samedi 25 avril 2020

Ainsi parlait Ernst Jünger


Ernst Jünger, né le  à Heidelberg et mort le  à Riedlingen, est un écrivain allemand.
En tant que contemporain et témoin de l'histoire européenne du xxe siècle, Jünger a participé aux deux guerres mondiales, d'abord dans les troupes de choc au cours de la Première Guerre mondiale, puis comme officier de l'administration militaire d'occupation à Paris à partir de 1941. Devenu célèbre après la publication de ses souvenirs de la Première Guerre mondiale dans Orages d'acier en 1920, il a été une figure intellectuelle majeure de la révolution conservatrice à l'époque de Weimar, mais s'est tenu éloigné de la vie politique à partir de l'accession des nazis au pouvoir. Jusqu'à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu'un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996. Parmi ses récits, Sur les falaises de marbre (1939) est l'un des plus connus. Francophile et francophone, Ernst Jünger a vu son œuvre intégralement traduite en français et « [...] fait partie, avec Günter Grass et Heinrich Böll, des auteurs allemands les plus traduits en France». Figure publique très controversée à partir de l'après-guerre dans son pays, il a reçu le prix Goethe en 1982 pour l'ensemble de son œuvre.
Wikipedia

« Qui n’a jamais eu l’impression que sa vie (...) attend un exaucement inconnu - un complément pour se parfaire ? »

Ernst Jünger – Polarisations

« Quelle est donc cette question redoutable que le néant pose à l’homme ?
C’est la vieille énigme du Sphinx. L’homme est interrogé sur lui-même : connaît-il le nom de l’être étrange qui se meut à travers le Temps ? Il est dévoré, ou reçoit la couronne selon qu’il répond. Le Néant veut savoir si l’homme est de taille à lui tenir tête, s’il vit en l’homme des éléments que nul temps ne désagrégera. »

« La peur a le dernier mot…qui demeurera toujours le grand partenaire de nos dialogues, en toute délibération de l’homme avec lui-même. … si, par contre, la peur est remise à sa place d’interlocutrice, l’homme peut à son tour prendre la parole. Il cesse alors de se croire cerné. Une autre solution que celle de l’automatisme se présentera à son esprit. C’est dire que désormais deux chemins s’ouvrent à lui, ou, en d’autres termes, que sa liberté de décision est restaurée » 

« Si l’on voulait nommer l’instant fatal, aucun sans doute ne conviendrait mieux que celui où sombra le Titanic. La lumière et l’ombre s’y heurtent brutalement : l’hybris du progrès y rencontre la panique, le suprême confort se brise contre le néant. »

«Le marcheur de la forêt … a découvert la grande surprise des forêts : la rencontre avec soi-même, le noyau inaltérable du soi, l’essence dont se nourrit le phénomène temporel et individuel.
La forêt, asile de la vie, dévoile ses richesses surréelles quand l’homme a réussi à passer la ligne. Elle tient en elle tout le surcroît du monde  »

Ernst Jünger - Traité du Rebelle ou le Recours aux forêts.

jeudi 16 avril 2020

Dans la forêt obscure


Dans la forêt obscure


“Qui dira le sentiment qu'on éprouve en entrant dans ces forêts aussi vieilles que le monde, et qui seules donnent une idée de la création, telle qu'elle sortit des mains de Dieu ?”

François René de Chateaubriand
« Voyage en Amérique »


Il était une fois, au fin fond d'une forêt profonde, un être qui marchait les yeux en l’air, émerveillé par les frondaisons touffues des arbres, envoûté par les sensations provoquées par les bruits, parfums et couleurs de cette nature généreuse, enivré par cette soudaine liberté totale qui guidait ses pas où bon lui semblait.
Lumière crue dans les percées de feuillage, tamisée par la canopée, toutes les couleurs se déclinent dans des tonalités variées et changeantes. La sérénité de l’esprit s’installe devant ce spectacle dépaysant et inhabituel.
La marche ralentit son rythme et passe en mode automatique suivant une respiration régulière et profonde.
Tout se passe comme si une communion s’instaurait ente l’être et la nature, instinctive et authentique, chose rare dont on a perdu le mode d’emploi depuis longtemps déjà.
Le lâcher prise prend le relais de la vigilance et la rêverie prend le pouvoir.
On est si bien qu’on en oublie tout, on est ailleurs sans savoir où.
C’est comme un charme, un envoûtement qui nous transforme et nous intègre dans une autre dimension. La flânerie révèle une énergie vitale différente qui nettoie et ressource.
Porté par ce bien-être, on en oublie rapidement le passage du temps et le sens de l’orientation divague, bercé par les images bucoliques qui défilent.

C’est un sentiment de fraîcheur, avant-garde de froidure, qui vient rompre le charme.

L’œil perçoit soudain la luminosité qui baisse et à la vision qui se trouble, l’audition d’un silence total ajoute une inquiétude nouvelle, alors que le mental, en réveil, revient sur terre et sonne l’alerte.
 Perdu.

Je suis dans une forêt profonde, peu engageante, le ventre du monde originel. Je ressens l’hostilité des lieux, des vibrations lourdes et envoûtantes, je perçois des déplacements furtifs et fugaces, des frôlements rampants et ailés, des yeux multiples qui m’épient et me dévisagent. Et un sentiment de mal-être m’envahit et paralyse mes sens.
Sans plus aucun repère, mes pas deviennent hagards et hésitants. La vigilance s’hypertrophie et ouvre la porte à une peur peu à peu panique.
Je suis mal.

Je voudrais tant échapper à cette étreinte étouffante, qui me paralyse d’angoisse. Je manque d’air, la claustrophobie me saisit.

C’est alors que je me réveille de ce cauchemar, le réveil comme technique de fuite. Tout se passe comme si j’avais pénétré le monde astral, avec ses pièges et ses mystères.
Que ce serait-il passé si je n’avais pas trouvé la sortie ?


« Le chemin de la sagesse et de la liberté est un chemin qui mène au centre de soi-même. » 

Mircea Eliade