Comprendre l’ésotérisme
L'ésotérisme
désigne un ensemble de mouvements et de doctrines relevant d'un enseignement caché, souvent accessible par l'intermédiaire d'une « initiation ».
L’étymologie fait de l’ésotérisme la doctrine des choses « intérieures », donc secrètes et spirituelles.
L’adjectif grec « ésotérique » (ésôterikós, έσωτεριkós) vient du grec εσώτερoς (esôteros), qui signifie « intérieur » (dérivé de l'adverbe έσω, « en dedans »). D'autre part, le sens est lié aux écoles philosophiques grecques, surtout au pythagorisme qui distinguait entre disciples initiés (les ésotériques) et non initiés, lesquels sont soit de futurs initiés, des novices (les exotériques), soit des gens ordinaires (les profanes).
Le mot « ésotérisme », dans l'Antiquité, désignait habituellement des enseignements réservés à un petit nombre d'initiés, notamment au sein des Mystères, par exemple les Mystères d'Éleusis.
Ce mot a aussi été utilisé, en Occident, pour désigner des enseignements ainsi que des courants, qui, au sein du christianisme, appartenaient à des milieux fermés qualifiés, pour la même raison, d' ésotériques et regroupés sous la dénomination générale d' ésotérisme chrétien auquel appartient en particulier l'hermétisme chrétien. On utilise aussi cette dénomination, dans ce contexte, à propos des écrits de Jacob Boehme, de Jean de Ruisbroek, auxquels on donne également le nom d'écrits théosophiques. Ce dernier terme doit être distingué de la Société Théosophique, mouvement moderne crée par Madame Blavastky. et dont le caractère ésotérique est contesté par certains auteurs, parmi lesquels René Guénon.
« L’ésotérisme n’a rien de commun avec une volonté de secret. L’ésotérisme est l’aspect spirituel du monde, inaccessible à l’intelligence cérébrale, et il faut être préparé pour le saisir, l’entendre, le sentir. Ce « pouvoir » ne peut s’acquérir que par la victoire de l’homme sur sa nature animal-humaine. L’ésotérisme ne s’explique pas, c’est une question de conscience du disciple, et non une doctrine. L’initiation ne réside pas dans les textes, mais dans la culture de l’intelligence du cœur, qui est cette faculté « d’entendre » l’instinct et de le traduire cérébralement, pour devenir l’intuition. C’est seulement à l’intelligence du cœur que veut parler l’enseignement ésotérique, et c’est cette intelligence du cœur qui peut conduire l’homme vers sa libération ».
Jean-Pierre Bayard
Les grands courants de l’ésotérisme
Au cours de l’histoire, différentes façons d’appréhender l’« invisible »
sont apparues. Certaines se sont imposées de façon plus ou moins durable
dans les mentalités, créant des courants de pensée qui, comme les
branches d’un arbre attachées à un tronc commun, se sont souvent
ramifiés. Les noms des principaux courants (hermétisme, gnose, théosophie,
mysticisme, occultisme…) sont bien connus, mais leur contenu
exact n’est pas toujours clair. Il convient donc de les présenter rapidement.
L’hermétisme
Voilà sans doute le mot qui est le plus facilement associé à l’ésotérisme,
à tel point que le langage courant s’est approprié l’un et l’autre sous
forme d’adjectifs (« hermétique », « ésotérique »), pour qualifier ce qui
est abscons et qu’on ne peut comprendre d’emblée, à moins d’être un
spécialiste du sujet exposé… et par extension, sur le plan pratique, ce
qui ne laisse rien passer, ce qui reste fermé.
En réalité, l’hermétisme désigne la pensée philosophique (au sens grec
du terme, c’est-à-dire la recherche de la sagesse) et religieuse développée
par les penseurs « néoplatoniciens » de l’école d’Alexandrie et
exposée dans un ensemble de textes grecs attribués à Hermès Trismégiste
La gnose
Ce mot, qui signifie « connaissance » (du grec
gnôsis), est une forme
d’approche et d’explication globale de la réalité dans ses différents
« niveaux », tant matériels que spirituels. Elle fait référence à une forme
de révélation obtenue plus par l’intuition que par le raisonnement, plus
par une descente dans les profondeurs de la psyché que par une analyse
objective de la réalité. Elle applique, de ce point de vue, la célèbre
maxime qui figurait, dit-on, sur le fronton du temple de Delphes :
«Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’Univers et les dieux».
Cette connaissance est érigée en certitude par le gnostique. Cette adhésion,
qui est en apparence analogue à la foi religieuse, est en réalité
vécue comme une conséquence naturelle de cette connaissance et donc
fondée sur des intuitions personnelles, et non comme un acte de
soumission volontaire à un « credo ».
