Métamorphose
« … Et là, vois-tu, tout est déjà en place pour ta chute.
Le piège est tendu.
Derrière le sens du sacrifice s'est embusqué le goût du pouvoir : tu vas croire devoir tout régenter _ là dehors_ et tu vas te mettre au travail.
Et pendant des années tu vas œuvrer, marner, gratter, t'acharner à faire régner plus d'ordre, à transformer les uns, les autres. Car, peu à peu, ton obstination ne te laissera plus voir qu'une seule échappée au désordre grandissant :
changer l'autre ! changer les autres !
Puisse le ciel t'épargner d'y réussir pour de bon !
Le monde est hanté de tous ces êtres détournés d'eux-mêmes !
Que s'est-il passé ?
Car il n'y a pas à en douter : l'intention était bonne au départ.
Simplement : un terrible malentendu a eu lieu.
C'est la nature de ta tâche qui t'a échappé.
l'œuvre qui t'était confiée n'était pas l'autre, C’était toi !
C'était à ton humanité, à ta loyauté que tu étais invité à travailler, pas à celles de l'autre !
Choc !
Terrible choc !
L'efficacité forcenée va devoir changer de cible ! C'est au mille de ton propre cœur que l'archer de la métamorphose s'apprête à lâcher sa flèche.
Tu cries.
Tu hurles.
Ne s'agit-il pas d'une terrifiante erreur judiciaire ? N'était-ce pourtant pas l'autre qui…
La mue qui t'attend est certainement la plus violente des aventures.
Il faut avoir vu une libellule s'extraire de sa chrysalide.
Il faut l'avoir vu mouillée, engluée, pitoyable, s'arracher à la gaine étroite, en être vomie avec des spasmes d'étranglement. Il faut l'avoir vue grelotter longtemps ; naufragée, avant que la voilure détrempée de ses ailes ne sèche, ne déploie peu à peu la délicate merveille, la transparence diaphane de l'envolée promise !
Une fois l'enfer de la désillusion traversé, voilà que tu atteins l'autre rive. Brûlé(e). Evidé(e).Nu(e).
Déjà tu t'étonnes à nouveau d'être vivante(e).
Exposé(e) aux blessures comme aux caresses.
Délivré(e) de la cotte de mailles dans laquelle les dogmes, les représentations, les morales, les obligations t'avaient enferré(e).
Vivant(e).
Dans le royaume où tu es parvenu(e), que reste-t-il encore à craindre, à attendre puisque tout ce que tu rencontres ne vise désormais que ton apprentissage, le tien !
Ici ne règne que la plus naïve des tautologies.
Ici on aime pour aimer. On sert pour servir. On vit pour être en vie.
Ici il n'y a pas de marché ! Il n'y a rien à échanger, rien à perdre et rien à gagner.
Un après l'autre s'écartent les rideaux des apparences, les illusions de succès ou d'échec, les sympathies ou les antipathies.
Les obstacles eux-mêmes se transforment en amis et se disposent en une haie d'honneur au milieu de laquelle tu avances en riant vers de mystérieuses noces. Tu n’y crois pas ? Avance seulement.
L'amour ne connaît qu'un seul but lorsqu'il te rencontre : lui-même.
Venir au monde encore une fois à travers toi.
Se donner à travers toi une chance de plus.
Tu es convié à aimer et à servir pour que sur terre soient l'amour et le service
Tu es convié
Tu n'est pas même obligé
Un simple service d'honneur.
Voilà tout.
Ni plus mais ni moins. »
Extrait du livre de
Christiane Singer
"Eloge du mariage, de l’engagement et d’autres folies"
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