lundi 1 novembre 2010

Morceaux choisis - Lautréamont


Portrait de Lautréamont
par Félix Valloton
paru dans « Le Livre des masques »
de Remy de Gourmont (1898).

Isidore Ducasse


« Nous ne parlions pas. Que se disent deux cœurs qui s'aiment? »

« Mais, je ne me plaindrai pas. J'ai reçu la vie comme une blessure, et j'ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. »

« Rien n'est indigne pour une intelligence grande et simple: le moindre phénomène de la nature, s'il y a mystère en lui, deviendra, pour le sage, inépuisable matière à réflexion. »

« Les chants de Maldoror »


« Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent qu'il faut commencer par se détester soi- même. »

« Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent au duel à mort sont courageux. »

« L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que le courage de souffrir l'injustice. »

« Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sont eux qui s'éloignent de la nature. Ils croient le suivre. Il faut avoir un point fixe pour juger. Où ne trouverons-nous pas ce point dans la morale? »

« Lorsqu'une pensée s'offre à nous comme une vérité qui court les rues, que nous prenons la peine de la développer, nous trouvons que c'est une découverte. »

« On estime les grands desseins, lorsqu'on se sent capable des grands succès. »

« On ne peut juger de la beauté de la vie que par celle de la mort. »

« Poésie II »

Vieil océan, les hommes, malgré l’excellence de leurs méthodes, ne sont, ne sont pas encore parvenus, aidés par les moyens d’investigation de la science, à mesurer la profondeur vertigineuse de tes abîmes ; tu en as les sondes les plus longues, les plus pesantes, ont reconnu inaccessibles. Aux poissons…ça leur est permis : pas aux hommes. Souvent je me suis demandé quelle chose était le plus facile à reconnaître : la profondeur de l’océan ou la profondeur du cœur humain ! Souvent, la main portée au front, debout sur les vaisseaux, tandis que la lune se balançait entre les mâts d’une façon irrégulière, je me suis surpris, faisant abstraction de tout ce qui n’était pas le but que je poursuivais, m’efforçant de résoudre ce difficile problème ! Oui, quel est le plus profond, le plus impénétrable des deux : l’océan ou le cœur humain ? Si trente ans d’expérience de la vie peuvent jusqu’à un certain point pencher la balance vers l’une ou l’autre de ces solutions, il me sera permis de dire que, malgré la profondeur de l’océan, il ne peut pas se mettre en ligne, quant à la comparaison sur cette propriété, avec la profondeur du cœur humain. J’ai été en relation avec des hommes qui ont été vertueux. Ils mouraient à soixante ans, et chacun ne manquait pas de s’écrier : « ils ont fait le bien sur cette terre, c’est à dire qu’ils ont pratiqué la charité : voilà tout, ce n’est pas malin, chacun peut en faire autant. »
Qui comprendra pourquoi deux amants qui s’idolâtraient la veille, pour un mot mal interprété, s’écartent, l’un vers l’orient, l’autre vers l’occident, avec les aiguillons de la haine, de la vengeance, de l’amour et du remords, et ne se revoient plus, chacun drapé de sa fierté solitaire. C’est un miracle qui se renouvelle chaque jour et qui n’en est pas moins miraculeux. Qui comprendra pourquoi l’on savoure non seulement les disgrâces générales de ses semblables, mais encore les particulières de ses amis les plus chers, tandis que l’on en est affligé en même temps ? Un exemple incontestable pour clore la série : l’homme dit hypocritement oui et pense non. C’est pour cela que les marcassins de l’humanité ont tant de confiance les uns dans les autres et ne sont pas égoïstes. Il reste à la psychologie beaucoup de progrès à faire. Je te salue vieil océan ! (...)

« Les chants de Maldoror »
Chant I  (extrait)


« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection
d'une machine à coudre et d'un parapluie ! »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire