dimanche 9 novembre 2025

Apprendre à mourir

 


Apprendre à mourir

« Mourir n'est pas mourir, mes amis, c'est changer.

 La vie est le combat, ma mort est la victoire. »

Platon 

Apprentissage ô combien difficile pour l’humanité actuelle, coupée de toute spiritualité, engluée dans la matière et submergée par le consumérisme exacerbé de la société occidentale. La mort, que personne ne veut envisager avant le terme de sa vie, reste un événement méconnu et effrayant. Le mourant, qui ne connaît pas le mode d’emploi, se heurte à trois difficultés majeures qui, si elles ne sont pas élucidées de son vivant, rendent la fin difficile, voire handicapante, pour lui.

Ces trois difficultés majeures sont les suivantes :

la finitude, l’inconnu et la solitude.

L’être, qui ne s’est pas préparé, est frappé de plein fouet et simultanément par ces trois constatations. Il prend conscience que c’est la fin de sa vie, qu’il ne sait rien de ce qui va suivre et qu’il est seul à devoir gérer son départ.

La finitude est une illusion, un sentiment erroné. La mort n’est pas une fin mais un changement d’état. On abandonne le corps physique mais l’être spirituel n’est en rien concerné par la fin du corps physique qu’il vit au contraire comme une libération. En fait, à la naissance l’être humain s’incarne dans un corps dense pour vivre des expériences dans la matière ; à son décès, il se désincarne abandonnant son enveloppe pour retrouver son corps spirituel.

La naissance est l’aller, la mort son retour.

« Les deux jours les plus importants de ta vie sont le jour où tu es né et le jour où tu comprends pourquoi. »

Mark Twain

Prenons l’exemple, par analogie, du papillon. La métamorphose de la chenille en papillon est fascinante. A l’intérieur de la chrysalide, la chenille va se transformer en un papillon qui prendra son envol. Changement total de nature quand un insecte rampant donne vie à un insecte volant, lui ouvrant la maîtrise des voies aériennes, dans une libération totale de ses anciennes contraintes.

L’être humain, à son décès, connaît une métamorphose similaire avec l’émergence d’un corps spirituel, libéré de son incarcération physique, permettant son envol vers les mondes éthériques.

Ce passage n’est donc pas la fin de la vie mais bien l’accès à un stade supérieur dans l’évolution spirituelle de l’être humain. Le sentiment de finitude ne peut donc être avéré que pour ceux qui ne se sont pas préparés de leur vivant à leur mort physique, par insouciance ou ignorance. Notre rapport à la mort dépend de notre avancement spirituel.

« Et cet heureux trépas, des faibles redouté,

 N'est qu'un enfantement à l'immortalité. »

Platon

La peur de l’inconnu est le propre de l’homme ; c’est la question sans réponse, l’absence d’identification possible qui provoque l’angoisse. Il s’agit d’une réponse émotionnelle qui prend racine dans notre instinct de survie, programmée par notre cerveau reptilien. Tout ce qui n’est pas identifiable est vécu comme une atteinte à notre sécurité. La personne a peur face à une situation dont l’issue n’est pas prévisible et, de fait, jugée dangereuse.

La peur de l’inconnu est la victoire de l’incertitude toute puissante qui est paralysante chez le mourant. L’être est démuni et impuissant devant le mystère.

« Le frôlement de l'Il y a c'est l'horreur. »

Emmanuel Levinas

Pour pouvoir apprivoiser cette peur, qui peut devenir terreur, il faut apprendre à connaître la nature de l’inconnu progressivement, par étapes successives. Lorsque l’humain ose affronter l’inconnu, sa capacité d’adaptation se renforce et augmente sa confiance en lui-même. Il peut alors tracer son propre chemin de découverte intérieure.

Interroger notre rapport à la mort, c’est aussi interroger notre rapport à la vie. En posant ces questions, on transforme la peur en technique de recherche.

La recherche spirituelle nous apprend, par la concentration répétée, que poser la question nous permet toujours d’envisager la réponse.

 « Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais, pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu. »

Antoine de Saint-Exupéry

Mourir dans la solitude reste l’une de nos plus grandes terreurs primordiales.

La dislocation des familles, l'éloignement géographique des enfants qui quittent leurs parents, le recul des appartenances religieuses, l'individualisme entretiennent cet isolement. Et au grand âge, le conjoint, les amis peuvent être décédés, laissant les survivants totalement isolés.

