mercredi 22 avril 2009

Morceaux choisis - Leconte de Lisle

Leconte de Lisle



In excelsis

 
Mieux que l’aigle chasseur, familier de la nue,
Homme ! monte par bonds dans l’air resplendissant
La vieille terre, en bas, se tait et diminue.
 
Monte. Le clair abîme ouvre à ton vol puissant
Les houles de l’azur que le soleil flagelle.
Dans la brume, le globe, en bas, va s’enfonçant.
 
Monte. La flamme tremble et pâlit, le ciel gèle,
Un crépuscule morne étreint l’immensité.
Monte, monte et perds-toi dans la nuit éternelle :
 
Un gouffre calme, noir, informe, illimité,
L’évanouissement total de la matière
Avec l’inénarrable et pleine cécité.
 
Esprit ! monte à ton tour vers l’unique lumière,
Laisse mourir en bas tous les anciens flambeaux,
Monte où la Source en feu brûle et jaillit entière.
 
De rêve en rêve, va ! des meilleurs aux plus beaux.
Pour gravir les degrés de l’Échelle infinie,
Foule les dieux couchés dans leurs sacrés tombeaux.
 
L’intelligible cesse, et voici l’agonie,
Le mépris de soi-même, et l’ombre, et le remord,
Et le renoncement furieux du génie.
Lumière, où donc es-tu ? Peut-être dans la mort.
 
 

Requies

 
Comme un morne exilé, loin de ceux que j’aimais,
Je m’éloigne à pas lents des beaux jours de ma vie,
Du pays enchanté qu’on ne revoit jamais.
Sur la haute colline où la route dévie
Je m’arrête, et vois fuir à l’horizon dormant
Ma dernière espérance, et pleure amèrement.
 
Ô malheureux ! crois-en ta muette détresse :
Rien ne refleurira, ton cœur ni ta jeunesse,
Au souvenir cruel de tes félicités.
Tourne plutôt les yeux vers l’angoisse nouvelle,
Et laisse retomber dans leur nuit éternelle
L’amour et le bonheur que tu n’as point goûtés.
 
Le temps n’a pas tenu ses promesses divines.
Tes yeux ne verront point reverdir tes ruines ;
Livre leur cendre morte au souffle de l’oubli.
Endors-toi sans tarder en ton repos suprême,
Et souviens-toi, vivant dans l’ombre enseveli,
Qu’il n’est plus dans ce inonde un seul être qui t’aime.
 
La vie est ainsi faite, il nous la faut subir.
Le faible souffre et pleure, et l’insensé s’irrite ;
Mais le plus sage en rit, sachant qu’il doit mourir.
Rentre au tombeau muet où l’homme enfin s’abrite,
Et là, sans nul souci de la terre et du ciel,
Repose, ô malheureux, pour le temps éternel !
 

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