jeudi 25 février 2010

Morceaux choisis - Simone Weil


« Par la joie, la beauté du monde pénètre dans notre âme.
Par la douleur, elle nous entre dans le corps. »
Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu
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Volonté et attention
La volonté, celle qui au besoin fait serrer les dents et supporter la souffrance, est l’arme principale de l’apprenti dans le travail manuel. Mais contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, elle n’a presque aucune place dans l’étude. L’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. L’intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n’y a pas d’étudiants, mais de pauvres caricatures d’apprentis qui au bout de leur apprentissage n’auront même pas de métier.
(Simone Weil, Attente de Dieu, 1942)
Jamais, en aucun cas, aucun effort d’attention véritable n’est perdu. Toujours il est pleinement efficace spirituellement, et par suite aussi, par surcroît, sur le plan inférieur de l’intelligence, car toute lumière spirituelle éclaire l’intelligence.
Les certitudes de cette espèce sont expérimentales. Mais si l’on n’y croit pas avant de les avoir éprouvées, si du moins on ne se conduit pas comme si on y croyait, on ne fera jamais l’expérience qui donne accès à de telles certitudes. Il y a là une espèce de contradiction. Il en est ainsi, à partir d’un certain niveau, pour toutes les connaissances utiles au progrès spirituel. Si on ne les adopte pas comme règle de conduite avant de les avoir vérifiées, si on n’y reste pas attaché pendant longtemps seulement par la foi, une foi d’abord ténébreuse et sans lumière, on ne les transformera jamais en certitudes. La foi est la condition indispensable.
Dans la première légende du Graal, il est dit que le Graal, pierre miraculeuse qui a la vertu de l’hostie consacrée rassasie toute faim, appartient à quiconque dira le premier au gardien de la pierre, roi aux trois quarts paralysé par la plus douloureuse blessure :

« Quel est ton tourment ? »

La plénitude de l’amour du prochain, c’est simplement d’être capable de lui demander « Quel est ton tourment ? ».

C’est savoir que le malheureux existe, non pas comme unité dans une collection, non pas comme un exemplaire de la catégorie sociale étiquetée « malheureux », mais en tant qu’homme, exactement semblable à nous, qui a été un jour frappé et marqué d’une marque inimitable par le malheur.

Pour cela il est suffisant, mais indispensable, de savoir poser sur lui un certain regard.

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