dimanche 24 juillet 2011

Morceaux choisis - Christian Bobin


Christian Bobin

Christian Bobin, né le 24 avril 1951 au Creusot en Saône-et-Loire où il demeure, est un écrivain français. Tour à tour poète, moraliste et diariste, il est l'auteur d'une œuvre fragmentaire où la foi chrétienne tient une grande place.

Aujourd'hui, tout a été corrompu.
Même le temps a une étiquette avec un prix dessus.
(...)

Jamais la négation de l'âme
n'a été aussi forte et tranquille.
L'esprit n'est même plus nié,
c'est plus sournois qu'une négation.
Nous sommes comme des prisonniers
dont le corps seul aurait le droit de sortir.
L'âme va rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre en prison:
le reste, le clinquant, c'est seulement cela qui est libre.
Cette société ne croit plus qu'en elle-même,
c'est-à-dire à rien.

C'est donc une lutte infernale de chacun contre tous,
car s'il n'y a qu'un seul monde, autant y être le premier :
il y a presque une logique là-dedans.
C'est le meurtre légal, accepté.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'obstacles.
On est dans une sorte de progression négative
dont on ne voit pas le terme
et qui est comme d'avancer
dans une nuit vide de tout.

On a déclenché quelque chose qui est sans pitié,
comme un fou qui aurait libéré sa folie.
Il faudra que tout soit atteint
pour qu'on commence à réfléchir.


Christian Bobin
"La lumière du monde"


Le mieux est de ne se faire aucune illusion
sur l'histoire des sociétés.
Je pense qu'aucune n'a accueilli la lumière,
 et pourtant notre époque est pire :
 c'est la première fois qu'on a supprimé le ciel.
(...)

 ...aujourd'hui, on a effacé le ciel
 aussi simplement et doucement
 qu'avec une éponge sur un tableau noir,
 et pour la première fois,
 nous sommes laissés entre nous.
 C'est pourquoi il n'y a plus que l'entre-dévorement.
 Pour connaître ce monde,
 il suffit d'entendre parler les citoyens américains.
 Il y a quelque chose qui leur est propre
 et qui est répandu partout :
 une sorte d'incroyable suffisance.
 "Ce que je fais, c'est bien."

 Ils sont comme des hommes sans failles,
 des hommes sans regard.
 C'est le reflet du ciel dans la prunelle des yeux
 qui donne les regards, comme un petit caillou
 jeté dans l'eau tremblotante des yeux.
 En effaçant le ciel, on efface les regards.
 On nous a enlevé petit à petit
 et méthodiquement la lumière
 qu'on avait dans les yeux en naissant.

Christian Bobin
"La lumière du monde"

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