mardi 4 novembre 2008


Relativité du temps

& mondes parallèles

Dans son Panthéon, achevé en 1190, Godefroy de Viterbe, auteur allemand, écrit : «Quidam autem liber in ecclesia sancti mathei ultra britaniam in finibus terrae inter actus apostolorum noscatur ibi esse conscriptus ».

Ce qui signifie :

«Il y a un livre dans l’église de Saint Matthieu au–delà de la Bretagne, au bout de la terre, que l’on sait avoir été écrit là au sujet des actes des apôtres »
Suit, en 180 vers latins, l’histoire de la navigation de moines de Saint Matthieu à la recherche du séjour paradisiaque de deux personnages de l’ancien testament, l’un patriarche, l’autre prophète, Enoch et Elie, dont la tradition voudrait qu’ils ne fussent jamais morts.

Une telle introduction ne peut qu’intriguer tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Bretagne. Qui est ce Godefroy qui s’exprime ainsi ? Quel crédit apporter au récit qu’il rapporte ? Que penser de ce curieux document qui témoigne, pour le moins, de la renommée du monastère de Saint Matthieu au XII° siècle.
L’auteur est le chapelain et secrétaire de l’empereur Frédéric Barberousse connu pour ses démêlées avec les papes (1152 – 1190) et qui a été immortalisé par Victor Hugo. Godefroy, dit « de Viterbe » car il est né dans cette ville en 1120 et y est mort en 1200, était d’une famille dévouée au service de l’empereur. Lui même passa le plus clair de sa vie à suivre la cour dans ses déplacements et à mettre ses talents au service de la cause impériale.

Grâce à toutes ces pérégrinations et à ses lectures dans les riches bibliothèques qu’il eut l’occasion de visiter, Godefroy avait acquis une érudition exceptionnelle. Il conçut l’idée de la mettre au service de ses contemporains, et, additionnant les unes aux autres, les pages de la bible, les histoires anciennes, grecques, latines, égyptiennes, les chroniques et les annales d’Europe et un bon nombre de légendes grappillées çà et là, il se mit en devoir de dresser un tableau historique complet de l’histoire de l’humanité depuis la création du monde jusqu’à Frédéric Barberousse dans un « Panthéon» achevé en 1190.
Adressant l’ouvrage au Pape Urbain III (1185 – 1187), il explique sa méthode de rédaction qui est d’alterner la prose et les vers. « J’ai rédigé cet ouvrage non seulement en prose mais aussi en vers, de sorte que les lecteurs qu’ennuieraient la prose soient incités à poursuivre leur lecture par l’harmonie et le charme des vers ; quand à ceux qui ne comprendraient pas les vers, ils pourront toujours se délecter à lire la prose ».

L’auteur, au cours de son ouvrage, mentionne Enoch et Elie dans l’histoire d’Israël, et est tout heureux de posséder un récit merveilleux pour illustrer son propos.
« Puisque la Saint Ecriture fait mention d’Enoch, nous exposerons ici ce que du même Enoch et d’Elie nous pouvons affirmer de vrai selon l’autorité des anciens » écrit-il.

Mais d’où lui vient cette histoire de moines en quête de Paradis ? Et la mention d’un livre des actes des apôtres ? Que sait – il au juste de cette ecclesia sancti Mathei in finibus terrae ?

La description qu’il nous fait du lieu est conventionnelle:
« Aux confins de la mer océane est l’ultime pays du monde, où pas la moindre maladie ne trouble l’existence : Le climat y est tempéré, la quiétude perpétuelle. En ces lieux une église a été dédiée à saint Matthieu, où se sanctifient les moines galiléens à enseigner à la Bretagne les saintes vérités de Dieu ».
De toute évidence, Godefroy n’est jamais venu à Saint Matthieu, ou alors, ce jour là, il faisait exceptionnellement beau.
Mais venons-en à cette histoire qu’il nous conte ; elle s’inscrit dans le genre fort connu de la « navigation » des moines celtes et bretons ; on connaît surtout celle de saint Brendan, qui s’embarqua avec sa communauté pour les mers du nord, et va avec eux de merveilles en merveilles. Dans ces récits fabuleux, se rejoignent l’esprit d’aventure des moines celtes, leur goût du pèlerinage, la nostalgie d’un paradis perdu et les réminiscences des traditions celtes et de l’île d’Avallon. Voici en tout cas, contée par Godefroy de Viterbe, la « Navigatio monachorum sancti Mathaei », la navigation de ces moines qui, à longueur de journée, scrutent les horizons de la mer et les confins du monde, décident de prendre la mer « pour pouvoir, après une longue absence, décrire à leurs populations les ressources et les lieux que l’univers renferme ».

Navigation des moines de Saint Matthieu (selon Godefroy de Viterbe)
De cet endroit s ‘élance la très sainte troupe de ces hommes ; ils veulent voit les merveilles que recèle l’océan
« Tendues au vent puissant, les voiles les portent sur les
Flots.Mais longtemps les voici retenus en haute mer ;
Seule devant eux la face du ciel, seule l’immensité des eaux. »

Cela va durer trois ans, et les provisions finissent par s’épuiser. Soudain, en plein océan, se dresse une apparition : une silhouette de femme qui, le doigt tendu, sans dire mot, leur indique le chemin. On repart donc, confiants ; mais après dix jours, on ne voit toujours rien, ni rivage, ni port. Alors surgit de nouveau la même apparition, faisant le même signe. On hisse les voiles, et c’est au tour de Moïse lui – même d’apparaître à nos « hébreux ».

