jeudi 29 octobre 2009

Morceaux choisis - Arthur Rimbaud


Le voleur de feu




« Maintenant, je m’encrapule le plus possible.
 Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute.
C’est faux de dire : Je pense : on devrait dire :


On me pense.


- Pardon du jeu de mots.


- Je est un autre.

- Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait !

Car Je est un autre.


Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident: j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.


Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs !


La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.


Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.


Donc le poète est vraiment voleur de feu. »


Extraits de correspondance - 1871
Arthur Rimbaud

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