vendredi 11 mars 2011

Morceaux choisis - H. Laborit



Si c’était à refaire

J’avoue que je ne saurais répondre une telle question. Qu’y aurait-il à refaire ? Ma vie ? Ou bien je renaîtrais nu comme au premier jour, avec le système nerveux vierge de l’enfant, et je serais immédiatement placé sur des rails : ceux de mon hérédité nouvelle, ceux surtout de ma famille nouvelle, de mon milieu social nouveau, et je ne referais rien. Je me laisserais faire une fois de plus, mais différemment puisque, entre-temps tout aurait changé. Je suivrais mes rails vers une destination inconnue, si ce n’est avec la même certitude de trouver au bout d’une route plus ou moins longue la mort. Je ne referais rien puisque ce ne serait plus moi qui ferais, mais un autre, façonné par un autre milieu.

Si c’était à refaire en repartant de l’enfance avec l’acquis et l’expérience de mon âge? Est-ce plus imaginable ? Bien sûr l’expérience, l’apprentissage permettent d’autres comportements. Mais les situations ne se reproduisent jamais. Il n’est pas sûr que je retrouverais aujourd’hui autour de moi les comportements de ceux que j’ai rencontrés dans ma vie. Mais en l’absence d’une coupure profonde dans l’évolution historique de la socio-culture depuis l’époque de mon adolescence, les pulsions humaines demeurant toutes aussi inconscientes, j’agirais moi-même avec les mêmes déterminismes inconscients qui m’ont toujours guidé au milieu de l’inconscience de mes contemporains. Si c’était à refaire ? Cela sous-entend que nous pourrions faire autre chose que ce que nous avons fait. Qu’il nous reste une possibilité de choix. Relisez le chapitre où j’ai parlé de la Liberté et vous comprendrez que, à mon avis, nous n’avons jamais le choix. Nous agissons toujours sous la pression de la nécessité, mais celle-ci sait bien se cacher. Elle se cache dans l’ombre de notre ignorance. Notre ignorance de l’inconscient qui nous guide, celle de nos pulsions et de notre apprentissage social.

Si c’était à refaire, je ferais certainement autre chose, mais je n’y pourrais rien. Je ferais autre chose parce que chaque vie d’Homme est unique, située dans un point spécifique de l’espace –temps à nul autre pareil. Mais vers ce point convergent puis de lui s’échappent tant de facteurs entrelacés, que, comme dans un nœud de vipères, il n’y a plus d’espace libre pour y placer un libre choix.

D’ailleurs consolons-nous : ce ne sera point à refaire, mais d’autres feront ce que nous n’avons pas fait, parce que notre expérience d’un temps déjà révolu, d’un passé et d’un présent éphémère, ne peut être utilisé telle quelle pour un avenir différent. Cette expérience, même s’il était possible de la leur transmettre intégralement, d’autres générations en feraient autre chose que ce que nous en aurions fait si nous avions eu le temps de l’utiliser. Et puis surtout, que peut-on faire ou refaire seul ? Rien d’autre que ce que les autres font avec nous. Si c’était à refaire, nous le ferions encore tous ensemble mais différemment, ce qui ne veut pas dire mieux ou plus mal, car pour juger il faut posséder une échelle de valeurs absolue et non affective, permettant de donner une note à chacune de nos actions.
 « Ne pas juger si l’on ne veut pas être jugé ? »
 Est-ce que cette phrase n’implique pas qu’il n’y a pas d’échelle de valeur humaine qui soit absolue ?

Malheureusement, ne pas juger, c’est déjà juger qu’il n’y a pas à juger.
 

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