dimanche 20 février 2011

Le moment présent



Le moment présent

«Le souvenir du bonheur n’est plus du bonheur ; le souvenir de la douleur est de la douleur encore.»
 Lord Byron

Souvent j’entends dire, autour de moi, que pour être heureux, il faut vivre au présent, cueillir dés aujourd’hui les fruits de la vie, vous savez le parfait « Carpe diem » préconisé par Horace. En fait, le raisonnement moderne a tendance à modifier l’idée développée par Horace, lequel proposait cette solution pour échapper à l’inconnu du futur ; tu ne sais pas de quoi demain sera fait, alors profite de ta vie aujourd’hui.

J’ai remarqué souvent chez les adeptes contemporains de cette formule figée par le temps que leur philosophie de la vie n’était pas du tout la même. Sous une apparence volontiers spiritualiste, tenant du légendaire lâcher prise, il semble s’agir davantage d’une technique de fuite mise au point pour échapper au poids d’un passé douloureux, dont on n’arrive pas à se libérer.

Ces personnes n’arrivant pas à dépasser un passé qui les obsède en sont, de fait, réduites à s’interdire toute projection dans l’avenir, et pour trouver une échappatoire nécessaire au besoin de vivre, s’obligent à ne vivre qu’au présent, sans regarder derrière (ce qu’elles ne veulent pas), ni devant soi (ce qu’elles ne peuvent pas).
En fait, nous sommes en présence de personnes traumatisées par des épreuves douloureuses, qui se sont enkystées en elles, faute d’avoir pu les sublimer et qui inhibent totalement toute volonté de se projeter dans le futur, à cause de la peur qui les paralyse.

L’écrasement d’un passé, dont le deuil n’est pas fait, et l’interdiction d’un futur, correcteur des erreurs anciennes, voire libérateur de leur oppression, constituent les véritables œillères que s’impose l’être pour ne, soi-disant, vivre qu’au présent.
Si l’on prend pour principe que l’évolution de tout être repose sur l’assimilation des expériences vécues pour optimiser celles qui lui restent à vivre, on conçoit mal comment une évolution pourra être réussie en s’obligeant à se nourrir de l’instantanéité, se coupant de l’avant et de l’après. On est davantage dans la stagnation de l’immobilisme, dans la résignation de l’impuissance.
Peut-on envisager une demeure sans fondations et sans toiture ; peut-on concevoir une éducation qui ne soit pas fondée sur les leçons de l’expérience pour apprendre ce qu’il faudra faire pour s’en sortir au mieux dans la vie.

Il faut impérativement digérer les épreuves que la vie nous inflige pour arriver à tracer un avenir, sinon on se condamne à ne rien faire, en se contentant de croire qu’on le fait bien. Et malheureusement, ils sont nombreux tous ceux qui, sous des dehors de sagesse ou autre sérénité, s’enferment dans un présent castrateur leur interdisant tout devenir et les sclérosant sine die.

Pourtant il suffit de regarder d’où l’on vient pour comprendre où l’on va, et c’est sans doute là le premier fondement de l’âge sage ; ce n’est pas en s’interdisant de marcher que l’on pourra avancer, bien au contraire, et si l’on a trébuché, l’important est de se relever et de reprendre sa progression. Nous sommes là pour tracer une trajectoire vitale, avec ses hésitations, ses inflexions, ses corrections, avec ses épreuves et ses récompenses, ses réussites et ses échecs et non pas pour se cacher la tête dans le sable à l’image de l’autruche.

Mais, peut-être que l’apanage de la sagesse consiste à considérer d’où l’on vient pour mieux gérer sa trajectoire vers où l’on va, tout en appréciant à sa juste valeur l’entre deux, le moment présent appelé à devenir passé quand il se transforme en futur ; et s’il n’était que cela, juste une évanescence à percevoir par une vraie prise de conscience pour lui conférer une réalité existentielle que lui dénie la routine coutumière du quotidien.

Et au-delà, se souvenir que nous sommes en chemin vers une dimension où le temps et l’espace ne conditionneront plus notre évolution, et où tout se passera dans l’ici et le maintenant ; mais pour le moment, nous sommes toujours dans la troisième dimension, spatio-temporelle et linéaire…
En attendant, en voulant trop être présent à soi-même, on court le risque d’être absent de sa vie.

"Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé."
Stephan Zweig

"On ne juge pas un homme sur le nombre de fois qu'il tombe, mais sur le nombre de fois qu'il se relève."
Jigoro Kano

7 commentaires:

  1. Vivre l'instant présent ne consiste pas à ignorer le passé ou le futur. Vivre l'instant présent c'est bien au contraire être attentif à son environnement actuel afin d'être à même d'y répondre en toute clairvoyance et sérénité. Vivre l'instant présent c'est avant tout être conscient de son passé qui, par l'entremise du mental nous emmène inexorablement à voyager incessamment entre passé et extrapolation du futur. Ces voyages temporels du mental ne permettant ainsi plus de répondre à l'instantanéité du moment. Apprendre n'est pas comprendre. Le savoir prodigué par les instant du passé ne permet que de reproduire des schémas, actes, pensée inculqués par d'autre, sans en comprendre les mécanismes ou l'utilité. Apprendre à ne pas savoir, c'est voir la réalité telle qu'elle est et en jouir à l'instant.

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  2. Merci Anonyme pour ce beau commentaire, bien argumenté.
    Pour moi, l’instantanéité reste le piège de l’éphémère.
    "Apprendre à ne pas savoir, c'est voir la réalité telle qu'elle est et en jouir à l'instant."
    Belle formule en vérité, qui me rappelle un peu la situation du cheval à qui on met des oeillères pour qu'il ne puisse voir ni à droite, ni à gauche; se condamner à vivre dans le présent, c'est oublier de regarder le passé qui nous y a amené et le futur qu'il prépare.

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  3. Merci pour votre réponse Ophoemon... Mais vous ne semblez pas avoir saisi le sens de mon commentaire ^^
    Vous avez omis de citer la phrase qui précéde, ainsi mon argumentaire prend un tout autre sens que celui que vous rapportez. Je crois, tout au contraire, que les oeillères sont portés par ceux qui se laisse influencer par les cicatrices du passé pour les reporter dans le futur. En préparant votre futur au travers de votre analyse du passé, vous en oubliez certainement ce qui se déroule à l'instant présent. Vous oubliez donc tout simplement de vivre votre vie, pour consulter un livre d'image emplie de ce que l'on vous a appris et/ou fait. Vous devenez spectateur de votre vie. Etre "présent" c'est être, pour moi, acteur de sa vie. Ne pas savoir, c'est ce donner les moyens de changer d'avis et donc d'influencer, sans jugement, son avenir. Ce qui m'intéresse, quand à moi, n'est pas ce que je serais... mais ce que je suis aujourd'hui...

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  4. J'ai bien compris votre analyse, mais je suis au regret de ne pas la partager.
    Pour ma part, ce qui constitue le sens de ma vie actuelle, c'est la trajectoire qu'elle dessine, de son départ à son arrivée; ce que je suis au moment présent ne m'apporte rien de viable puisque au moment même où j'en prends conscience, c'est déjà du passé.
    Le sens d'une rivière s'écoule dans sa continuité de l'amont à l'aval et toute sa signification est dans ses détours et méandres qui la personnalisent;des gros plans sur les gouttes d'eau n'apportent rien de plus, et c'est
    la même chose pour notre vie.
    Ce qui compte c'est la somme des expériences réalisées qui nous singularisent chacun; et il n'y a pas que des cicatrices, Dieu merci, dans le passé ou dans l'avenir. L'arrêt sur image stoppe la dynamique du mouvement, et se complaire dans une contemplation esthétique ou sensuelle de notre vécu correspond à s'enfermer dans une vie limitée, immobile et illusoire.

    Ceci n'est que mon avis tout-à-fait relatif et ne saurait avoir aucune prétention à une quelconque détention de la vérité; chacun sait que la vérité n'a pas de chemin et qu'il nous appartient de tracer notre piste nous-même. Ce n'est qu'une fois arrivé à destination qu'avec le recul nous pourrons savoir si notre action était juste ou fausse.

