dimanche 17 avril 2011

Morceaux choisis - Khalil Gibran

« Le Prophète » de Khalil Gibran 

(extraits)



La connaissance de soi



Un homme dit:
Parle-nous de la Connaissance de soi.

Il répondit :

Vos cœurs connaissent en silence les secrets des jours et des nuits.

Mais vos oreilles se languissent d'entendre la voix de la connaissance en vos coeurs.

Vous voudriez savoir avec des mots ce que vous avez toujours su en pensée.

Vous voudriez toucher du doigt le corps nu de vos rêves.

Et il est bon qu'il en soit ainsi.



La source secrète de votre âme doit jaillir et couler en chuchotant vers la mer,

Et le trésor de vos abysses infinis se révéler à vos yeux.

Mais qu'il n'y ait point de balance pour peser votre trésor inconnu,

Et ne sondez pas les profondeurs de votre connaissance avec tige ou jauge,

Car le soi est une mer sans limites ni mesures.



Ne dites pas: "J'ai trouvé la vérité", mais plutôt: "J'ai trouvé une vérité".

Ne dites pas: "J'ai trouvé le chemin de l'âme". Dites plutôt: "J'ai rencontre l'âme marchant sur mon chemin".

Car l'âme marche sur tous les chemins.

L'âme ne marche pas sur une ligne de crête, pas plus qu'elle ne croit tel un roseau.

L'âme se déploie, comme un lotus aux pétales innombrables.





La Liberté



Et un orateur dit:
Parle-nous de la Liberté.

Et il répondit :

Je vous ai vu vous prosterner aux portes de la cité et dans vos foyers, et vous vouer au culte de votre propre liberté, Comme les esclaves qui s'humilient devant un tyran et le louent, alors qu'il les anéantit. Oui, dans le bosquet du temple et dans l'ombre de la citadelle, j'ai vu les plus libres d'entre vous porter leur liberté comme un joug ou des menottes. Et mon cœur saigna en moi ; car vous ne pouvez être libre lorsque vous forgez une chaîne du désir même de la liberté, et quand vous ne cessez de parler de la liberté comme d'un but et un accomplissement.



Vous serez libre en vérité non pas quand vous jours seront sans tourments et vos nuits sans un désir ou un chagrin, Mais d'avantage quand ces choses étrangleront votre vie, et que pourtant vous vous élèverez au-dessus d'elles, nu et sans entraves. Et comment vous élèverez-vous au-delà de vos jours et de vos nuits, à moins que vous ne rompiez les chaînes que vous-même, à l'aurore de votre entendement, avez fixé autour de votre âge mûr ?



En vérité ce que vous appelez liberté est la plus solide de ces chaînes, bien que ses anneaux scintillent au soleil et éblouissent vos yeux. Et à quoi voulez-vous renoncer dans votre quête de la liberté, si ce n'est à des parcelles de vous même ? S'il existe une loi injuste que vous voudriez abolir, cette loi fut écrite de votre propre main sur votre propre front. Vous ne pouvez l'effacer en brûlant vos tables de la loi, ni en lavant le front de vos juges, même si vous déversiez sur eux la mer toute entière.



Et s'il existe un despote que vous voudriez détrôner, voyez d'abord si l'image de son trône érigée en vous est détruite. Car comment le tyran peut-il régner sur les affranchis et les fiers, s'il n'existe une tyrannie dans leur propre liberté et une honte dans leur propre fierté ?



Et s'il existe un tourment que vous voudriez dissiper, le siège de cette crainte est dans votre cœur et non dans la main du tourment. Vraiment, toutes les choses se meuvent dans votre être en une continuelle étreinte fatale ; ce que vous désirez et ce que vous redoutez, ce qui vous attire et ce qui vous répugne, ce que vous poursuivez et ce que vous voulez fuir.



Ces choses se meuvent en vous comme la lumière et l'ombre, en couples enlacés. Et quand l'ombre se dissipe et disparaît, la lumière qui persiste devient l'ombre d'une autre lumière.



Et telle est votre liberté qui, quand elle perd ses entraves, devient l'entrave d'une plus grande liberté.

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