samedi 2 avril 2011

Morceaux choisis - Marie de Hennezel


La mort intime : Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre


Marie de Hennezel, née le 5 août 1946 à Lyon, est une psychologue et psychothérapeute française.
Elle est titulaire d'un DESS de psychologie et d'un DEA de psychanalyse. Elle a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs de France, créée en 1987 à l'Hôpital international de la Cité universitaire de Paris. Elle anime des conférences et des séminaires de formation à l'accompagnement de la fin de vie en France et à l'étranger.

« Nous vivons dans un monde que la question de la mort effraie et qui s'en détourne. Des civilisations avant nous, regardaient la mort en face. Elles dessinaient pour la communauté et pour chacun le chemin du passage. Elles donnaient à l'achèvement de la destinée sa richesse et son sens. Jamais peut être le rapport à la mort n'a été aussi pauvre qu'en ces temps de sécheresse spirituelle où les hommes pressés d'exister, paraissent éluder le mystère. Ils ignorent qu'ils tarissent ainsi le goût de vivre d'une source essentielle. »

François Mitterand
Préface de "La mort intime"
Marie de Hennezel

" On cache la mort comme si elle était honteuse et sale. On ne voit en elle qu’horreur, absurdité, souffrance inutile et pénible, scandale insupportable, alors qu'elle est le moment culminant de notre vie, son couronnement, ce qui lui confère sens et valeur.
Elle n'en demeure pas moins un immense mystère, un grand point d'interrogation que nous portons au plus intime de nous-mêmes.

Je sais que je mourrai un jour, bien que je ne sache pas comment, ni quand. Il y a un lieu, tout au fond de moi, où je sais cela. Je sais que je devrai un jour quitter les miens à moins que ce ne soient eux qui me quittent d'abord. Ce savoir le plus profond, le plus intime est paradoxalement ce que j'ai en commun avec tous les autres humains. C'est pourquoi la mort d'autrui me touche. Elle me permet d'entrer au cœur de la seule et vraie question : quel sens a donc ma vie ? "

Extraits

1. " Noël est arrivé. Au fond de la galerie du service, l'arbre étincelle de toutes ses guirlandes. A son pied, une multitude de petits cadeaux attendent d'être distribués. Il y a, parmi eux, ceux que Patricia a préparés avec discrétion et tendresse, et qu'elle ne pourra pas nous donner elle-même, car elle est morte ce matin, après trois jours de coma.
Il n'y a pas de tristesse dans mon âme, mais de la gravité. Comme toujours après la mort de quelqu'un que je me suis engagée à accompagner jusqu'au bout. Une vie se termine. Je sens le bonheur d'avoir pu la soutenir dans les moments difficiles comme le jour où elle a réalisé qu'elle ne guérirait pas. Je sens de la gratitude à son égard, car elle m'a montré comment je pouvais l'aider, elle m'a montré qu'on peut garder sa joie de vivre et sa gaieté, malgré la souffrance de se voir diminué. Je sens aussi que la vie est fragile, si fragile ! "

2. " Je me souviens de cette femme d'une cinquantaine d'années qui, après avoir réclamé plusieurs semaines de suite qu'on l'euthanasie, s'était soudain ravisée et souhaitait mettre à profit le temps qu'il lui restait à vivre pour approfondir sa relation avec les siens. Face à cette demande inattendue, la famille, qui s'était préparée depuis des semaines à la mort de cette parente, s'est trouvée fort dépourvue. Devant l'incapacité de ses proches à répondre à son besoin intense de relation, cette femme s'était tournée vers quelques bénévoles et moi-même. Sa demande affective était aussi intense qu'urgente. Il s'agissait pour elle de pouvoir déposer en des oreilles disponibles l'immense affection pour les siens, qu'elle avait jusque-là retenue. Ce besoin d'exprimer sa générosité allait jusqu'à leur pardonner de ne pouvoir, de ne pas savoir répondre à son besoin d'échange affectif. "

3. " Le lendemain de cette conversation, Valérie est toujours là dans son sommeil. Elle ne réagit plus depuis longtemps, ni quand on l'appelle par son prénom ni quand on la touche. Elle semble être vraiment dans un coma profond. A midi, son père et sa mère arrivent, accompagnés d'un bénévole qui s'était beaucoup attaché à elle ces derniers temps. Ensemble, autour du lit, ils entourent Valérie. Sa mère prend alors la parole et s'adresse à sa fille, avec chaleur, avec émotion :
" Ma chérie, nous sommes là autour de toi, nous t'aimons. Tu nous as apporté à travers ta vie, et surtout les derniers temps de ta maladie, tant de choses que nous ne pourrons jamais assez te remercier. Sois bénie et va ton chemin. Nous restons avec tout ce que tu nous as laissé de si précieux et qui nous aidera à continuer notre chemin sans toi, va, va maintenant. "
A cet instant précis, Valérie est sortie de son profond coma. Elle a ouvert les yeux, a regardé ses parents. Puis elle leur a fait un petit signe de la main, en disant " ciao ", d'une manière un peu désinvolte, comme elle le faisait toujours, et son souffle s'est suspendu sur ce dernier au revoir. C'était fini. "

« Je découvrais que l'espace-temps de la mort est, pour ceux qui veulent bien entrer dedans et voir au-delà de l'horreur, une occasion inoubliable d'intimité. »


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