Le règne de l’ombre
"Il n'y avait pas de trêve ni de lieu sûr où se reposer ;
personne n'osait somnoler ni même baisser les bras : C'était un monde de bataille et d'embûche. "
personne n'osait somnoler ni même baisser les bras : C'était un monde de bataille et d'embûche. "
Tous ceux qui se trouvaient là ne vivaient que pour eux-mêmes ; tous guerroyaient contre tous, avec cependant une haine commune tournée contre le penseur qui oserait chercher quelque bonté plus noble ; la Vérité était bannie de peur qu'elle n'ose parler et tourmenter de sa lumière le cœur de l'Ombre, ou qu'elle utilise sa fière connaissance pour blasphémer contre l'anarchie inébranlable des choses établies."
(Savitri, II-7)
Assumant des noms divins, ils guident et ils gouvernent. Adversaires du Suprême ils sont venus de leur monde de pensée et de pouvoir sans âme, afin de servir le plan cosmique, dans le rôle de l'Ennemi.
La Nuit est leur refuge et leur base stratégique. A l'encontre de l'Epée de Feu, de l'Œil lumineux, ils vivent retranchés en de massives forteresses de l'Ombre, tranquilles et en sécurité dans leur retraite sans soleil : aucun rayon égaré du Ciel ne peut pénétrer là. Armés, protégés de leur masque de Gorgone, ainsi qu'en un studio de la Mort créatrice, les Fils géants de l'Ombre se réunissent et orchestrent le drame de la Terre, leur scène favorite.
Là, un mensonge était la vérité et la vérité un mensonge.
Là, le voyageur du Chemin de l'Ascension — car les royaumes hardis de l'Enfer jalonnent la route céleste — doit faire une pause et passer avec précaution à travers cet espace périlleux, avec sur ses lèvres une prière et le Nom suprême. S'il omet de sonder ces lieux avec la lance tranchante du discernement il risque fort de trébucher dans le filet omniprésent de la fausseté. Il doit constamment regarder par-dessus son épaule comme s'il percevait le souffle de l'ennemi sur son cou ; sans quoi, surpris par derrière d'un coup furtif et perfide, il peut se retrouver terrassé et cloué sur un sol maudit, transpercé dans le dos par l'épieu acéré du Mal.
C'est ainsi que chacun peut succomber sur la route de l'Eternel, renonçant à cette chance unique de l'Esprit dans le Temps et aucune nouvelle de lui n'atteindra plus les dieux qui attendent, il sera porté manquant sur le registre des âmes, son nom ne sera plus que l'index d'un espoir qui aurait échoué, indicateur de la position d'une étoile consumée. Seuls étaient saufs ceux qui étaient capables de garder Dieu dans leur cœur : avec le courage pour armure, la foi pour épée, ils doivent marcher, la main prête à frapper, les yeux en alerte, jetant devant eux un regard semblable à un javelot, héros et soldats de l'armée de Lumière.
Ainsi un équilibre était maintenu et le monde arrivait à vivre.
Une ferveur zélote motivait leurs cultes brutaux, toute foi exceptée la leur devait verser le sang, bannie en tant qu'hérésie ; ils questionnaient, emprisonnaient, torturaient, brûlaient ou fouettaient, forçant ainsi l'âme à abandonner ses droits ou mourir.
Parmi ses credo contradictoires et ses sectes antagonistes, la Religion siégeait sur son trône souillé de sang.
Mille tyrannies oppressaient et massacraient, fondant leur unité sur la fraude et la force. L'apparence seule était appréciée en tant que réalité : l'idéal était la proie d'un ridicule cynique ; répudiée par la masse, moquée par des comiques doués, la recherche spirituelle errait rejetée par la société, comme la toile d'araignée des pensées démentes d'un rêveur, ou considérée comme une chimère ou une prétention hypocrite ; son instinct passionné devait s'accommoder de « mentals » obscurcis, égarés dans les circuits de l'Ignorance.
Dans les alcôves du péché et les repaires nocturnes du vice, les infamies raffinées de la concupiscence des corps et les imaginations sordides manifestées dans la chair, tournaient la luxure en art décoratif : abusant des générosités de la Nature, sa maîtrise perverse immortalisait la graine semée de la mort vivante, versait le vin bachique dans un gobelet de glaise, offrait au satyre la tiare d'un dieu.
Impurs, sadiques, affublés de gueules grimaçantes, des personnages inventés, blafards, obscènes, abominables et macabres étaient télévisés en direct des cavernes de l'Ombre.
Avec son artisanat particulièrement ingénieux en matière de monstruosité, impatiente quand il s'agit de formes et d'équilibres naturels, ses orgies de nudité à outrance conféraient à ces caricatures une solide réalité, et des parades artistiques d'images bizarres et déformées, et des spectacles de gargouilles aux masques obscènes et terrifiants s'acharnaient sur les sens déchirés jusqu'à leur faire prendre des postures tourmentées.
Adoratrice d'un mal inexorable, elle idéalisait la bassesse et sublimait la crasse ; un puissant dragon d'énergies reptiliennes et d'étranges épiphanies d'une Force abjecte et des grandeurs serpentines vautrées dans la fange engendraient l'adoration d'un reflet de bave. La Nature entière arrachée à son cadre et à sa fondation se contorsionnait dans des poses anormales : la répulsion engendrait un désir tamasique ; l'agonie se faisait nourriture fortement épicée pour la félicité, la haine était en charge des activités de la luxure et la torture prenait la forme d'une accolade ; une angoisse rituelle consacrait la mort ; l'Anti-divin était l'objet d'un culte.
Une esthétique nouvelle de l'art des Enfers qui apprenait au mental à aimer ce qui est odieux à l'âme, imposait leur allégeance aux nerfs tremblants et forçait à vibrer un corps récalcitrant.
Trop douce et trop harmonieuse pour provoquer l'excitation sous ce régime qui souillait le noyau de l'être, la beauté était bannie, les sentiments du cœur étaient anesthésiés et en leur place étaient chéris les frissons du sensationnel ; le monde était sondé pour ses projections de séduction sensuelle. Là était juge un intellect froid et matérialiste qui avait besoin de la piqûre des sens et de se faire secouer et de coups de fouets, pour que son austérité endurcie et ses nerfs puissent ressentir quelque passion, quelque pouvoir, quelque acerbe qualité de vie. Une philosophie nouvelle théorisait sur les droits du mal, glorifié dans l'illustre pourriture de la décadence, ou bien dotait d'un discours persuasif une Force de python et armait de connaissance la brute primaire.
Le Mental transformé à l'image d'une bête rampante, n'accordait son attention malsaine qu'au vital et à la Matière ; il se démenait dans une fosse, creusant à la recherche de la vérité, s'éclairant dans sa quête à l'aide des torches du subconscient. Alors s'élevaient en bulles polluant l'atmosphère supérieure, l'ordure et les secrets puants des Abîmes : c'est cela qu'il dénommait fait positif et vie réaliste. C'est cela qui maintenant composait l'atmosphère fétide.
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Ouvrage capital et ultime de Sri Aurobindo, le grand philosophe et penseur de l'Inde moderne, Savitri est une extraordinaire épopée mystique qui narre dans le détail l'histoire des univers et la transformation supramentale en cours de l’humanité.
http://savitri.x-air.in/Livre%20II/Livre%20II%20chant%207.pdf
(Savitri, II-7)
Assumant des noms divins, ils guident et ils gouvernent. Adversaires du Suprême ils sont venus de leur monde de pensée et de pouvoir sans âme, afin de servir le plan cosmique, dans le rôle de l'Ennemi.
La Nuit est leur refuge et leur base stratégique. A l'encontre de l'Epée de Feu, de l'Œil lumineux, ils vivent retranchés en de massives forteresses de l'Ombre, tranquilles et en sécurité dans leur retraite sans soleil : aucun rayon égaré du Ciel ne peut pénétrer là. Armés, protégés de leur masque de Gorgone, ainsi qu'en un studio de la Mort créatrice, les Fils géants de l'Ombre se réunissent et orchestrent le drame de la Terre, leur scène favorite.
Là, un mensonge était la vérité et la vérité un mensonge.
Là, le voyageur du Chemin de l'Ascension — car les royaumes hardis de l'Enfer jalonnent la route céleste — doit faire une pause et passer avec précaution à travers cet espace périlleux, avec sur ses lèvres une prière et le Nom suprême. S'il omet de sonder ces lieux avec la lance tranchante du discernement il risque fort de trébucher dans le filet omniprésent de la fausseté. Il doit constamment regarder par-dessus son épaule comme s'il percevait le souffle de l'ennemi sur son cou ; sans quoi, surpris par derrière d'un coup furtif et perfide, il peut se retrouver terrassé et cloué sur un sol maudit, transpercé dans le dos par l'épieu acéré du Mal.
C'est ainsi que chacun peut succomber sur la route de l'Eternel, renonçant à cette chance unique de l'Esprit dans le Temps et aucune nouvelle de lui n'atteindra plus les dieux qui attendent, il sera porté manquant sur le registre des âmes, son nom ne sera plus que l'index d'un espoir qui aurait échoué, indicateur de la position d'une étoile consumée. Seuls étaient saufs ceux qui étaient capables de garder Dieu dans leur cœur : avec le courage pour armure, la foi pour épée, ils doivent marcher, la main prête à frapper, les yeux en alerte, jetant devant eux un regard semblable à un javelot, héros et soldats de l'armée de Lumière.
