mardi 28 septembre 2010

Ainsi parlait Théophile de Viau

 

Théophile de Viau


Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français.
Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d'être redécouvert par Théophile Gautier.
Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini comme un auteur baroque et libertin.

Ton orgueil…

Ton orgueil peut durer au plus deux ou trois ans :
Après cette beauté ne sera plus si vive,
Tu verras que ta flamme alors sera tardive,
Et que tu deviendras l’objet des médisants.

Tu seras le refus de tous les courtisans ;
Les plus sots laisseront ta passion oisive,
Et tes désirs honteux d’une amitié lascive
Tenteront un valet à force de présents.

Tu chercheras à qui te donner pour maîtresse ;
On craindra ton abord, on fuira ta caresse :
Un chacun de partout te donnera congé,

Tu reviendras à moi, je n’en ferai nul compte,
Tu pleureras d’amour, je rirai de ta honte :
Lors tu seras punie, et je serai vengé.


Élégie à une dame

Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m’être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu’un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu’un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J’aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.

Esprits qui connaissez le cours de la nature

Esprits qui connaissez le cours de la nature,
Vous seuls à qui le Ciel apprend sa volonté,
Et dont les sentiments trouvent de la clarté
Dans la plus noire nuit d’une chose future;

Célestes qui voyez mon âme à la torture,
Qui savez le dédale où le sort m’a jeté;
Quand est-ce que je dois ravoir ma liberté?
Dites-moi, qui de vous entend mon aventure?

Ange, qui que tu sois, veuille songer à moi;
Et lorsque tu seras de garde auprès du Roi,
De qui le cœur dévot est toujours en prière,

Arrête-moi le cours de son inimitié,
Et dis-lui que s’il veut exercer sa pitié,
Il n’en trouva jamais de si belle matière.


Un Corbeau devant moi croasse

Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J'ois Charon qui m'appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s'accouple d'une ourse,
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
 

1 commentaire:

  1. Faire un monstre, parfois, divertit la nature ;
    Les formes du vivant changent à volonté.
    Des êtres surprenants naissent dans la clarté,
    Pas toujours précurseurs d’une espèce future.

    Leur forme, cependant, n’est pas une imposture :
    Ils apprennent ce monde où leur corps fut jeté,
    Finissant par gagner beaucoup d’habileté
    Après avoir vécu diverses aventures.

    De ce grand univers, ils découvrent les lois,
    Heureux de les connaître et d’y accorder foi,
    Comme le font aussi les monts et les rivières.

    Monstre ou pas, l’essentiel est d’être un peu savant
    Et de savoir aussi se montrer bon vivant :
    Ce qu’il faut pour mener sa vie dans la lumière.

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