vendredi 9 avril 2010

La légende de Shambhala

Du Tibet à la Russie, de la Chine à l’Inde, légendes et textes sacrés se recoupent sur l’existence d’un royaume luxuriant enclavé dans les contreforts himalayens, abritant des hommes et des femmes d’une grande sagesse.

Shambhala existe-il réellement ?
Chanson de Shambhala. Thang La. 1943

 
La légende de Shambhala
Au cours de ces derniers siècles, plusieurs chercheurs ont essayé de localiser le royaume de Shambhala en s’appuyant sur les écrits traditionnels. Le Bhâgavata Purâna1 et l’encyclopédie sanskrite Vachaspattya offrent une première perspective de localisation. Shambhala serait situé au nord de l’Himalaya, au pied du mont Mérou, le centre de l’univers selon la cosmogonie indienne, symbole de la rencontre entre l’éternel et le temporel.
Alexandre Csoma de Koros (1784-1842), linguiste et orientaliste hongrois, a passé quatre ans dans un monastère bouddhiste au Ladakh. Durant cette période, il a reproduit une carte datant du XVIIe siècle qui situait Shambhala entre le 45e et le 50e degré de latitude nord, au-delà du fleuve Sir Daria (alimentant la mer d’Aral), c’est-à-dire en Sibérie orientale.



Un autre document religieux, étudié par l’explorateur Russe Nikolai M. Prevalsky (1839-1888), situe Shambhala à environ 88 degrés de longitude est. Ces deux coordonnées permettent de délimiter la zone dans laquelle se situe Shambhala à l’est des monts Altaï, important massif montagneux d’Asie centrale culminant à 4 506 mètres. L’orientaliste et tibétologue italien Giuseppe Tucci (1894-1984), quant à lui, croit avoir reconnu Shambhala dans le voisinage du fleuve Tarim (province du Xinjiang, ouest de la Chine).
Néanmoins, l’emplacement géographique du royaume demeure aujourd’hui toujours insaisissable. En ce qui concerne la voie terrestre, l’argument a longtemps été celui de la difficulté d’accès dans un milieu extrêmement hostile et escarpé.
Mais avec les nouvelles technologies dont nous disposons aujourd’hui, qu’en est-il ? L’éditeur australien Tony Bushby explique que les tentatives de localiser Shambhala par voies aériennes sont extrêmement difficiles du fait du microclimat dont bénéficie ce lieu. Ce climat, à la fois doux et humide générerait en permanence une sorte de brouillard rendant Shambhala indécelable.
1. Le Bhâgavata Purâna est l’un des dix-huit textes sacrés de la littérature indienne.
2. N.M. Prevalsky, Mongolia, London, 1876, p. 63.

. Tentatives de localisation

On l’appelle Djang Shambhala1 ou « Shambhala du Nord ». Plusieurs générations de religieux tibétains ont confirmé l’existence de cette vallée d’une grande beauté, ceinturée de montagnes enneigées, aux confins du Tibet et de la Mongolie. Au cours du XIXe et du XXe siècle, plusieurs équipes d’exploration séjournant dans l’Himalaya ont rapporté avoir campé auprès de sources d’eau chaude alimentant une végétation luxuriante dans des endroits autour desquels il n’y avait que désolation, roche et glace.


Cependant, la localisation de cet endroit énigmatique alimente toujours la spéculation. Et pour cause, Shambhala en tant que « lieu saint sur Terre » semble demeurer inaccessible aux voyageurs inexpérimentés et dépourvus d’un certain entraînement spirituel. Cet article propose d’explorer le mystère de Shambhala selon différentes approches. Il ne s’agit pas ici de privilégier une interprétation du mythe, mais plutôt d’en faire partager la déroutante saveur.
Que ce soit les récits et la peinture de Nicholas Roerich ou l’étude de la littérature sacrée tibétaine, chaque approche prodigue de troublants éclairages. En croisant les perceptions, ressentis et expériences des uns et des autres, nous essaierons d’effleurer au plus près le mystère de la Terre de Shambhala.

Quand l’Occident rencontre l’Orient…

Les premières mentions du royaume de Shambhala dans la littérature occidentale remontent à la fin du XIXème siècle. À l’époque, le nouvel Empire des Indes suscite l’engouement de riches Occidentaux et de chercheurs en quête d’exotisme.

En traduisant et en vulgarisant différents corpus de textes sacrés, ces derniers vont permettre au public occidental de se saisir des principaux mythes et philosophies légués par l’Orient.


Shambhala fait partie de ces mystères qui ont été l’objet de convoitise et de bon nombre de spéculations en Occident. Pendant des décennies, des explorateurs et des chercheurs se sont aventurés sur les hauts plateaux himalayens pour tenter de localiser cet illustre royaume.


Si toutes les explorations connues à ce jour se sont soldées par des échecs, certaines ont contribué à étoffer notre connaissance sur les manifestations du mystère de Shambhala. C’est à ce titre que nous nous pencherons sur l’œuvre de Nicholas Roerich (1874-1947), peintre, écrivain et explorateur russe. Roerich, qui a consacré sa vie à la compréhension de cet Orient si complexe et subtil, nous lègue à travers ses écrits et ses toiles un patrimoine rare et d’une grande beauté.
Entre 1923 et 1928, Roerich a dirigé plusieurs expéditions en Inde, au Xinjiang, dans l’Altaï, en Mongolie et au Tibet .


Au cours de ces expéditions, il a glané de nombreuses informations et anecdotes concernant une mystérieuse vallée, peuplée d’hommes à la sagesse et aux pouvoirs hors du commun. Dans son journal de voyage4, il relate les phénomènes étranges dont il a été témoin à plusieurs reprises lors de son séjour au nord des hauts plateaux tibétains. L’authenticité de ses expériences sera confirmée par les moines qu’il rencontrera au cours de son voyage.
Dans « Le Cœur de l’Asie », Roerich nous invite avant toute chose à nous détacher de nos préjugés d’Occidentaux ethnocentristes : « Pour le lecteur non averti, ces renseignements peuvent sans doute paraître métaphysiques et abstraits, ou peu importants. Pour l’observateur sceptique, une nouvelle de ce genre, noyée dans le spéculations politiques et commerciales du jour, peut sembler une superstition de plus, dénuée de réalité. Mais l’observateur attentif qui a pénétré les profondeurs de l’Asie verra les choses tout à fait autrement […].Tout ce qui est dit sur Shambhala, ces récits, ces légendes, ces chants et ce folklore contiennent ce qui est peut-être le plus important message d’Orient ».

Deux Shambhala

Roerich découvre que la tradition orientale (védique et tibétaine notamment) distingue deux Shambhala : l’une céleste (ou Grande Shambhala), dont les rayons sont perceptibles en quelques endroits dans le grand Nord (aurores boréales) ; l’autre physique, « lieu sacré dans lequel le monde terrestre est relié aux plus hauts états de conscience »6. Par ailleurs, il explique que les conceptions erronées sur la situation géographique de Shambhala ont des raisons naturelles : « Dans tous les livres sur Shambhala, aussi bien que dans toutes les légendes qui s’y rapportent, sa localisation est décrite dans un langage très symbolique, presque indéchiffrable pour le non-initié. […]. Vous comprendrez facilement pourquoi ce voile est nécessaire. On a demandé à un des Mahatmas pourquoi ils cachent si soigneusement leurs ashrams. Le Mahatma a répondu : “Autrement une procession sans fin venue de l’Occident et de l’Orient, du Nord et du Sud envahirait nos retraites. Actuellement, personne ne peut déranger nos travaux sans y avoir été invité” ».
En 1928, Nicholas Roerich s’entretient avec un certain Lama Brang. Cet échange, très riche en détails et en enseignements, sera retranscrit dans une lettre intitulée.
« Shambhala la resplendissante » :
« – Lama, vous parlez d’un lieu saint sur la terre.

La végétation y est-elle abondante ? Les montagnes semblent nues et les ouragans et le froid dévastateur y semblent extraordinairement sévères.
– Au milieu des montagnes, il existe des vallées enclavées dont on ne soupçonne pas l’existence. Des sources chaudes nourrissent une riche végétation. De nombreuses herbes médicinales et plantes rares peuvent prospérer sur ce sol volcanique

– inhabituel. Peut-être avez-vous remarqué des geysers sur les hautes terres ? Peut-être avez-vous entendu dire qu’à seulement deux jours de Nagchu, où l’on ne peut voir ni arbre ni plante, il existe une vallée avec des arbres, de l’herbe et de l’eau tiède. Mais qui peut connaître les labyrinthes de ces montagnes ? Sur les surfaces rocheuses, il est impossible de distinguer des traces humaines ».

Réservé aux « appelés »

Au cours de cet échange, Roerich interroge le lama sur l’étrange inaccessibilité de la Shambhala terrestre. Comment se fait-il qu’elle n’ait pas encore été découverte alors que sur les cartes, « tous les sommets [semblent avoir été] marqués et toutes les vallées, toutes les rivières explorées »?

Pour le lama Brang, ce mystère s’explique par la double nature du royaume de Shambhala. Si Shambhala a bien une existence physique, en tant que « lieu saint sur terre », elle procède également d’une nature plus subtile. Les vibrations de ce lieu sont tellement particulières et élevées qu’il est impossible pour les personnes n’ayant pas effectué un important travail spirituel d’en percevoir la fréquence.

Voilà pourquoi, d’après le lama, la simple quête physique du royaume demeure vaine. Seuls les « appelés » sont autorisés à fouler le sol de la vallée mystérieuse :


« Si un noble esprit, déjà préparé, entend une voix proclamant “Kalagiya !”, c’est l’appel de Shambhala. […] Qu’un homme essaie d’atteindre Shambhala sans un appel ! […] Certains d’entre eux ont disparu à jamais. Seuls quelques-uns atteignent le lieu saint, et seulement si leur karma est prêt ».
Shambhala se cacherait aux confins de la Mongolie, du Tibet et du désert de Gobi.


L’œuvre de l’explorateur russe compte parmi les plus beaux témoignages qui nous aient été légués sur le mystère de Shambhala.

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