Et ce qui est encore mieux, on aperçoit enfin une terre.
Alors commencent les merveilles :
« Ce n’était pas une terre, mais une montagne d’or,
Toute une plaine d’or, et de toutes part des étincelles
Lançant des traits de lumière, tout comme des éclairs.
Merveilleux le parfum de la montagne, merveilleux le paysage.
Pourtant en ce lieu pas le moindre animal, et pas un habitant,
Alors que toute la région regorgeait de trésors. »

Intrigués, nos marins se hâtent de mouiller, et descendent en reconnaissance. Ils découvrent la ville toutes portes fermées et passent la nuit dehors. Au petit matin la porte s’ouvre et c’est l’ébahissement :
« Urbs erat aurea splendida fulgida plena decore,
Aurea regia fulget et omnia complet odore. »

La ville resplendissait d’or, pleine d’une étincelante beauté,
Brillant d’un éclat royal et toute remplie de parfum.
Des maisons dorées, mais pas de trace d’habitants. Il y a pourtant une église « revêtue d’or et de pierres précieuses » renfermant une icône de la Vierge. S’enfonçant dans la ville, les moines découvrent deux vénérables vieillards qui se lèvent à leur approche et les saluant en leur demandant qui ils sont et ce qu’ils veulent.

« Nous sommes galiléens d’origine, répondent nos hommes, nous étions disciples du Christ et de saint Matthieu, aux bretons enseignant les saintes vérités de Dieu. »

De leur côté, les questions ne tardèrent pas à fuser : Qui êtes vous ? Que faîtes vous ici ? Partagez vous notre foi ? Qui commande ici ?

Ils seront rapidement renseignés : Ici, c’est le Paradis.
« Notre roi, c’est Dieu le créateur du ciel et de la terre.
Chérubins et séraphins habitent et gardent la cité,
Et d’angéliques citoyens gardent nos murailles.
Les chœurs des anges mènent nos solennités.
Nos corps d’un aliment céleste sans cesse sont nourris.
Eternelle est notre quiétude, à jamais et sans altération.
Un seul de nos jours mesure cent de vos années ;
C’est un siècle, en effet, que dure une de nos journées. »

Enoch et Elie, les deux vieillards, invitent tout le monde à communier, après quoi les voyageurs sont restaurés d’une nourriture angélique. Mais il est déjà temps de repartir, et c’est alors qu’Elie les avertit de ce qui les attend :

« Ici, je vous vois jeunes, mais là–bas des vieillards ».

C’est que trois jours en Paradis correspondent à trois siècles, et nos aventuriers ne s’en rendront vraiment compte que le jour ou ils retrouvent les rivages de Saint Matthieu :

« Ce n’était plus le monastère que jadis ils habitaient,
Plus l’abbé, et plus les moines d’autrefois ;
Ni la ville, ni les gens, ni les murailles jadis connues.
Nouveau était l’abbé, nouveau le peuple des fidèles,
Nouvelle la loi du pays, nouveau le roi avec ses princes.
Ils ne connaissaient ni les lieux, ni les gens, ni la langue.
Eux mêmes qui hier encore avaient l’éclat de la jeunesse,
Vieillis en un matin, ils ont la peau ridée, le cheveu blanc,
Et se voient maintenant décrépits, vils et misérables. »

C’est à peine si les moines de céans les accueillent et s’ils prêtent foi à leurs affabulations.

« Trois ans donc ils ont pérégriné, portés sur l’Océan
Ici les moines sur leurs grimoires en ont compté trois cents.
C’est bien ce que démontre la page de ce livre ci ;
Car tout cela a bien été écrit au monastère de Saint Matthieu,
Comme l’y ont raconté les moines galiléens.
Qui ne veut pas me croire, qu’il les croit, eux du moins. »

Commentaires

La relation de cette « gwerz » de Saint Matthieu par Godefroy de Viterbe atteste l’existence et la renommée de Saint Matthieu au XII° siècle. Curieusement, il appelle à plusieurs reprises les moines « galiléens ». Il semble donc insinuer qu’il s’agit de disciples de l’apôtre, venus avec ce dernier, en Bretagne, apporter l’évangile aux bretons, auquel cas, son récit se situerait aux origines de christianisme.
Mais il ne faut pas attendre de Godefroy qu’il fasse preuve de discernement critique ; ce n’est pas son fort, tout le monde en convient. Il serait pourtant agréable de savoir comment la renommée du monastère et l’existence de cette gwerz ont pu arriver à ses oreilles, à lui qui n’est vraisemblablement jamais venu en Bretagne.

On peut raisonnablement penser que c’est au cours d’une croisade que cela s’est passé. En effet, Frédéric Barberousse a pris part à la 3° croisade (1189 – 1192) ; Il y a même trouvé la mort en 1190. Or nous savons que le « Panthéon » de Godefroy a été achevé la même année.

A cette croisade, à partir du 1° septembre 1189, les arrivées de flottes occidentales se multiplient : 500 navires portant 10 000 hommes, Danois, Frisons, Flamands, Bretons, etc. … A la mi-septembre arrivent des contingents français. Le 24 ce sont des Italiens et des Allemand qui débarquent. Et tout ce monde se rend au siège de Saint Jean d’Acre qui a débuté trois mois auparavant et durera encore dix autres mois. Les journées des chevaliers éparpillés dans la plaine devaient être bien longues et propices à se distraire. Tout le monde devait y aller qui de sa chanson, qui de son histoire, qui de sa légende. Les bretons avaient aussi leurs gwerz, chants empreints de merveilleux et de mysticisme et il ne serait pas surprenant que celle ci arriva aux oreilles de Godefroy.


Extrait de « breton.coatmeal.free.fr »

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