jeudi 10 septembre 2009

Soliloque



Soliloque

La solitude, c’est la conscience d’être seul et la peur de le rester. La solitude renvoie toujours à la nostalgie du temps où l’on n’était pas seul ; à ce titre elle est vécue comme un abandon, une déchéance. Pourtant, la solitude constitue le meilleur outil de connaissance de soi ; c’est seul, face à soi-même, que l’on est pleinement. Les saints, les sages, les philosophes et les poètes sont seuls ; ils cherchent en eux la connaissance nécessaire à leur réalisation en tant qu’être pensant.

En plagiant la célèbre devise cartésienne « je pense donc je suis » on pourrait dire « je pense donc je suis seul » tant il est vrai que la solitude génère l’analyse et la réflexion personnelles.
D’ailleurs, dans tous les moments cruciaux de l’existence, ne sommes-nous pas seuls : naissance, maladie, mort. Donc, on peut considérer que la solitude constitue une dimension profonde, vitale de notre être.

Toute initiation, tout rite de passage s’accomplit seul ; la grégarité est le propre du règne animal. La solitude est le propre de l’homme ; elle est le prix à payer pour l’individualisation de l’âme, et partant pour sa progression spirituelle. On n’avance pas par procuration mais seulement en fonction de son mérite, quand on a fait ses preuves.
Il faut se brûler pour connaître le feu, il faut goûter à la solitude pour avancer. L’homme a toujours une attitude ambiguë face à la solitude. Il la craint généralement même si, parfois, il la revendique mais davantage comme un moyen d’être tranquille, un besoin égoïste d’échapper aux autres, que comme une fin en soi naturelle.

La solitude, c’est alors le plaisir d’être seul et la peur de le rester. Etre solitaire, c’est rechercher l’équilibre entre isolement et accompagnement.
En fait, il y a deux types de solitudes : celle qui est subie et celle qui est voulue. Celle qui est subie est douloureuse et parfois traumatisante : elle est alors séparation, abandon, mise à l’écart ; elle est passive et pousse la victime au repliement sur soi, à l’enfermement, à la dépression. C’est de celle-là que parle le poète romantique lorsqu’il écrit : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».

La solitude, c’est le désert aride, desséchant, épuisant.
Mais tel poète surréaliste a répondu : « Un seul être vous manque et tout est repeuplé ».

Le regard est différent : l’un est victime, l’autre libéré. La solitude, c’est aussi la liberté, l’absence de contrainte, le choix de tous les possibles, à condition d’avoir confiance en soi.
Il y a aussi deux natures différentes de solitude : la positive et la négative. On trouve le solitaire par fuite de l’autre, par crainte ou manque de confiance en soi ; c’est un signe de mal être, voire de tendance dépressive. La personnalité ne trouve pas son équilibre dans ce cas ; elle vit sa solitude comme un fardeau nécessaire, une technique de protection.

On se rapproche du misanthrope et d’un état pathologique.
On trouve le solitaire pour qui l’isolement est un parti pris nécessaire à la construction de quelque chose ; la solitude est un préalable obligatoire pour accéder à une réalisation. C’est le cas des artistes, des chercheurs, de tous les créateurs en général ; c’est au fond de soi qu’on puise l’énergie première qui vient nourrir la création. C’est aussi le cas des mystiques de toutes les religions qui trouvent dans l’isolement la consécration de leur foi. Dans ce cas de figure, il y a toujours une limite à ne pas dépasser : la solitude peut conduire au pouvoir mais le pouvoir enferme dans la solitude. Car la solitude mène à tout à condition de savoir en sortir. Elle est une issue qui doit déboucher sur autre chose, autre part, après une transformation de l’être, un lessivage personnel profond et douloureux, mais salutaire et libératoire à terme.

Moi, seul ? Non, pourquoi ?


Et si la solitude n’était pas ce que l’on croit ?

Non pas cet état de manque, ce sentiment de mise à l’écart mais quelque chose de tout à fait différent, voire surprenant. La solitude ne doit pas s’analyser par rapport aux autres mais vis-à-vis de soi même, dans son for intérieur. Analyse-t-on le bonheur, ou le malheur, la santé ou l’amour par rapport à autrui ?

