Apprendre à mourir
« Mourir n'est pas mourir, mes amis, c'est changer.
La vie est le combat, ma
mort est la victoire. »
Platon
Apprentissage ô combien difficile pour l’humanité actuelle,
coupée de toute spiritualité, engluée dans la matière et submergée par le
consumérisme exacerbé de la société occidentale. La mort, que personne ne veut
envisager avant le terme de sa vie, reste un événement méconnu et effrayant. Le
mourant, qui ne connaît pas le mode d’emploi, se heurte à trois difficultés majeures
qui, si elles ne sont pas élucidées de son vivant, rendent la fin difficile,
voire handicapante, pour lui.
Ces trois difficultés majeures sont les suivantes :
la finitude, l’inconnu et la solitude.
L’être, qui ne s’est pas préparé, est frappé de plein fouet et
simultanément par ces trois constatations. Il prend conscience que c’est la fin
de sa vie, qu’il ne sait rien de ce qui va suivre et qu’il est seul à devoir
gérer son départ.
La finitude est une
illusion, un sentiment erroné. La mort n’est pas une fin mais un changement
d’état. On abandonne le corps physique mais l’être spirituel n’est en rien
concerné par la fin du corps physique qu’il vit au contraire comme une
libération. En fait, à la naissance l’être humain s’incarne dans un corps dense
pour vivre des expériences dans la matière ; à son décès, il se désincarne
abandonnant son enveloppe pour retrouver son corps spirituel.
La naissance est l’aller, la mort son retour.
« Les deux jours les plus importants de ta vie sont le jour
où tu es né et le jour où tu comprends pourquoi. »
Mark Twain
Prenons l’exemple, par analogie, du papillon. La métamorphose de
la chenille en papillon est fascinante. A l’intérieur de la chrysalide, la
chenille va se transformer en un papillon qui prendra son envol. Changement
total de nature quand un insecte rampant donne vie à un insecte volant, lui
ouvrant la maîtrise des voies aériennes, dans une libération totale de ses
anciennes contraintes.
L’être humain, à son décès, connaît une métamorphose similaire avec
l’émergence d’un corps spirituel, libéré de son incarcération physique,
permettant son envol vers les mondes éthériques.
Ce passage n’est donc pas la fin de la vie mais bien l’accès à
un stade supérieur dans l’évolution spirituelle de l’être humain. Le sentiment
de finitude ne peut donc être avéré que pour ceux qui ne se sont pas préparés
de leur vivant à leur mort physique, par insouciance ou ignorance. Notre
rapport à la mort dépend de notre avancement spirituel.
« Et cet heureux trépas, des faibles redouté,
N'est qu'un enfantement à
l'immortalité. »
Platon
La peur de l’inconnu
est le propre de l’homme ; c’est la question sans réponse, l’absence
d’identification possible qui provoque l’angoisse. Il s’agit d’une réponse
émotionnelle qui prend racine dans notre instinct de survie, programmée par
notre cerveau reptilien. Tout ce qui n’est pas identifiable est vécu comme une
atteinte à notre sécurité. La personne a peur face à une situation dont l’issue
n’est pas prévisible et, de fait, jugée dangereuse.
La peur de l’inconnu est la victoire de l’incertitude toute
puissante qui est paralysante chez le mourant. L’être est démuni et impuissant
devant le mystère.
« Le frôlement de l'Il y a
c'est l'horreur. »
Emmanuel Levinas
Pour pouvoir apprivoiser cette peur, qui peut devenir terreur,
il faut apprendre à connaître la nature de l’inconnu progressivement, par
étapes successives. Lorsque l’humain ose affronter l’inconnu, sa capacité
d’adaptation se renforce et augmente sa confiance en lui-même. Il peut alors
tracer son propre chemin de découverte intérieure.
Interroger notre rapport à la mort, c’est aussi interroger notre
rapport à la vie. En posant ces questions, on transforme la peur en technique
de recherche.
La recherche spirituelle nous apprend, par la concentration
répétée, que poser la question nous permet toujours d’envisager la réponse.
« Seul l'inconnu épouvante les hommes. Mais,
pour quiconque l'affronte, il n'est déjà plus l'inconnu. »
Antoine de Saint-Exupéry
Mourir dans la solitude
reste l’une de nos plus grandes terreurs primordiales.
La dislocation des familles, l'éloignement géographique des
enfants qui quittent leurs parents, le recul des appartenances religieuses,
l'individualisme entretiennent cet isolement. Et au grand âge, le conjoint, les
amis peuvent être décédés, laissant les survivants totalement isolés.
« L’homme naît seul, vit
seul, meurt seul. »
Bouddha
« La solitude, c’est la conscience d’être seul et la peur
de le rester. La solitude renvoie toujours à la nostalgie du temps où l’on
n’était pas seul ; à ce titre elle est vécue comme un abandon, une déchéance.