Sur ces bases, la gnose, qui s’est également développée à Alexandrie (on
parle alors de « gnose alexandrine »), a donné naissance à divers
courants gnostiques. Le gnosticisme s’est développé en parallèle ou à
l’intérieur du christianisme naissant (et en rivalité avec lui, bien qu’il ait
aussi existé une gnose chrétienne). Une dominante parmi ces mouvements
est l’opposition profonde entre le monde matériel, considéré
comme mauvais, et le monde spirituel auquel l’être humain doit chercher
à accéder, en obtenant son « salut » dans l’au-delà.
La théosophie
Dans son acceptation courante, ce mot est associé au seul mouvement
créé en 1875 par Helena Petrovna Blavatsky dont la Société théosophique
remporta un succès considérable et reste notoirement connue
aujourd’hui.
Mais il serait erroné d’en rester là, car la théosophie constitue un
courant de pensée qui remonte à l’Antiquité. Le terme lui-même, qui
vient du grec et qui veut dire « sagesse du divin » (sagesse signifiant ici
« connaissance »), est dû à Ammonios Saccas, un philosophe grec du
IIIème siècle à Alexandrie (eh oui, là encore !).
Pour la théosophie, il s’agit essentiellement d’explorer, voire de
découvrir, la nature du divin en s’appuyant d’une part sur l’étude approfondie
des textes réputés « sacrés » (par exemple la Bible pour les théosophes
chrétiens ou les kabbalistes juifs) et en les interprétant au-delà
de leur contenu mythique, et d’autre part sur des « révélations » de type
prophétique ou mystique.
Le mysticisme
Encore un terme qui vient du grec (mustikos
signifie « initié »), et qui a
la même racine que le mot « mystère » (au sens des « écoles des
Mystères » de l’Antiquité). Les rapports entre le mysticisme et la théosophie
sont étroits, en ce sens que le premier est une manière (ou si l’on
veut une technique) d’atteindre les connaissances recherchées par la
seconde. Mais ils diffèrent en ce que le mysticisme est généralement
inclus dans le cadre d’une religion établie, alors que la théosophie se
situe en dehors, ou plutôt en parallèle de cette dernière, même si les
cadres conceptuels sont les mêmes. De ce point de vue, le mysticisme
se situe plutôt à la frontière de l’ésotérisme.
Toutefois, l’expérience mystique, telle qu’elle est vécue, est de même
nature que celle que l’ésotérisme cherche à atteindre avec les techniques
qui mènent à l’illumination : méditation, expériences de conscience
modifiée, etc.
L’occultisme
Lancé au milieu du
XIXème siècle par Eliphas Levi (pseudonyme d’Alphonse-
Louis Constant), le terme d’occultisme a eu un succès considérable, à tel
point qu’il s’est presque substitué au mot « ésotérisme » lui-même,
avec lequel il entretient des rapports ambivalents. Occulte signifie, on
le sait, « caché ». Cette signification se rapproche, bien entendu, fortement
de l’idée qui est la caractéristique première de l’ésotérisme, selon
laquelle la connaissance est d’un accès difficile et réservé à un petit
nombre. Le mot forgé par Eliphas Levi est dérivé de l’adjectif « occulte »,
déjà utilisé à l’époque de la Renaissance, quand une grande partie de ce
qui constitue le domaine de l’ésotérisme s’appelait « philosophie
occulte », elle-même voisine de la notion de « sciences occultes ». En
réalité, l’occultisme correspond à un mouvement de profonde évolution
de l’ésotérisme, à partir du
XIXèmesiècle, parallèlement au développement
des sciences « rationnelles ». Visant comme elles à expliquer le fonctionnement
de l’univers matériel, l’occultisme en appelle, au contraire
des sciences, à une dimension non matérielle de la réalité. Cette vision
concurrente de la science est refusée, dénigrée, qualifiée d’irrationnelle
ou de « charlatanisme » par les scientifiques.
Les caractéristiques communes
Il y a quelques années, Antoine Faivre, qui est certainement le meilleur
spécialiste français de l’étude de l’ésotérisme, a essayé de caractériser
les lignes de force communes à ces mouvements. Le résultat constitue
une sorte de modèle théorique qui permet de délimiter le champ de ce
qui est considéré comme appartenant à l’ésotérisme. Ce modèle a été
largement accepté et repris par l’ensemble de la communauté des
historiens.
Selon Antoine Faivre, la pensée ésotérique présente ainsi quatre caractéristiques
toujours présentes (même si elles n’y ont pas toujours la
même importance) :
Ω
l’existence de correspondances universelles entre les différents
niveaux de la réalité ;
Ω
la Nature considérée comme un Être vivant ;
Ω
la possibilité d’établir des ponts entre les niveaux de la réalité
(médiations) ;
Ω
l’expérience de la transformation intérieure (transmutation spirituelle).
Les correspondances universelles
«Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en bas est
comme ce qui est en haut.»
