dimanche 11 mars 2012

Morceaux choisis - Christiane Singer


« La vie n’a pas de sens.
Ni sens interdit, ni sens obligatoire.
Et si elle n’a pas de sens,
C’est qu’elle va dans tous les sens
Et déborde de sens, inonde tout.
Elle fait mal aussi longtemps
Qu’on veut lui imposer un sens,
La tordre dans une direction ou une autre.
Et si elle n’a pas de sens, c’est qu’elle est le sens. »

Le chemin de la vie

« L’insatisfaction que nous ressentons à ne pas être là où il faut quand il faut est un aiguillon qui nous pousse en permanence dans une quête prodigieuse de nous-mêmes. »

" De notre conception à notre mort, la vie est conçue comme un chemin d’initiation, un cycle d’expériences successives. La roue qui va tourner son grand tour est à chaque point où son cercle ferré touche le sol à son point de départ. Chaque instant est le début, chaque nouveau jour, chaque nouveau livre, chaque nouvelle rencontre. A chaque moment nous commençons de neuf. […] La vie ne commence de faire mal, très mal, que lorsque nous ne nous laissons pas porter par son courant […]. Retenir le flux de l’existence, c’est oublier que la vie est l’art de la métamorphose. La femme que vous avez devant vous a déjà enterré un enfant, l’enfant qu’elle a été ; joyeux, il chantait et dansait ; puis une adolescente embarrassée de ses jambes. J’ai enterré aussi une jeune femme, une jeune mère. J’ai enterré une femme mûre. Je viens même d’enterrer la femme féconde que j’étais ; c’est-à-dire que je suis entrée dans ma seconde fécondité. Et j’enterrerai cette femme mûrissante que je suis en devenant la femme vieille qui est en moi ; puis la très vieille femme ; puis, la morte et celle qui fera le passage vers l’autre rive.

Ainsi, chaque fois que j’ai quitté un espace, je suis entrée dans un autre. Ce n’est pas facile. C’est dur de quitter le pays de l’enfance ; c’est dur de quitter le pays de la jeunesse ; c’est dur de quitter l’épanouissement féminin, de quitter la fécondité. D’un pays à l’autre, d’un espace à l’autre, il y a le passage par la mort. Je quitte ce que je connaissais et je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas où j’entre. Traiter ce passage comme s’il allait de soi ? Bien sûr que non : ce serait légèreté. Mais, puisque plusieurs fois déjà j’ai fait l’expérience qu’en quittant un " pays " j’entrais dans un autre d’une égale richesse sinon d’une plus grande richesse, pourquoi donc hésiterais-je devant la vieillesse ? »

Notre corps selon les âges

Je vais tenter maintenant d’ébaucher les différentes qualités de présence qui règnent dans nos corps selon les âges de la vie – et qu’il va s’agir aussi de jouer dans nos existences comme l’ensemble des touches d’un clavier. […]

La trace de ce bonheur, je le retrouve dans les fièvres de l’enfance. Tout autour les bruits de la vie, la vaisselle lavée, l’eau qui coule, le grincement des freins dans la rue… plus tard aussi dans des situations comme somnoler dans un train, rouler seule en voiture, etc. Personne n’attend rien de moi – je goûte à l’être. Cet espace de présence de qualité Yin se retrouvera tout au long de l’enfance mais partout aussi où l’activité est suspendue : dans la maladie (même dépression) ou alors dans l’état d’amour (l’état de transe qui fait traverser les jours en somnambule) et plus tard dans la vieillesse quand l’ange l’accompagne et qu’elle devient espace d’accueil.

– Avec l’adolescence, c’est une autre qualité qui s’incarne. Un champ ouvert à toutes les virtualités. De même que la vieillesse délivrera le corps de sa détermination sexuée, l’adolescence est espace de liberté – et de virginité. J’appelle ici virginité " cet état d’amour qui se passe de complice ", cet espace agrandi et hermaphrodite – voué à l’ordre encore de tous les possibles. Dans cette perspective, une sexualité précoce n’est pas à rejeter pour des raisons de moralité – ce qui serait insignifiant – mais pour des raisons de dynamique et de devenir de l’être. Avant de recevoir son empreinte sexuelle, l’adolescent est encore en résonance avec l’entière création, dans un espace initiatique qui ne se retrouvera plus. En entrant dans la féminité ou dans la masculinité, la moitié du monde m’est dérobée.[…]

– La jeunesse, elle, a une qualité radicalement différente. C’est l’espace de la vie aujourd’hui le plus convoité et le plus méconnu. La jeunesse est l’otage de nos industries cyniques – la cible de notre société de consommation –, et tout cela est contraire à son génie propre qui est recherche, quête, errance. La jeunesse est lieu d’expérimentation et d’erreur. Ne tentons surtout pas d’épargner aux jeunes gens que nous aimons d’errer, ni même (si terrible que cela soit à vivre) de momentanément se perdre, de s’essayer à tous les rôles. Le corps est alors dans son épanouissement total – et pourtant il n’est pas perçu par celui qui l’habite ! " Dire “je me sens bien” montre déjà qu’on a cessé d’être jeune – car lorsqu’on est jeune, on ne se sent ni bien ni mal, on est tout simplement " (Jean Améry).
Etonnante contradiction qui fait qu’au moment où je possède tout ce qui m’emplira plus tard de nostalgie – beauté, jeunesse, vigueur – je ne le perçois pas comme un trésor ! Cette beauté, cette vigueur me sont rendues maintenant par mes fils. Quand mon fils de vingt ans entre dans la pièce, même si j’ai le dos tourné, je perçois cette énergie de vingt ans qui envahit l’espace – un incendie ! Mais lui l’ignore ! Celui qui vit cette énergie n’est pas en mesure de la fêter puisqu’il s’agit pour lui de devenir qui il est – dure tâche ! […]

– Avec l’âge adulte, l’arc est tendu – clarté, discernement –, si nous suivons alors notre étoile, notre vocation, nous sommes à la fleur de l’âge. C’est le moment de construire le monde. […] Nous avons chacun la responsabilité d’une parcelle de l’univers (école, bureau, hôpital, maison où nous travaillons, où nous vivons). Nous sommes responsables de ce lieu où le destin nous place. […]
Cet âge – qui le croira ? – est sous le signe de la joie. La plus grande part du labeur est accomplie – tant pour les femmes que pour les hommes, c’est le passage d’une fécondité à une autre."

Christiane Singer 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire