lundi 1 juin 2009

Morceaux choisis - Gérard de Nerval



Gérard de Nerval

- Extraits de « Aurélia »

Aurélia est le dernier texte écrit par Gérard de Nerval (Gérard Labrunie dit Gérard de –, 1808-1855) et publié au moment même où il se donne la mort. Le récit est la transposition des deux graves crises que Nerval a traversées, en 1841 et en 1853-1854 et qui lui vaudront d’être « interné ».


Aurélia nous donne ainsi à voir et à entendre « l’épanchement du songe dans la vie réelle ». On y suit pas à pas tous les rêves et les hallucinations de Nerval exorcisant l’échec de son amour avec Aurélia. Mais tout l’effort de Nerval consiste à nous décrire très précisément la logique de ces « visions », leur implacable cohérence, leur si troublante réalité. Les « Esprits » avec lesquels Nerval converse dans ses rêves sont pour lui aussi réels que les passants qu’il croise dans les rues de Paris, et la mémoire qu’il garde de ses visions n’offre, à posteriori, aucune différence avec la réalité.


« On voit des esprits qui vous parlent en plein jour, des fantômes bien formés, bien exacts pendant la nuit, on croit se souvenir avoir vécu sous d’autres formes, on s’imagine grandir démesurément et porter la tête dans les étoiles, l’horizon de Saturne ou de Jupiter se déroule devant vos yeux et des êtres bizarres se produisent à vous avec tous les caractères de la réalité. », écrit-il ainsi à un de ses amis au sortir de l’une de ses crises. Avec Aurélia, c’est la « non-frontière » entre le rêve et la réalité, entre la « raison » et la « folie », qui est ainsi magnifiquement évoquée – que l’on retrouvera également dans Nadja.


Citations


«Dans les rêves, on ne voit jamais le soleil, bien qu'on ait souvent la perception d'une clarté beaucoup plus vive. Les objets et les corps sont lumineux par eux-mêmes.»

«Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n'a pas foi dans l'immortalité, dans ses peines et dans ses joies.»


«Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. »

«

Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous.»

«Je crois que l'imagination humaine n'a rien inventé qui ne soit vrai, dans ce monde ou dans les autres.»

«Rien n'est indifférent, rien n'est impuissant dans l'univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver !»

«Le sommeil occupe le tiers de notre vie. Il est la consolation des peines de nos journées ou la peine de leurs plaisirs ; mais je n'ai jamais éprouvé que le sommeil fût un repos.»


Morceau choisi


Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; - le monde des Esprits s'ouvre pour nous.


Swedenborg appelait ces visions Memorabilia; il les devait à la rêverie plus souvent qu'au sommeil; l'Âne d'or d'Apulée, la Divine Comédie du Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l'âme humaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d'une longue maladie qui s'est passée tout entière dans les mystères de mon esprit; - et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées; il me semblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?...

-

Morceau choisi


Une dame que j'avais aimée longtemps et que j'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi. Peu importent les circonstances de cet événement qui devait avoir une si grande influence sur ma vie. Chacun peut chercher dans ses souvenirs l'émotion la plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l'âme par le destin ; il faut alors se résoudre à mourir ou à vivre : - je dirai plus tard pourquoi je n'ai pas choisi la mort.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire