lundi 21 décembre 2009

Morceaux choisis - Eckhart Tolle




La disparition de la souffrance
par

Eckhart Tolle


Tout est en interrelation: les bouddhistes l'ont toujours su et les physiciens le confirment à présent. Aucun événement n'est isolé, sinon en apparence. Plus nous le jugeons et l'étiquetons, plus nous l'isolons. La globalité de la vie devient fragmentée par notre pensée. Mais c'est la totalité de la vie qui a suscité cet événement, partie intégrante de la trame d'interrelation qu'est le cosmos. En d'autres termes, tout ce qui est ne pourrait être autrement.


Dans la plupart des cas, nous n'avons pas la moindre idée du rôle qu'un événement apparemment insignifiant peut jouer au sein de la totalité du cosmos, mais la reconnaissance de son inévitabilité dans l'immensité de l'ensemble peut vous amener à accepter intérieurement ce qui est, et ainsi, vous réaligner sur l'entièreté de la vie.
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La vraie liberté et la disparition de la souffrance consistent à vivre comme si vous aviez choisi tout ce que vous ressentez ou vivez en ce moment. Cet alignement intérieur sur le Présent, c'est la disparition de la souffrance.

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La souffrance est-elle nécessaire? Oui et non. Si vous n'aviez pas souffert comme vous l'avez fait, vous n'auriez ni profondeur humaine, ni humilité, ni compassion. Vous ne seriez pas en train de lire ceci, maintenant. La souffrance casse la coquille de l'ego, et vient un moment où celui-ci a rempli son but.
La souffrance est nécessaire jusqu'à ce que vous preniez conscience de son inutilité.
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Le malheur a besoin d'un "moi" construit par le mental, avec une histoire, une identité conceptuelle. Il a besoin de temps - le passé et le futur. Lorsque vous retirez le temps de votre malheur, que reste-t-il ? Cet instant tel qu'il est.


Ce peut être un sentiment de lourdeur, d'agitation, de contraction, de colère, ou même de nausée. Ce n'est ni le malheur ni un problème personnel. La douleur humaine n'a rien de personnel. Ce n'est qu'une pression ou une énergie intense ressentie quelque part dans votre corps. Lorsque vous y portez attention, ce sentiment ne devient pas une pensée qui active le "moi" malheureux.
Voyez ce qui se produit lorsque vous vous contentez de laisser monter un sentiment.
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Beaucoup de souffrance et de malheur surviennent lorsque vous tenez pour vraie chaque pensée qui vous vient en tête. Ce ne sont pas les situations qui vous rendent malheureux. Elles peuvent vous causer de la douleur physique, mais sans plus. Ce sont vos pensées qui vous rendent malheureux, dont vos interprétations, les histoires que vous vous racontez.


"Les pensées que j'ai à présent me rendent malheureux." Cette seule prise de conscience rompt votre identification inconsciente à ces pensées.


Quelle journée de malheur! Il n'a même pas eu la politesse de retourner mon appel! Elle m'a laissé tomber!


Ce sont là des petites histoires que nous nous racontons à nous et aux autres, souvent sous forme de plaintes. Elles sont inconsciemment destinées à augmenter notre sentiment de soi toujours déficient, en nous donnant "raison" et en donnant "tort" à quelqu'un. Avoir "raison" nous place dans une position de supériorité imaginaire et, ainsi, renforce notre faux sentiment de soi, l'ego. Cela crée aussi une sorte d'ennemi: oui, l'ego a besoin d'ennemis pour définir ses frontières, et même la météo peut jouer ce rôle.


L'habitude du jugement mental et la contraction émotionnelle vous mettent en relation personnalisée, réactionnelle, avec les gens et les événements de votre vie. Ce sont là des formes de souffrance que vous vous créez, mais qui ne sont pas reconnues comme telles, car l'ego s'en satisfait, se développant par la réactivité et le conflit.
Comme la vie serait simple sans ces histoires! Il pleut. Il n'a pas appelé. J'étais là. Elle, non.
Lorsque vous souffrez, quand vous êtes malheureux, restez complètement avec ce qui est, au Présent. Le malheur ou les problèmes ne peuvent survivre dans le Présent.
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La souffrance est déclenchée lorsque vous apposez mentalement à une situation l'étiquette d'indésirable ou de mauvaise. Vous avez du ressentiment face à une situation, et ce ressentiment la personnalise et amène un "moi" réactif.


On a l'habitude de nommer et de cataloguer, mais on peut rompre avec cette manie. Commencez une pratique de " non-étiquetage" par de petites choses. Si vous ratez l'avion, cassez une tasse ou glissez dans la boue, pouvez-vous vous retenir d'appliquer à cette expérience l'étiquette de " mauvaise " ou de " pénible " ? Pouvez-vous immédiatement accepter l'instant tel qu'il est?


Le fait de donner à une chose l'étiquette de "mauvaise" provoque en vous une contraction émotionnelle. Lorsque vous la laissez être, sans la qualifier, un pouvoir énorme est soudain mis à votre disposition.
La contraction vous sépare de ce pouvoir, du pouvoir de la Vie même.
Ils ont mangé du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.


Dépassez le bien et le mal en vous empêchant de donner à quoi que ce soit l'étiquette mentale de "bon" ou de "mauvais". Lorsque vous dépassez l'habitude d'étiqueter, la force de l'univers passe par vous. Lorsque vous êtes en relation non réactive avec des expériences, ce que vous auriez appelé "mauvais" reçoit un redressement rapide, sinon immédiat, par la force de la Vie même.


Observez ce qui a lieu lorsque vous n'utilisez pas l'étiquette de "mauvaise" et que vous choisissez plutôt une acceptation intérieure, un "oui" intérieur, et laissez cette chose être telle qu'elle est.
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Quelle que soit votre situation dans la vie, comment vous sentiriez-vous si vous l'acceptiez telle quelle - dès maintenant ?
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Bien des formes de souffrance, subtiles et moins subtiles, sont si "normales" qu'on ne les reconnaît pas habituellement comme étant de la souffrance. Elles peuvent même donner l'impression d'être satisfaisantes pour l'ego - l'irritation, l'impatience, la colère, un ennui avec quelque chose ou quelqu'un, le ressentiment, le fait de se plaindre.


Vous pouvez apprendre à reconnaître toutes ces formes de souffrance à mesure qu'elles se présentent, et savoir: en ce moment, je suis en train de me faire souffrir.
Si vous avez l'habitude de vous faire souffrir, vous êtes probablement à faire souffrir les autres aussi. Ces schémas mentaux inconscients ont tendance à disparaître lorsqu'on les rend conscients, lorsqu'on en prend conscience dès qu'ils surviennent.
Vous ne pouvez à la fois être conscient et vous faire souffrir.
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Voici le miracle : derrière chaque condition, personne ou situation apparemment " mauvaise " se cache un bienfait plus profond. Ce dernier se révèle à vous - en vous et à l'extérieur - par l'acceptation de ce qui est.


"Ne t'oppose pas au mal" est l'une des plus grandes vérités de l'humanité.


Dialogue:
• Accepte ce qui est.
• Je ne peux vraiment pas. Je suis agité et en colère à ce sujet.
• Alors, accepte ces sentiments.
• Accepter d'être impatient et en colère ? De ne pas pouvoir accepter?
• Oui. Mets de l'acceptation dans ta non-acceptation. Mets du lâcher-prise dans ta rigidité. Puis, vois ce qui se produit.
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La douleur physique chronique est l'un des maîtres les plus sévères que vous puissiez avoir. Son enseignement se résume à ceci: "Inutile de résister."


Rien n'est plus normal que de s'opposer à la souffrance. Mais si vous pouvez laisser tomber cette opposition, et plutôt permettre à la douleur d'exister, vous remarquerez peut-être une subtile séparation intérieure par rapport à la douleur, un espace entre vous et elle, pour ainsi dire. Cela signifie une souffrance consciente, volontaire. Lorsque vous souffrez consciemment, la douleur physique peut rapidement consumer l'ego en vous, puisque ce dernier est surtout fait de résistances. Il en va de même pour l'incapacité physique extrême.
Lorsque vous "offrez votre souffrance à Dieu ", c'est une autre façon d'exprimer la même chose.
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Il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour comprendre la vérité universelle profonde que renferme sous forme symbolique l'image de la croix.


La croix est un instrument de torture. Elle représente la souffrance, la contrainte et l'impuissance extrêmes pour un humain. Soudain, cet humain lâche prise, souffre volontairement, consciemment, comme l'expriment ces paroles: "Que ta volonté soit faite, et non la mienne." À cet instant, la croix, instrument de torture, montre sa face cachée: c'est aussi un symbole sacré, celui du divin.


Ce qui paraît nier à la vie toute dimension transcendantale devient, par le lâcher-prise, une entrée dans cette dimension.


Extraits de son livre QUIÉTUDE, p. 99 à 107
Ariane Éditions, 2003

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