Pourtant, la solitude constitue le meilleur outil de connaissance de soi ;
c’est seul, face à soi-même, que l’on est pleinement. Les saints, les sages,
les philosophes et les poètes sont seuls ; ils cherchent en eux la connaissance
nécessaire à leur réalisation en tant qu’être pensant.
En plagiant la célèbre devise cartésienne « je pense donc je
suis » on pourrait dire « je pense donc je suis seul » tant il est vrai que la
solitude génère l’analyse et la réflexion personnelles. D’ailleurs, dans tous
les moments cruciaux de l’existence, ne sommes-nous pas seuls : naissance,
maladie, mort. Donc, on peut considérer que la solitude constitue une dimension
profonde, vitale de notre être.
Toute initiation, tout rite de passage s’accomplit seul ; la
grégarité est le propre du règne animal. La solitude est le propre de l’homme ;
elle est le prix à payer pour l’individualisation de l’âme, et partant pour sa
progression spirituelle. On n’avance pas par procuration mais seulement en
fonction de son mérite, quand on a fait ses preuves. Il faut se brûler pour
connaître le feu, il faut goûter à la solitude pour avancer. L’homme a toujours
une attitude ambiguë face à la solitude. Il la craint généralement même si,
parfois, il la revendique mais davantage comme un moyen d’être tranquille, un
besoin égoïste d’échapper aux autres, que comme une fin en soi naturelle.
La solitude est un passage obligé dans la procédure de
libération personnelle ; c’est le temps de la devise frappée au fronton du
temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers
et les dieux ». Ainsi, une première certitude apparaît : la solitude est
inscrite génétiquement, chronologiquement en nous ; elle est pressentie à
l’adolescence comme une sensibilisation pour être ensuite vécue aux portes de
la sagesse qu’il nous appartient de franchir, pour préparer son évolution
personnelle, son avancement spirituel, pour comprendre le sens caché de la vie
et mieux aborder le passage vers la mort. »
(Extrait de "https://ophoemon.blogspot.com/2009/09/soliloque.html")
« Le zen, c'est la voie de la solitude: penser par soi-même,
agir par soi-même, pratiquer par soi-même, souffrir par soi-même. »
Keizan Jōkin Zenji (1268-1325)
En conclusion, il faut aussi rappeler la condition nécessaire et
suffisante pour avoir une mort calme et sereine, sans aucune angoisse, qui est
l'acceptation. Accepter, d'une façon
générale, toute situation difficile ou douloureuse que la vie nous impose est
la seule solution pour la surmonter du mieux possible. A contrario, le refus ou
la révolte ne nous aident en rien.
« L'acceptation n'est ni une démission ni une résignation,
mais bien plutôt un acte de volonté qui permet, en changeant de registre, de
conserver le pouvoir d'aller de l'avant pour débloquer une situation sans
issue.
Quitter le champ des émotions qui nous rend faible, soumis et
passif pour redevenir acteur de la situation et la gérer en toute liberté.
L'acceptation nous rend libre et maître de notre destin.
L’art d’apprendre à
accepter ce que nous ne pouvons changer est la clé de notre bien-être. Les
personnes qui possèdent une vision spirituelle de leur existence bénéficient,
par ce biais, d’une vie remplie de sens, dans le calme et la sérénité. »
°°°°°°°°°°°°°°°°°
A ce sujet, le modèle du deuil d’Elisabeth Kubler-Ross comporte
cinq phases :
-
le déni : “Non, pas moi, ça ne
peut pas être vrai.“
-
la colère : “Pourquoi moi ? “
-
le marchandage : tentative de
retarder la mort par un “bon comportement. “
-
la dépression : en réagissant à
la maladie et en se préparant à la mort.
-
l’acceptation : “Le dernier
repos avant le long voyage“ qui permet la sérénité.
°°°°°°°°°°°°°°
« Accepter, c’est prendre conscience que ce qui nous arrive fait
partie de notre histoire et est de ce fait nécessaire à notre histoire. Ainsi,
il n’y aurait plus de place pour les frustrations, les colères, les remords,
les regrets et tout ce qui apporte la douleur. Le chemin de l’acceptation passe
par la découverte de soi-même, c’est souvent à travers les épreuves que nous
sommes révélés à nous-mêmes. »
Marie-Claude Haumont
“Ce que vous niez vous soumet, ce que vous acceptez vous
transforme.”
Carl Gustav Jung
(Extrait de "https://ophoemon.blogspot.com/2023/09/lacceptation.html")
« Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne peux
changer, le courage de changer les choses que je peux changer, et la sagesse
d’en connaître la différence. »
Marc Aurèle
« Le chemin de la sagesse, ou de la liberté, est un chemin qui
mène au centre de son propre être. »
Mircea Eliade
« On pense que ce sont les
vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui
ouvrent les yeux des vivants. »
Gian Domenico Borasio, professeur en soins palliatifs au CHUV à
Lausanne
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