« J’ai voulu peindre une des principales
maladies morales de notre siècle : cette fatigue, cette incertitude, cette
absence de force, cette analyse perpétuelle, qui place une arrière-pensée à
côté de tous les sentiments et qui les corrompt dès leur naissance. »
Benjamin Constant (Adolphe)
Mélancolie
« La
poésie mélancolique est la poésie la plus d'accord avec la philosophie. La
tristesse fait pénétrer bien plus avant dans le caractère et la destinée de
l'homme, que toute autre disposition de l'âme. Les poètes anglais qui ont
succédé aux Bardes Ecossais, ont ajouté à leurs tableaux les réflexions et les
idées que ces tableaux même devaient, faire naître; mais ils ont conservé
l'imagination du nord, celle qui se plaît sur le bord de la mer, au bruit des
vents, dans les bruyères sauvages; celle enfin qui porte vers l'avenir, vers
un autre monde,
l'âme fatiguée de sa
destinée. L'imagination des hommes du nord s'élance au-delà de cette
terre dont ils habitaient les confins; elle s'élance à
travers les nuages
qui bordent leur
horizon, et semblent
représenter l'obscur passage de la vie à l'éternité.
L'on
ne peut décider d'une manière générale entre les deux genres de poésie dont
Homère et Ossian sont comme les premiers modèles. Toutes mes impressions,
toutes mes idées me portent de préférence vers la littérature du nord; mais ce
dont il s'agit maintenant, c'est d'examiner ses caractères distinctifs.
Le
climat est certainement l'une des raisons principales des différences qui
existent entre les images qui plaisent dans le nord, et celles qu'on aime à se
rappeler dans le midi. Les rêveries des poètes peuvent enfanter des objets
extraordinaires; mais les impressions d'habitude se retrouvent nécessairement
dans tout ce que l'on compose.
Eviter
le souvenir de ces impressions, ce serait perdre le plus grand des avantages,
celui de peindre ce qu'on a soi-même éprouvé. Les poètes du midi mêlent sans
cesse l'image de la fraîcheur, des bois touffus, des ruisseaux limpides, à tous
les sentiments de la vie. Ils ne se retracent pas même les jouissances du cœur,
sans y mêler l'idée de l'ombre
bienfaisante, qui doit
les préserver de
brûlantes ardeurs du soleil. Cette nature si vive qui les
environne, excite en eux plus de mouvements que de pensées.
C'est
à tort, ce me semble, qu'on a dit que les passions étaient plus violentes dans
le midi que dans le nord. On y voit plus d'intérêts divers, mais moins
d'intensité dans une même pensée; or c'est la fixité qui produit les miracles
de la passion et de la volonté.
Les peuples
du nord sont moins
occupés des plaisirs
que de la
douleur; et leur imagination n'en est que plus féconde.
Le spectacle de la nature agit fortement sur eux; elle
agit, comme elle
se montre dans
leurs climats, toujours
sombre et nébuleuse. Sans
doute les diverses
circonstances de la vie peuvent
varier cette disposition à la
mélancolie; mais elle porte seule l'empreinte de l'esprit national. Il ne faut
chercher dans un peuple, comme dans un homme, que son trait caractéristique:
tous les autres sont l'effet de mille hasards différents ; celui-là seul
constitue son être. »
Germaine de Staël - « De la littérature »
(Chapitre XI : De la littérature du nord)
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