Alan Watts
Alan Watts (1915-1973) est l'un des pères de la contre-culture américaine des années 60. Philosophe, écrivain, conférencier et expert en religion comparée, il a écrit vingt cinq livres. Alan Watts était un autodidacte réputé et c'est son interprétation des philosophies asiatiques qui l'a rendu populaire. Le texte qui suit est paru dans le journal Actuel en 1971.
"Chaque conscience n'est qu'une fenêtre par laquelle l'univers se regarde lui-même."
Ce que je veux
« Je vais vous dire ce que je veux, et ce qui me satisfait. Je veux passer ma vie à méditer dans le silence, marcher lentement, éprouver le sens fondamental de l'existence dans l'émerveillement, surprendre tous les sons, sentir les nuages et les étoiles me caresser les yeux. Je veux bannir l'angoisse, la tourner en dérision, saisir la vie et la mort comme deux faces indissociables d'une même médaille. Je veux une compagne qui tour à tour m'obéisse et me contredise, m'admire et me surpasse, se fonde en moi et lutte contre moi. Je veux écrire et parler pour des gens qui écoutent, les charmer et me jouer de leurs questions, mais écouter aussi celui qui vient m'apprendre ce que j'ignore, avec une curiosité sans ennui. Je veux regarder dans l'eau les reflets de la lumière et les ondes du vent, pays des mouettes, des pélicans, des goélands, des flamands et des canards sauvages. Je veux m'asseoir sur un rocher lointain ou sur une plage déserte, entendre les vagues et regarder le ciel de l'Ouest que vient laver l'aurore. Je veux décocher des flèches si haut dans le ciel qu'elles deviennent oiseaux. Je veux contempler les montagnes, errer dans leurs vallons et leurs forêts, percevoir au crépuscule d'invisibles cascades.
Je veux m'asseoir devant ma machine à écrire et faire passer ce que je sens au travers des mots - défi, car tout ce qui s'agite en moi ne peut précisément se réduire en mots. Je veux aller dans ma grande cuisine chatoyante de couleurs essayer une nouvelle soupe ou un nouveau ragoût, cuire le poisson à la vapeur, jouer avec ces brosses chinoises si fines et ces bâtons d'encens que l'on frotte dans l'eau et qui dansent sur le papier. Je veux apaiser la douleur et éteindre la maladie rien qu'en apposant mes mains sur un corps. Je veux allumer un brasier, brûler des feuilles de cèdres et du bois de santal tard dans la nuit, au son d'une musique classique ou au rythme d'un rock que je danse.
Je veux voir les éclats de lumière sur le verre et le cristal; allongé sur le sol, je veux regarder les branches des arbres découper le bleu vif du ciel. (...)
Je veux entendre à quatre heures du matin la cloche de Nanzenji, temple de Kyoto qui bourdonne comme un gong. Je veux aller au Sikkim et au Népal voir l'Himalaya sans songer à le gravir. Je veux jouir de la compagnie de certains amis, manger du fromage de Stilton, des melons, un gros pain noir, du jambon, et boire une Gardner's Old Strong, cette rarissime bière anglaise.
Aussi terre à terre que cela puisse paraître, c'est là tout le paradis que je me souhaite. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire