu n’as été complice ni témoin…

 

CH. MONSELET

Charles Monselet, né à Nantes le 30 avril 18251 et mort à Paris 9e le 19 mai 18882, est un écrivain, journaliste, romancier, poète et auteur dramatique français. Surnommé « le roi des gastronomes » par ses contemporains, il est, avec Grimod de la Reynière, le baron Brisse et Joseph Favre, l'un des premiers journalistes gastronomiques français.



Et, le surlendemain, Alexandre Dumas écrivit dans son journal le Mousquetaire :
 

« C’est là que, vendredi matin, à sept heures trois minutes, on a trouvé le corps de Gérard encore chaud et ayant son chapeau sur la tête.

L’agonie a été douce, puisque le chapeau n’est pas tombé. À moins toutefois que ce que nous croyons un acte de folie ne soit un crime ; que ce prétendu suicide ne soit un véritable assassinat. Ce lacet blanc, qui semble arraché à un tablier de femme, est étrange.

Ce chapeau, que les tressaillements de l’agonie ne font pas tomber de la tête de l’agonisant, est plus étrange encore. Le commissaire, M. Blanchet, est un homme d’une grande intelligence, et nous sommes sûr que, d’ici à quelques jours, il pourra répondre à notre question. »



 

« La muse est entrée dans mon cœur comme une déesse aux paroles dorées, elle s’en est échappée comme une pythie en jetant des cris de douleur. »

 



samedi 7 janvier 2023

Les quatre saisons

 


Les Saisons est le dernier ensemble de peintures à l'huile réalisées par le peintre français Nicolas Poussin. C'est un cycle de quatre toiles représentant chacune une saison.

 

Les quatre saisons

 

« Les quatre saisons se retrouvent dans notre vie.

Le printemps passe très vite, l’été est bouillonnant, agité de passions. Enfin, en automne, tout s’apaise, c’est la meilleure période, celle où l’homme, enfin maître de lui-même, est capable de donner des fruits. Quant à l’hiver, c’est la saison du froid, du dépouillement.

Bien sûr, l’hiver n’est pas absolument mauvais, tout dépend comment l’homme a vécu durant les saisons précédentes. On peut donc dire que l’hiver représente la vérité. L’enfance (le printemps), c’est la vie ; l’adolescence (l’été), c’est l’amour ; la maturité (l’automne), c’est la sagesse ; et enfin la vieillesse (l’hiver), c’est la vérité… la triste vérité malheureusement pour beaucoup ! Car au moment de partir de l’autre côté ils ne peuvent plus se faire d’illusions.

 Donc, vous voyez : la vie, l’amour, la sagesse et la vérité… il est très intéressant de constater comment les quatre saisons correspondent aux différents âges de la vie de l’homme. »

 

Omraam Mikhaël Aïvanhov

 

 

Les Saisons est une série de quatre tableaux peints par Giuseppe Arcimboldo en 1563, en 1569, en 1572 et en 1573.