dimanche 16 octobre 2011

Morceaux choisis - Christiane Singer

Abélard et Héloïse dans le manuscrit du Roman de la Rose (14e siècle)

L’amour sacré
« Tout ce qui a été écrit sur terre, dit, murmuré, hurlé, crié, parle d'amour... »

« J'ai eu un rêve cette nuit:
J'errais dans une ville à la recherche de ma maison. Je reconnaissais bien ma rue, les maisons environnantes, mais impossible de déceler l'entrée. J'ai repassé dix fois sans la trouver. Et quel soulagement, pour finir, d'en découvrir l'interstice, la fente entre deux murs!
Ainsi m'a-t-il fallu, pour rentrer enfin à la maison, trouver dans le familier, la faille où pénétrer. Elle est là, plus proche que je ne l'avais soupçonné, dans le gras même du vécu. La plus haute espérance est au cœur du plus proche et du plus familier. Là où je passe et repasse indéfiniment sans la voir. Ta présence !
Dieu, ta présence à mon être, ta déchirante, exaltante présence est au plus aigu de mon désir, au cœur de ma passion. Abélard et toi ne font qu'un ! Je ne l'ai pas joué contre toi ! Je ne l'ai pas préféré ! J'ai frappé en vain à mille portes!
En vain j'ai tout tenté pour me délivrer de la souffrance d'être séparée, en vain j'ai tourné mes regards vers les quatre horizons! D'où me viendra le salut? Du milieu même de l'amour, tu me regardes, et voilà que je ris aux éclats, oui !
Le monde n'est que ton jeu de masques ! Sous toutes les apparences, le même visage, sous tous les visages, le même sang, sous toutes les écorces, le même aubier! Présent dans chaque être, différent en chacun de nous, unique dans l'infini multiplié, partout incognito, passager clandestin de nos entrailles, ton corps est composé de tous nos corps.
Ce que je croyais séparé vibrait en toi depuis toujours! Aucune tentative de fuite qui ne nous ait ramenés en toi! Traverser l'épaisseur des choses au plus dru, au plus dense est encore le plus sûr chemin. Pour sortir de ma prison et Te rejoindre, il n'y avait que les murs à traverser!"
L'expérience de l'amour, c'est cela. L'expérience de l'amour est que, portée à son incandescence - que nous aimions notre enfant, notre amant, notre amante - dans la traversée, dans la trouée, nous entrons toujours dans la dimension du sacré.
On a tout à fait tort quand on dit que l'amour est aveugle. Je crois qu'il faudrait dire bien davantage que l'amour est visionnaire, c'est-à-dire qu'il voit dans l'être aimé la divinité qui l'habite. L'amour voit tout.
Naturellement. Pas d'une manière réaliste et au niveau des preuves, mais dans la lucidité de la seule ferveur. C'est ce qui importe. L'amour est là comme cet apprentissage à nous faire entrer dans la ferveur. En toute chose la mesure est importante et désirable, mais en amour la seule mesure est la démesure.
Dans n'importe quelle forme d'amour, dans celui que nous portons à nos enfants, dans celui que nous portons aux hommes et aux femmes que nous aimons. La seule mesure est la démesure parce que c'est la seule qui nous fait entrer dans la ferveur et dans le sacré. »
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« La passion est une mort initiatique. Il y a toujours destruction et résurgence. Ne confondons pas les êtres aimés avec l'amour. Nous sommes les uns et les autres qui nous aimons, des fenêtres à ouvrir.
Dans la tradition du zen on dit : "Ne confonds pas le doigt qui te montre la Lune, et la Lune". L'amant et l'amante ne peuvent jamais être davantage que le doigt qui montre la Lune. Le pire qui puisse nous arriver, c'est quand l'être aimé détourne l'amour à son profit. C'est alors le drame.
C'est-à-dire quand l'être aimé se confond avec l'amour que vous lui portez, sans voir que cet amour est une invitation au dépassement. J'apprends dans l'amour que je porte à un être, l'amour, et le sens de l'amour est d'apprendre à aimer, rien d'autre. »

Christiane Singer
Extraits divers : « Une passion. Entre ciel et chair »

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