lundi 7 décembre 2009

Morceaux choisis - Montaigne



Montaigne


Les essais -I - Chapitre 40


Le bien et le mal dépendent surtout de l'idée
que nous nous en faisons.


Les hommes, dit une ancienne sentence grecque, sont tourmentés par les opinions qu'ils ont sur les choses, non par les choses elles-mêmes.
Ce que nous appelons « mal » ne l'est donc peut-être pas en soi, ou du moins, et quel qu'il soit en réalité, peut-être dépend-il de nous de lui donner une autre saveur, ou - ce qui revient au même - un autre visage. Voyons si c'est là une idée que l'on peut soutenir.
Nous tenons la mort, la pauvreté et la douleur pour nos principaux adversaires. Or cette mort que les uns appellent la plus horrible des choses horribles, qui ne sait que d'autres la nomment l'unique port des tourments de la vie, le souverain bien de la nature, le seul appui pour notre liberté, le remède naturel et immédiat contre tous les maux ? Et de même que les uns l'attendent effrayés et tremblants, d'autres la supportent plus aisément que la vie.
La mort ne s'appréhende que par la réflexion, car c'est le fait d'un seul instant:


« Elle est passée ou va venir, rien qui soit présent en elle. »
La Boétie, Satire, adressée à Montaigne


« La mort cause moins de mal que l'attente de la mort. »
Ovide, Héroïdes, v. 82


Mille bêtes, mille hommes, sont plus vite morts qu'ils ne sont menacés. Et en vérité, ce que nous craignons essentiellement dans la mort, c'est la douleur qui généralement en est le signe avant-coureur


 Et pourtant, s'il faut en croire un saint Père:
«La mort n'est un mal que par ce qui s'ensuit.»
Saint-Augustin, Cité de Dieu, I, xi


Je dirai encore, de façon plus juste, que ni ce qui vient avant, ni ce qui vient après ne fait partie de la mort. Nous nous donnons donc de mauvaises excuses en invoquant la douleur. Et je sais par expérience que c'est plutôt l'impossibilité de supporter la simple évocation de la mort qui nous rend la douleur insupportable, et que nous la sentons doublement aiguë parce qu'elle constitue pour nous l'annonce de notre mort. Mais parce que la raison nous montre combien nous sommes lâches de craindre une chose aussi soudaine, aussi inévitable, aussi insensible, nous saisissons cet autre prétexte, parce qu'il est plus excusable.

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