Cette célèbre formule de La Table d’Émeraude
traduit de façon lapidaire l’idée de correspondances réelles, et pas
seulement symboliques, entre les différents niveaux de la réalité, ou
plus précisément entre le visible et l’invisible, entre le monde de la
matière et le monde de l’esprit.
C’est sur ce principe que se fondent notamment toutes les mancies, de
l’astrologie au Tao Te King en passant par le tarot, la géomancie, etc.
À chaque fois, il s’agit de déchiffrer dans les symboles et leurs combinaisons
particulières la projection d’une réalité – passée, actuelle ou
future – qui, bien qu’elle se situe au-delà de la réalité strictement matérielle et qu’elle ne soit donc pas soumise aux mêmes lois causales, en
est cependant la matrice active.
C’est sur le même principe que se fonde
traditionnellement l’action magique.
Plus généralement, c’est la correspondance entre la création, le
« macrocosme », et la structure physique et surtout spirituelle de
l’homme, le « microcosme », qui est fondamentale.
Macrocosme et microcosme
Le terme grec
kosmos
signifie originellement « ordre » et par
extension le « monde ». Ainsi, le macrocosme (le « grand
monde ») est l’Univers, considéré comme un organisme vivant, et
le microcosme (le « petit monde ») est l’Homme, considéré
comme le sommet de la création. Le couple macrocosme-microcosme
traduit la croyance qu’il existe entre l’un et l’autre une
correspondance à la fois physique et spirituelle.
Dans cette optique, l’Homme n’est pas à l’image de Dieu, mais à
celle de la Création. C’est le sens de la célèbre formule de
LaTable d’Émeraude:
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en
bas est comme ce qui est en haut » (La Table d’Émeraude, Les
Belles Lettres, 1960)
La Nature vivante
Si le microcosme est en correspondance avec le macrocosme, il est alors
très naturel de considérer que ce dernier, comme le premier, est porteur
de vie. Certes, la frontière entre ce qui est vivant et ce qui est inerte est
imprécise (une imprécision particulièrement apparente dans la
définition médicale de la mort). Mais puisque l’Homme-microcosme est
de toute évidence vivant, alors la Nature-macrocosme l’est nécessairement
aussi.
« Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » disait le poète Lamartine
(et certes dans une optique peu en rapport avec l’ésotérisme). Dans la
conception ésotérique, l’âme du Monde, l’Esprit divin, quel que soit le
nom qu’on lui donne, baigne toutes choses, y compris celles qui nous
semblent inanimées. En conséquence, le Monde matériel n’est pas figé, inerte, mais il est animé par des forces qu’il est possible de ressentir, de
capter et d’utiliser.
L’hypothèse Gaïa
On retrouve la même idée, sous une forme non ésotérique, au fondement
de l’« hypothèse Gaïa » qui considère que notre Terre se
comporte elle aussi comme un organisme vivant, qui souffre et qui
réagit aux agressions que l’humanité lui fait subir.
Si la Nature est vivante, elle possède les caractéristiques d’un organisme
vivant, à commencer par la capacité de se perpétuer et aussi
d’évoluer. C’est donc un organisme muni d’un passé et d’un avenir,
d’une naissance et d’une mort. Quels sont-ils ? Cette éternelle, essentielle
interrogation transpose à l’Univers l’angoissante question que
l’Homme se pose pour lui-même depuis qu’il est devenu un être conscient.
L’ésotérisme inclut donc naturellement une « théogonie », une
« cosmogonie » et une « anthropogonie ».
Les médiations
Pour l’ésotérisme, la réalité n’est pas ce qu’elle semble être telle que
nous la percevons avec nos sens : elle a plusieurs niveaux, le plus
« grossier » étant celui de la matière. Au-delà (nous avons naturellement
tendance à penser « au-dessus »…), d’autres niveaux non moins
réels existent, qui, s’ils ne sont pas accessibles à nos sens, le sont par
l’esprit.
Et ces niveaux (quel que soit leur nombre) sont « peuplés » : y existent
des entités d’essence différente de l’Homme, mais avec lesquelles il est
possible d’entrer en contact.
La transmutation
Ce terme (proposé par Antoine Faivre qui l’emprunte à l’alchimie)
traduit la capacité de l’humain de se transcender, de dépasser sa nature
imparfaite pour tendre vers un état de perfection : ainsi l’alchimiste
parle-t-il, au sens figuré, de la transformation du vil plomb en or pur. Cette véritable métamorphose, cette sorte de sublimation dont on
retrouve l’idée dans toutes les grandes traditions, est décrite comme
une seconde naissance qui ne peut être réalisée qu’au prix d’une mort
symbolique.
Naturellement se pose ici la question de ce que peut être la perfection,
et par extension de ce qu’est cet état d’imperfection qui exige la
métamorphose.
Extrait de:
"Comprendre l'ésotérisme"
de
Jean-Marc FONT
Collection Eyrolles Pratique
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