dimanche 11 décembre 2016

Ainsi parlat Victor Hugo



Le Mot

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes ;
Tout, la haine et le deuil !
Et ne m'objectez pas que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.
Écoutez bien ceci :
Tête à tête, en pantoufles,
Portes closes, chez-vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille du plus mystérieux de vos amis de cœur
Ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot ‑ que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre.
Tenez, il est dehors!
Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin il prendrait des ailes comme l'aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues ;
Et va tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage; il a la clef,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive,
Et railleur, regardant l'homme en face dit;
« Me voilà! Je sors de la bouche d'untel »
Et c'est fait.
Vous avez un ennemi mortel!


Victor Hugo




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