mardi 21 septembre 2010

Ainsi parlait Maurice Rollinat

Portrait par Jean-Désiré Ringel d'Illzach,
 d'après un masque en cire par lui-même.


Maurice Rollinat

Maurice Rollinat, né à Châteauroux (Indre) le 29 décembre 1846 et mort à Ivry-sur-Seine le 26 octobre 1903, est un poète français.
Son père, François Rollinat, était député de l'Indre à l'Assemblée constituante en 1848 et fut un grand ami de George Sand. Issu d'un milieu cultivé, Rollinat se met très tôt au piano, pour lequel il semble avoir de grandes facilités. Dans les années 1870, il écrit ses premiers poèmes. Il les fait lire à Sand, qui l'encourage à tenter sa chance à Paris. Il y publie son premier recueil Dans les brandes (1877), qu'il dédie à Sand mais qui ne connaît aucun succès. Il rejoint alors le groupe des Hydropathes, fondé par Émile Goudeau, où se rassemblent de jeunes poètes décadents se voulant anticléricaux, antipolitiques et antibourgeois. Plusieurs soirs par semaine, la salle du Chat noir, célèbre cabaret parisien, se remplit pour laisser place à l'impressionnant Rollinat. Seul au piano, le jeune poète exécute ses poèmes en musique. (Il mit aussi en musique les poèmes de Baudelaire). Son visage blême, qui inspira de nombreux peintres, et son aspect névralgique, exercent une formidable emprise sur les spectateurs. De nombreuses personnes s'évanouissent, parmi lesquelles notamment Leconte de Lisle et Oscar Wilde.

Ses textes, allant du pastoral au macabre en passant par le fantastique, valent à Rollinat une brève consécration en 1883. Cette année-là, le poète publie Les Névroses, qui laisse les avis partagés. Certains voient en lui un génie ; d'autres, comme Verlaine dans Les Hommes d'aujourd'hui, un « sous-Baudelaire », doutant ainsi de sa sincérité poétique. Cependant, grâce aux témoignages et aux travaux biographiques, nous savons que Rollinat fut toute sa vie très tourmenté et que ses névralgies ne l'épargnèrent guère. Son ami Jules Barbey d'Aurevilly écrira que « Rollinat pourrait être supérieur à Baudelaire par la sincérité et la profondeur de son diabolisme ». Il qualifie Baudelaire de « diable en velours » et Rollinat de « diable en acier ».

Malade et fatigué, Rollinat refuse d'être transformé en institution littéraire. Il se retire alors à Puy-Guillon, puis, en 1883, à Fresselines, proche de l'École de Crozant dans la Creuse, pour y continuer son œuvre. Il s'y entoure d'amis avec lesquels il partagera les dernières années de sa vie. En 1886, il publie l'Abîme, puis Paysages et Paysans ainsi qu'un recueil en prose, En errant.

Alors que sa compagne, l'actrice Cécile Pouettre, meurt de la rage, Rollinat tente plusieurs fois de se suicider. Son ami le peintre Eugène Alluaud le veille et s'inquiète. Malade, probablement d'un cancer, le poète est transporté à la clinique du docteur Moreau à Ivry où il s'éteint en octobre 1903, à l'âge de 57 ans. Rollinat repose au cimetière Saint-Denis de Châteauroux.



La Folie

La tarentule du chaos
Guette la raison qu’elle amorce.
L’Esprit marche avec une entorse
Et roule avec d’affreux cahots.

Entendez hurler les manchots
De la camisole de force !
La tarentule du chaos
Guette la Raison qu’elle amorce.

Aussi la Mort dans ses caveaux
Rit-elle à se casser le torse,
Devant la trame obscure et torse
Que file dans tous les cerveaux
La tarentule du chaos.

L’Imperdable

Égarer ton hideux toi-même,
C’est le rêve que tu poursuis.
Mais dans quels tournants, dans quel puits,
Par quel tortueux stratagème ?

Pas d’abnégation suprême
Qui puisse ôter l’homme de lui.
Tu creuseras l’amour d’autrui
Sans trouver la clef du problème.

La Mort ? mais si ton âme blême
Y repasse toutes ses nuits ?
Clos tes poisons dans leurs étuis :

Tu pourrais retomber quand même
Au fond d’éternels aujourd’huis
Devant ton éternel toi-même.

Les Projets      

Qu’on soit instable ou sédentaire
On tisse des projets beaucoup ;
On les déchire, on les recoud,
C’est la manie héréditaire.
Mais la Dame au rire dentaire,
La Mort, arrive tout à coup,
Nous met un hoquet dans le cou
Et nous emporte dans la terre.
Quelques tic tac dans une artère,
Un peu d’os et de caoutchouc,
Un souffle bref qu’un rien dissout
Et que l’âge rend délétère,
Hélas ! voilà l’homme, et c’est tout :
Pauvre machine qui s’altère
Et s’en va du je ne sais où
Au je ne sais quand du mystère.
L’avenir dépend d’en dessous :
Le trépas a pour tributaire
Ce vague et vétilleux notaire
Qui rédige nos songes fous
Sans garantir son ministère.
C’est pourquoi comme des hiboux
Muets et figés dans leurs trous
Au creux d’un humble monastère,
Tous nos projets devraient se taire
Et s’immobiliser en nous
Au fond de l’âme solitaire.
 

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