vendredi 26 décembre 2008

Requiem pour les abeilles


En 1923, Rudolf Steiner annonça l’effondrement des abeilles.
Bien avant Einstein, Rudolf Steiner, le fondateur de l’agriculture biodynamique, condamna fermement l’élevage des reines lors d’un cycle de conférences sur l’abeille qu’il donna aux apiculteurs en 1923. Lors de ce cycle de conférences, empreintes de poésie et de perception véritable de la nature de l’abeille, un apiculteur professionnel fit part de son incompréhension totale quant à la condamnation, par Steiner, de l’élevage des reines. Rudolf Steiner insista alors que si on continuait de remplacer les forces organiques à l’oeuvre dans la ruche par des forces mécaniques (dont l’élevage artificiel des reines à partir de larves d’ouvrières) la situation deviendrait très grave pour les abeilles. Il donna rendez-vous à l’apiculteur un siècle plus tard en le prévenant qu’à cette date, si ces pratiques artificielles perduraient, il n’y aurait plus d’élevage de reines, à savoir que les abeilles auraient tout simplement disparu. En bref, Rudolf Steiner, qui avait déjà pressenti en 1924 l’avènement de la “vache folle”, annonça en 1923 l’effondrement des abeilles. Il ajouta que la survie de l’humanité dépendait de la survie de l’abeille. Un siècle ne s’est pas encore écoulé, mais l’échéance semble se rapprocher très rapidement. Et elle est peut-être déjà là car dans une autre conférence, Steiner donnait une échéance à 80 ans. Ce qui est maintenant.

Une quête obsessionnelle de reines d’élite :

Selon Maurice Chaudière “Depuis que l'homme est homme, il parasite l'abeille ... Ce qui est étonnant, dans cette relation «homme-abeille», c'est qu'il soit possible de prélever sur la ruche une part de son bien sans pour autant la ruiner!”En effet, les abeilles, contrairement à leur appellation commune, ne sont pas domestiquées (du latin, “domus”, maison). Du moins, elles ne l’ont pas été jusqu’au début du 20ème siècle, époque à laquelle les apiculteurs ont commencé à élever les reines. Cette époque de 1910/1920 est d’ailleurs l’époque durant laquelle les premiers hybrides F1 de maïs ont été introduits avec tout le cortège de concepts nébuleux: vigueur hybride, semences élite, lignées pures, etc. Ce sont les premières tentatives de mise en captivité de la semence (processus de dégénérescence) pour en aboutir au gène moderne du Terminator qui stérilise la plante, qui l’empêche de porter des semences fertiles. Ne peut-on penser que l’abeille a été réellement mise en captivité lorsque l’apiculteur a commencé à élever les reines et à les inséminer de façon artificielle? Ce fut le début de l’élevage des reines “en batterie” pour une apiculture en “batterie.” (est ce que le terme batterie fait référence à la “compagnie d’artillerie et son matériel”?).D’ailleurs un des premiers avantages de la sélection des reines est d’éviter l’essaimage naturel, source de beaucoup de tracas pour les apiculteurs. En bref, d’éviter que les abeilles partent à l’aventure, d’éviter qu’elles brisent leurs chaînes car rappelons-le, ce ne sont pas des animaux domestiqués. Dans la nature, les reines s’accouplent de 10 à 40 fois en l’espace de quelques jours. Le nombre d’accouplements varie en fonction des espèces d’abeilles et des sous-espèces.
L’Association Mellifica cite les travaux du généticien français Frank. P dont la thèse de doctorat portait sur “l’Approche génétique des questions évolutives associées à la sociobiologie et à la phylogéographie de l’abeille domestique”. Dans la batterie, la spermathèque de la reine est inséminée avec le sperme de quelques dizaines de bourdons. La reine est anesthésiée au CO2 et immobilisée dans un tube plastique durant cette intervention chirurgicale.Pourquoi les abeilles du genre Apis ont-elles choisi la polyandrie? Il est évident que la réponse à cette question essentielle dépasse le cadre de cet article. C’est peut-être, cependant, une des clés essentielles à la survie de l’abeille à miel, si tant est que cela soit encore possible. N’y a t-il pas des leçons à apprendre de la façon dont les “Killer bees”, les abeilles africanisées, sont en train de se réapproprier un certain territoire. Elles sont déjà aux USA dans 9 états du sud et lorsqu’elles arrivent dans une région, il semble qu’elles soient capables d’africaniser de 20 à 30% des ruchers en une année. Il semblerait aussi qu’elles s’adoucissent au fur et à mesure de leur installation dans un terroir. Elles sont également plus résistantes naturellement à la varroase. Par contre, elles essaiment quand bon leur semble et elles sont très peu coopératives quant à un usage intempestif de leur force de travail pour des pollinisations d’ampleur industrielle. Selon certaines études qui ont été effectuées, des reines inséminées avec du sperme de bourdons africanisés et du sperme de bourdons non africanisés ont tendance à solliciter, à 70 %, de leur spermathèque du sperme de bourdon africanisé. Pourquoi?

Un ultime message des abeilles :

Toutes les civilisations ont considéré l’abeille comme un animal sacré. Les Mayas, qui considéraient les abeilles comme une émanation de la lumière solaire, avaient même une divinité de l’abeille, Ah Muzen Cab. Pour Maurice Chaudière, “les flèches d’Eros ne sont que des abeilles à la discrétion d’Aphrodite.” L’Artémise d’Ephèse avait à ses pieds un essaim.Que reste-t-il de cette vision de l’abeille dans l’apiculture moderne? Il n’en reste rien. L’abeille est une esclave au service de l’agriculture militarisée. La reine est une esclave sexuelle inséminée dans des laboratoires aseptisés. Pour Gunther Hauk, directeur du Centre Pfeiffer aux USA: “En ce qui concerne cet étrange phénomène, dénommé syndrome d’effondrement des colonies, au cours duquel les abeilles quittent la maison et ne reviennent pas, je souhaiterais suggérer la ligne de réflexion suivante. Lorsque le stress, les poisons, la nourriture frelatée, et des “pratiques d’exploitation”, doublées d’un manque de respect et de considération, atteignent un certain niveau, l’essence spirituelle, cette composante de l’être qui maintient l’intégrité de l’organisme, disparaît.

Lorsque nous regardons un animal, nous percevons son corps physique. Les Amérindiens, encore clairvoyants, “percevaient” cette entité spirituelle qui préside aux instincts vitaux de l’animal en toute sagesse. Ils appelaient cette entité spirituelle le “Grand Ours” ou le “Grand Bison”. Nous serions enclins à penser que lorsque la “Grande Abeille” subit toutes ces forces destructives, elle se détache de l’entité physique”. Lorsque le centre spirituel de la ruche est ainsi affaibli, l’abeille individuelle s’envole et ne revient plus. Parce qu’elle n’a, en fait, nulle part où revenir. La “Grande Abeille”, que l’on pourrait appeler l’âme-groupe, ne peut pas maintenir l’intégrité de la colonie.” C’est sans doute le message ultime des abeilles: elles se détachent de l’humanité, elles s’en vont mourir en groupe. Par dizaines de milliards, et elles ont même la décence de ne pas encombrer de leurs cadavres leurs camps de concentrations. Ultime délicatesse.Elles transhument définitivement. Peut-être vers une autre planète ou vers un autre cosmos? Ou peut-être vers une autre humanité, plus respectueuse? Transhumance pouvant être interprétée comme trans-humus, au-delà du terroir, ou comme trans-humain, au delà de l’humanité.

Dominique Guillet. Le 12 mai 2007 Requiem pour nos Abeilles

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