William Blake - "Livre d'Urizen - Lambeth"
Je ne suis le fils de personne
« Moi, comme les chiens, j’éprouve le besoin de l’infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin ! Je suis fils de l’homme et de la femme, d’après ce qu’on m’a dit. Ça m’étonne... je croyais être davantage ! Au reste, que m’importe d’où je viens ? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j’aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue : je ne serais pas si méchant. »
Lautréamont - « Les Chants de Maldoror » (1890)
Difficile de se défaire de toutes les antériorités qui pèsent sur nous et nous déforment, à moins que nous ne fassions le nécessaire, au prix d’efforts personnels, tenaces et réguliers, pour y échapper.
Le patrimoine génétique et le carcan héréditaire ouvrent la marche ; nous sommes déjà déterminés avant même de naître. Puis les conditionnements de la localisation géographique, de la situation sociale de la famille et de l’éducation choisie par les parents nous mettent au moule, nous formatent, souvent à notre insu.
Ajoutez à cela les émotions, sentiments, pulsions qui nous agitent sans cesse en semant le désordre dans tous nos sens, et les influences plus éthériques, émanant des dimensions astrale, mentale et causale, qui nous échappent la plupart du temps, et vous conviendrez que la seule liberté qui nous reste pour nous retrouver vraiment, en toute authenticité et exclusivité, consiste à faire le ménage, à tout décaper pour accéder à notre nature proprement personnelle.
Si je veux vraiment exister spirituellement au lieu de me contenter de vivre biologiquement, je dois tout jeter par-dessus bord pour ne conserver que la « substantifique moelle ». Je vous préviens, c’est une opération délicate et douloureuse, qui laisse des traces au sein de vous-même et vous inflige de nouvelles blessures venant des autres, qui ne comprenant rien à votre attitude, vous critiquent ou vous ignorent, parfois définitivement.
Cette opération du style « mon cœur mis à nu » est inévitable, faute de quoi vous ne décollerez jamais. Bien sûr, vous allez vous retrouver beaucoup plus seul, pour ne pas dire totalement solitaire ; c’est le prix à payer et l’on prend conscience alors de la véracité de l’adage qui stipule qu’il vaut mieux « être seul que mal accompagné ».
Votre évolution passe par une histoire sans parole …et risque de s’y complaire, mais vous savez, il vaut mieux se taire que de parler pour ne rien dire ; et regardez autour de vous, il en est peu qui parlent à bon escient, en véhiculant du sens.
Quand vous aurez terminé votre mue, à travers une attitude de transformation longue et progressive, intériorisée et initiatique, vous constaterez que, de décapage en nettoyage, vous vous êtes enfin trouvé, vous tel qu’en vous-même, dégagé de toutes les strates imposées qui vous étouffaient et vous pourrez commencer à faire votre auto-construction, à réaliser votre grand-œuvre, puisque vous aurez su faire place nette au sein de vous-même.
Ce jour-là, vous saurez que vous êtes devenu, de façon indélébile, le fils de personne, un être totalement libre de toute attache et seul responsable de lui-même.
« Dans le cas de l’initiation, au contraire, c’est à l’individu qu’appartient l’initiative d’une “réalisation” qui se poursuivra méthodiquement, sous un contrôle rigoureux et incessant, et qui devra normalement aboutir à dépasser les possibilités mêmes de l’individu comme tel. »
« L’initiation implique trois conditions qui se présentent en mode successif, et qu’on pourrait faire correspondre respectivement aux trois termes de “potentialité”, de “virtualité” et d’“actualité” :
1° la qualification, constituée par certaines possibilités inhérentes à la nature propre de l’individu, et qui sont la materia prima sur laquelle le travail initiatique devra s’effectuer ;
2° la transmission, par le moyen du rattachement à une organisation traditionnelle, d’une influence spirituelle donnant à l’être l’“illumination” qui lui permettra d’ordonner et de développer ces possibilités qu’il porte en lui ;
3° le travail intérieur, par lequel, avec le secours d’“adjuvants” ou de “supports” extérieurs s’il y a lieu et surtout dans les premiers stades, ce développement sera réalisé graduellement, faisant passer l’être, d’échelon en échelon, à travers les différents degrés de la hiérarchie initiatique, pour le conduire au but final de la “Délivrance” ou de l’“Identité Suprême”. »
René Guénon - « Aperçus sur l’Initiation »
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