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  5. Nous partageons au moins une chose... Notre désaccord :)
    Je pense que vous vivez votre "mental", les "représentations de votre expérience" travesties par l'analyse que s'en fait ce dernier. Savoir vivre le moment présent c'est bien pouvoir prendre conscience de ce qui nous entoure (mais aussi de nous même)à l'instant présent. Si vous faites de votre présent une image déjà appartenant au passé, c'est bien parceque vous étiez surement trop occupé à écouter votre mental au lieu de le vivre ^^
    Une riviére s'écoule, une vie passe, bien entendu... Un amont, un aval, mais aussi et surtout l'endroit où je me trouve devant elle et où je peux admirer sa beauté, sa force, son énergie. Un endroit et un instant où je peux m'y baigner, où je peux écouter les oiseaux chanter, les herbes danser, etc... Si je me consacre à ne regarder que sa globalité ou uniquement sa source et son embouchure, alors je ne me donne pas la chance de voir tous ces infinis détails qui constituent son essence même...
    Les visions et les analyses sont multiples et infinies et chacunes se respectent bien entendu... Quand à moi, je préfère vivre mon action et savoir à l'instant qu'elle est juste car j'ai pu écouter, voir et comprendre à l'instant. Pour cela je peux me servir de mes expériences du passé, mais il ne constitu pas pour autant mon guide. Quand au futur, il n'est que le siège des envies et des désirs. Il me guide dans mes choix personnels... Mais c'est toujours bien dans l'instant présent que je le forge et le façonne. Passé et futur ne sont que des représentations déformées par nos désirs et nos craintes. Le présent détient la vérité car "il est". Le passé n'étant plus... Le futur n'ayant aucune existance. Sa seul raison d'âtre étant de fournir une continuité de l'espace temps, propre à nous offrir une assurance, qu'après l'instant présent il exite encore un espoir de pouvoir rectifier ses erreurs, se rassurer de pouvoir atteindre ses désirs, ce forger l'image de ce que nous serons... Ce qui fait votre marque sur votre vie, n'est à mon sens pas ce que vous ferez, mais bien ce que vous faites !

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  6. « Les enfants n'ont ni passé ni avenir et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent. »
    Jean de La Bruyère

    On peut en discuter jusqu’à demain, on ne trouvera pas de terrain d’entente parce qu’on n’est pas dans le même registre.
    L’un sur l’émotionnel et le plaisir des sens, l’autre sur le mental et la recherche active ; l’important est d’accéder au spirituel qui seul est libérateur des illusions qui nous entourent et de leurs pièges.

    Mais quelque chose me dit, qu’à un moment donné, il faut passer par le mental pour atteindre le spirituel ; je ne connais pas de raccourci.

    « Je lis dans l'avenir la raison du présent. »
    Alphonse de Lamartine

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  7. Encore un désaccord... La vie du moment présent n'est pas une question de plaisir ou d'émotion. Elle est bien au contraire la recherche de la spiritualité dont vous parlez. Pourquoi ? Car pouvoir vivre le moment présent c'est comprendre et écouter son "mental", cette petite voix dans notre tête qui analyse, dicte, nous accompagne. Vivre le moment présent c'est bien au contraire se rapprocher de son âme, de son être, de son pur esprit en écoutant au delà de cette petite voix. Mais il faudrait encore s'entendre sur la définition du terme spirituel ! Si pour vous il s'agit d'écouter et comprendre votre "mental", alors vous êtes dans le vrai. Vous êtes en train de prendre conscience de ce dernier, de l'écouter comme un auditeur écouterait le narrateur, de comprendre son fonctionnement. S'il s'agit au contraire d'atteindre l'illumination, alors il me semble que ce chemin ne vous y ménera qu'après avoir pris conscience qu'il existe autre chose derrière votre "esprit".
    Vous avez beaucoup de citations pour illustrer votre propos, mais quel est votre propre regard, votre propre pensée... Ne sont-ce pas tout ces auteurs qui vivent votre vie à votre place ? J'ai parcouru votre blog et vous semblez forger votre pensée sur la vision qu'en donne d'autre que vous... Est-ce par ce moyen que vous arriverez à vous comprendre vous même ? A vous écouter ? Se comprendre, se connaitre est selon moi le moyen d'aller au delà dans sa recherche de la spiritualité, de l'illumination, cet état qui vous fait voir toute chose en totale clairvoyance. Prendre conscience des mécanismes de son mental est important, mais il ne s'agit que d'un tout petit chemin dans la recherche de l'illumination.

    Prenons quelques seconde pour parler de vos deux dernières citations... Pouvez-vous m'expliquer pourquoi, dans la citation de Jean de La Bruyère, les enfants n'ont pas d'avenir ? (Je passerai volontairement sur l'assertion qu'ils n'aient pas de passé). Quand à Lamartine, voilà une belle formulation poétique, mais en quoi elle vous aide à trouver le chemin de votre esprit ? Voilà donc quelqu'un qui arrive à lire dans quelque chose qui n'existe pas, dont il n'a pas connaissance, la raison du présent... Lamartine aurait-il été voyant ? Et si tel était le cas, en quoi cela va t'il vous aider, car il y a de grande chance que vous ne le soyez pas ? ^^

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