« L’homme naît seul, vit seul, meurt seul. »

Bouddha

« La solitude, c’est la conscience d’être seul et la peur de le rester. La solitude renvoie toujours à la nostalgie du temps où l’on n’était pas seul ; à ce titre elle est vécue comme un abandon, une déchéance. Pourtant, la solitude constitue le meilleur outil de connaissance de soi ; c’est seul, face à soi-même, que l’on est pleinement. Les saints, les sages, les philosophes et les poètes sont seuls ; ils cherchent en eux la connaissance nécessaire à leur réalisation en tant qu’être pensant.

En plagiant la célèbre devise cartésienne « je pense donc je suis » on pourrait dire « je pense donc je suis seul » tant il est vrai que la solitude génère l’analyse et la réflexion personnelles. D’ailleurs, dans tous les moments cruciaux de l’existence, ne sommes-nous pas seuls : naissance, maladie, mort. Donc, on peut considérer que la solitude constitue une dimension profonde, vitale de notre être.

Toute initiation, tout rite de passage s’accomplit seul ; la grégarité est le propre du règne animal. La solitude est le propre de l’homme ; elle est le prix à payer pour l’individualisation de l’âme, et partant pour sa progression spirituelle. On n’avance pas par procuration mais seulement en fonction de son mérite, quand on a fait ses preuves. Il faut se brûler pour connaître le feu, il faut goûter à la solitude pour avancer. L’homme a toujours une attitude ambiguë face à la solitude. Il la craint généralement même si, parfois, il la revendique mais davantage comme un moyen d’être tranquille, un besoin égoïste d’échapper aux autres, que comme une fin en soi naturelle.

La solitude est un passage obligé dans la procédure de libération personnelle ; c’est le temps de la devise frappée au fronton du temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Ainsi, une première certitude apparaît : la solitude est inscrite génétiquement, chronologiquement en nous ; elle est pressentie à l’adolescence comme une sensibilisation pour être ensuite vécue aux portes de la sagesse qu’il nous appartient de franchir, pour préparer son évolution personnelle, son avancement spirituel, pour comprendre le sens caché de la vie et mieux aborder le passage vers la mort. »

(Extrait de "https://ophoemon.blogspot.com/2009/09/soliloque.html")

« Le zen, c'est la voie de la solitude: penser par soi-même, agir par soi-même, pratiquer par soi-même, souffrir par soi-même. »

Keizan Jōkin Zenji (1268-1325)

 

En conclusion, il faut aussi rappeler la condition nécessaire et suffisante pour avoir une mort calme et sereine, sans aucune angoisse, qui est l'acceptation. Accepter, d'une façon générale, toute situation difficile ou douloureuse que la vie nous impose est la seule solution pour la surmonter du mieux possible. A contrario, le refus ou la révolte ne nous aident en rien.

« L'acceptation n'est ni une démission ni une résignation, mais bien plutôt un acte de volonté qui permet, en changeant de registre, de conserver le pouvoir d'aller de l'avant pour débloquer une situation sans issue.

Quitter le champ des émotions qui nous rend faible, soumis et passif pour redevenir acteur de la situation et la gérer en toute liberté. L'acceptation nous rend libre et maître de notre destin.

 L’art d’apprendre à accepter ce que nous ne pouvons changer est la clé de notre bien-être. Les personnes qui possèdent une vision spirituelle de leur existence bénéficient, par ce biais, d’une vie remplie de sens, dans le calme et la sérénité. »

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A ce sujet, le modèle du deuil d’Elisabeth Kubler-Ross comporte cinq phases :

-      le déni : “Non, pas moi, ça ne peut pas être vrai.“

-      la colère : “Pourquoi moi ? “

-      le marchandage : tentative de retarder la mort par un “bon comportement. “

-      la dépression : en réagissant à la maladie et en se préparant à la mort.

-      l’acceptation : “Le dernier repos avant le long voyage“ qui permet la sérénité.

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« Accepter, c’est prendre conscience que ce qui nous arrive fait partie de notre histoire et est de ce fait nécessaire à notre histoire. Ainsi, il n’y aurait plus de place pour les frustrations, les colères, les remords, les regrets et tout ce qui apporte la douleur. Le chemin de l’acceptation passe par la découverte de soi-même, c’est souvent à travers les épreuves que nous sommes révélés à nous-mêmes. »

 Marie-Claude Haumont

“Ce que vous niez vous soumet, ce que vous acceptez vous transforme.”

 Carl Gustav Jung

(Extrait de "https://ophoemon.blogspot.com/2023/09/lacceptation.html")

« Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux changer, et la sagesse d’en connaître la différence. »

Marc Aurèle

« Le chemin de la sagesse, ou de la liberté, est un chemin qui mène au centre de son propre être. »

Mircea Eliade

« On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants. »

Gian Domenico Borasio, professeur en soins palliatifs au CHUV à Lausanne