Ainsi un équilibre était maintenu et le monde arrivait à vivre.
Une ferveur zélote motivait leurs cultes brutaux, toute foi exceptée la leur devait verser le sang, bannie en tant qu'hérésie ; ils questionnaient, emprisonnaient, torturaient, brûlaient ou fouettaient, forçant ainsi l'âme à abandonner ses droits ou mourir.
Parmi ses credo contradictoires et ses sectes antagonistes, la Religion siégeait sur son trône souillé de sang.
Mille tyrannies oppressaient et massacraient, fondant leur unité sur la fraude et la force. L'apparence seule était appréciée en tant que réalité : l'idéal était la proie d'un ridicule cynique ; répudiée par la masse, moquée par des comiques doués, la recherche spirituelle errait rejetée par la société, comme la toile d'araignée des pensées démentes d'un rêveur, ou considérée comme une chimère ou une prétention hypocrite ; son instinct passionné devait s'accommoder de « mentals » obscurcis, égarés dans les circuits de l'Ignorance.
Dans les alcôves du péché et les repaires nocturnes du vice, les infamies raffinées de la concupiscence des corps et les imaginations sordides manifestées dans la chair, tournaient la luxure en art décoratif : abusant des générosités de la Nature, sa maîtrise perverse immortalisait la graine semée de la mort vivante, versait le vin bachique dans un gobelet de glaise, offrait au satyre la tiare d'un dieu.
Impurs, sadiques, affublés de gueules grimaçantes, des personnages inventés, blafards, obscènes, abominables et macabres étaient télévisés en direct des cavernes de l'Ombre.
Avec son artisanat particulièrement ingénieux en matière de monstruosité, impatiente quand il s'agit de formes et d'équilibres naturels, ses orgies de nudité à outrance conféraient à ces caricatures une solide réalité, et des parades artistiques d'images bizarres et déformées, et des spectacles de gargouilles aux masques obscènes et terrifiants s'acharnaient sur les sens déchirés jusqu'à leur faire prendre des postures tourmentées.
Adoratrice d'un mal inexorable, elle idéalisait la bassesse et sublimait la crasse ; un puissant dragon d'énergies reptiliennes et d'étranges épiphanies d'une Force abjecte et des grandeurs serpentines vautrées dans la fange engendraient l'adoration d'un reflet de bave. La Nature entière arrachée à son cadre et à sa fondation se contorsionnait dans des poses anormales : la répulsion engendrait un désir tamasique ; l'agonie se faisait nourriture fortement épicée pour la félicité, la haine était en charge des activités de la luxure et la torture prenait la forme d'une accolade ; une angoisse rituelle consacrait la mort ; l'Anti-divin était l'objet d'un culte.
Une esthétique nouvelle de l'art des Enfers qui apprenait au mental à aimer ce qui est odieux à l'âme, imposait leur allégeance aux nerfs tremblants et forçait à vibrer un corps récalcitrant.
Trop douce et trop harmonieuse pour provoquer l'excitation sous ce régime qui souillait le noyau de l'être, la beauté était bannie, les sentiments du cœur étaient anesthésiés et en leur place étaient chéris les frissons du sensationnel ; le monde était sondé pour ses projections de séduction sensuelle. Là était juge un intellect froid et matérialiste qui avait besoin de la piqûre des sens et de se faire secouer et de coups de fouets, pour que son austérité endurcie et ses nerfs puissent ressentir quelque passion, quelque pouvoir, quelque acerbe qualité de vie. Une philosophie nouvelle théorisait sur les droits du mal, glorifié dans l'illustre pourriture de la décadence, ou bien dotait d'un discours persuasif une Force de python et armait de connaissance la brute primaire.
Le Mental transformé à l'image d'une bête rampante, n'accordait son attention malsaine qu'au vital et à la Matière ; il se démenait dans une fosse, creusant à la recherche de la vérité, s'éclairant dans sa quête à l'aide des torches du subconscient. Alors s'élevaient en bulles polluant l'atmosphère supérieure, l'ordure et les secrets puants des Abîmes : c'est cela qu'il dénommait fait positif et vie réaliste. C'est cela qui maintenant composait l'atmosphère fétide.
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Ouvrage capital et ultime de Sri Aurobindo, le grand philosophe et penseur de l'Inde moderne, Savitri est une extraordinaire épopée mystique qui narre dans le détail l'histoire des univers et la transformation supramentale en cours de l’humanité.
http://savitri.x-air.in/Livre%20II/Livre%20II%20chant%207.pdf
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