Non, et il doit en être de même pour la solitude.
La vie est une succession d’étapes dans laquelle le fait d’être seul a une raison d’être. Tout commence avec l’enfance, où la famille joue le rôle de tuteur car nous ne sommes pas prêts, à ce moment-là, à être seuls. Puis, c’est le temps de l’adolescence, où l’on commence à vouloir se développer seul, à gagner son autonomie et son indépendance. C’est au même moment que le premier sentiment de solitude affleure l’être, inconsciemment, en signe avant-coureur.

C’est alors l’époque de la maturité qui voit l’être se réaliser, fonder un couple, créer une famille et s’inscrire dans la chaîne ininterrompue des responsabilités naturelles du règne humain. Enfin arrive à son heure l’apprentissage de la sagesse, le plus souvent avec la solitude effective (veuvage, divorce, maladie).

La solitude est un passage obligé dans la procédure de libération personnelle ; c’est le temps de la devise frappée au fronton du temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ».
Ainsi, une première certitude apparaît : la solitude est inscrite génétiquement, chronologiquement en nous ; elle est pressentie à l’adolescence comme une sensibilisation pour être ensuite vécue aux portes de la sagesse qu’il nous appartient de franchir, pour préparer son évolution personnelle, son avancement spirituel, pour comprendre le sens caché de la vie et mieux aborder le passage vers la mort.

Quand on a compris cela, que la solitude n’est pas une épreuve mais bien plutôt la preuve qu’on se tient prêt à entrer dans la voie de la connaissance de soi, on s’affranchit de son aspect négatif, de ce vécu de renonciation et de sinistrose sans recours.
La solitude invite l’homme à se lever, à se mettre en marche pour prendre le chemin ; c’est le signe qu’il est prêt, que l’heure est venue. Et là se situe le choix existentiel de chacun d’entre nous : Soit on ne le comprend pas, et être seul nous sera toujours insupportable Soit on le comprend, et on quitte à jamais tout sentiment de solitude, en se libérant de ses entraves, tout en restant solitaire.

Pour bien saisir, il faut remonter à la source et trouver la clé dissimulée qui ouvrira la porte. Pour comprendre le sens caché, il faut retrouver la signification authentique du mot en revenant à son étymologie.

Prenons le terme « solitaire », en latin « solitarius » ; il est formé de l’association de deux termes : « solis-iter », dont la signification littérale est : le chemin du soleil. Le solitaire est donc celui qui pratique le chemin du soleil. L’astre solitaire qui, dans sa course céleste, éclaire le monde sans cesse et puise en lui l’énergie qui rayonne lumière et chaleur. Il est la vie ; le chemin du soleil est celui qui donne la vie et qui se parcourt seul.

Voilà donc un mystère élucidé, mystère pour les temps modernes où le règne de la quantité, de la matière, de la consommation a définitivement gommé le sens réel des valeurs que l’homme doit cultiver s’il veut retrouver l’initiation humaine, chère à nos anciens, qui seule peut lui permettre de se libérer afin de réaliser sa mission spirituelle.


Pour conclure, laissons la parole à Sénèque qui déclare, dans ses lettres à Lucilius, en réponse aux épicuriens, que « l’homme est sur terre pour développer la vertu en remplissant son âme et non son coffre-fort ». C’est bien là que réside notre raison d’être seul à un moment donné de notre vie, et de savoir le rester dans le calme et la sérénité, pour faire notre œuvre, notre grand œuvre.


Moi, seul ? Oui, pourquoi ?





« Le chemin de la sagesse, ou de la liberté, est un chemin qui mène au centre de son propre être. »

Mircea Eliade


« Le zen, c'est la voie de la solitude: penser par soi-même, agir par soi-même, pratiquer par soi-même, souffrir par soi-même. »

Keizan Jōkin Zenji (1268-1325),
aussi appelé Taiso Jōsai Daishi, est le second des grands fondateurs de l'école Sōtō du Zen japonais.

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