lundi 10 mai 2010

Morceaux choisis - G. de Maupassant



Maupassant et le fantastique

« Lentement, depuis vingt ans, le surnaturel est sorti de nos âmes. »

« Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de
fantômes. »

« On dirait que l’homme, depuis qu’il pense, a pressenti et redouté un être nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde, et que le sentant proche et ne pouvant prévoir la nature de ce maître, il a créé, dans sa terreur, tout le peuple fantastique des êtres occultes, fantômes vagues nés de la peur. »

"Quand l'homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leurs surprenantes histoires [...] Mais quand le doute eut pénétré enfin dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement. Le lecteur indécis ne savait plus, perdait pied comme une eau dont le fond manque à tout instant, se raccrochait brusquement au réel pour s'enfoncer tout aussitôt, et se débattre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar."

Chroniques, "Le Fantastique" (1883)

« Comme il est profond, ce mystère de l’Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau… avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l’air en notes sonores. »

« Mais notre œil, messieurs, est un organe tellement élémentaire qu’il peut distinguer à peine ce qui est indispensable à notre existence. Ce qui est trop petit lui échappe, ce qui est trop grand lui échappe, ce qui est trop loin lui échappe. Il ignore les milliards de petites bêtes qui vivent dans une goutte d’eau. Il ignore les habitants, les plantes et le sol des étoiles voisines ; il ne voit pas même le transparent. Placez devant lui une glace sans tain parfaite, il ne la distinguera pas et nous jettera dessus comme l’oiseau pris dans une maison, qui se casse la tête aux vitres. »

«Le Horla » (1886)

« Il me semble qu’on a dépeuplé le monde. On a supprimé l’Invisible. Et tout me paraît muet, vide, abandonné ! Quand je sors la nuit, comme je voudrais pouvoir frissonner de cette angoisse qui fait se signer les vieilles femmes le long des murs des cimetières, et se sauver les derniers superstitieux devant les vapeurs étranges des marais et les fantasques feux follets. Comme je voudrais croire à ce quelque chose de vague et de terrifiant qu’on s’imaginait sentir passer dans l’ombre ! Comme les ténèbres des soirs devaient être plus noires autrefois, grouillantes de tous ces êtres fabuleux ! »

« Adieu mystères » (1881)

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