Où situer l’Atlantide décrite par Platon ?
Dans l’océan Atlantique, en mer Egée, chez les Hyperboréens, comme certains le supposent, et pourquoi par chercher, à la lueur des dernières découvertes, l’hypothèse qui semblerait la plus plausible.
Si du moins il y en a une !
Le Timée et le Critias, deux dialogues de Platon, constituent la source principale dont nous disposons à propos de l’Atlantide. L’auteur y fait état d’une tradition rapportée d’Egypte par Solon, qui en avait pris connaissance auprès des prêtres de Saïs. Neuf mille ans plus tôt, les ancêtres des Athéniens auraient repoussé une invasion venue de l’ouest, depuis un continent étendu " devant les colonnes d’Hercule". - Là se trouvait un empire grand et merveilleux qui tenait la Lybie ( nom désignant l’ensemble de l’Afrique ) jusqu’à l’Egypte et l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie ( l’Etrurie ). Mais dans le temps qui suivit, il eut des tremblements de terre et des cataclysmes ; dans l’espace d’un seul jour et d’une nuit terribles, l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut. -
Fournis par le Timée, ces renseignements sont développés dans le Critias, qui nous apprend que l’île de l’Atlantide aurait été organisée à l’origine par Poséidon, qui en avait confié la royauté à Atlas, dont le nom fut donné à cette terre. Ce pays disposait de tous les métaux que l’on peut extraire des mines. L’orichalque était, après l’or, le plus précieux d’entre eux, mais il fallait ajouter à cela le cheptel et le gibier abondants, l’agriculture et l’arboriculture qui assuraient de belles récoltes de céréales et de fruits et les forêts nombreuses qui assuraient les matériaux nécessaires au travail des charpentiers. Bénéficiaires de toutes ces richesses, les habitants avaient construit des ports, des temples et des palais. Une force militaire importante comptabilisant douce cents navires et dix mille chars était à la mesure de cette prospérité. Hélas, le Critias, demeuré inachevé, ne rapporte pas le récit de la destruction de l’Empire atlante.
Les érudits ont recherché ultérieurement s’il n’existait pas, dans la tradition grecque, des précédents au récit de Platon : le nom d’Atlas apparaît chez Homère, et certains ont cru voir dans Ogyvie, l’île où régnait Calypso, des restes du continent évoqué par Platon. En revanche, aucune source égyptienne actuellement connue ne vient confirmer les renseignements fournis par les deux dialogues. Au cours de l’Antiquité, Aristote, Ptolémée et Pline l’ancien se refusent à prendre au sérieux l’existence de l’Atlantide. Seul le géographe Posidonius semble moins sceptique et les héritiers de la tradition platonicienne acceptent le récit de leur maître mais n’apportent aucun élément supplémentaire pour mieux étayer cette allégation. Quant au Moyen Age, il ignorera le problème et il faudra attendre la Renaissance et l’explosion intellectuelle, qui l’accompagne, pour que la question soit de nouveau posée.
C’est au XVIe siècle que l’Espagnol Gomara identifie, dans son Histoire générale des Indes, l’Atlantide à l’Amérique récemment découverte. Les localisations les plus diverses sont désormais proposées à partir du siècle suivant. En 1665, le père Athanase Kircher place l’Atlantide au milieu de l’Océan, les Canaries et les Açores constituant selon lui les vestiges du continent englouti. Le Suédois Rudbeck l’identifie à son propre pays, et le théologien protestant Baër la place en Palestine dans son Essai historique et critique sur l’Atlantide des Anciens paru en 1762. Le siècle des Lumières verra également fleurir de nombreuses autres interprétations.
Quelques années plus tard l’Allemand Knötel voulut voir dans les Atlantes des grands initiés, des sages venus apporter à l’humanité les trésors de la connaissance. L’hypothèse saharienne inspira, en 1918, à Pierre Benoit un roman célèbre, en même temps qu’elle encouragea les fructueuses expéditions réalisées par Henri Lhote dans le Tassili. Nous sommes alors face à plusieurs hypothèses : - celle de l’Atlantique défendue par Donnelly jugée comme la plus acceptable, d’autant que les premières recherches océanographiques localisent des hauts-fonds dans la région des Açores, où l’on découvre la chaîne des montagnes volcaniques qui sépare en deux l’Océan et correspond à ce que nous désignons aujourd’hui sous le nom de rift atlantique. Aussi Donelly n’hésite-t-il pas à considérer la culture atlante comme la matrice originelle de toutes les civilisation - la thèse du suédois Rufbeck, confirmée par l’Allemand Hermann Wirth, qui l’identifie à l’ancienne Thulé, source hyperboréenne supposée de toutes les grandes cultures de l’Antiquité -enfin celle plaçant l’Atlantide dans la mer Egée, où la catastrophe évoquée par Platon correspondrait à l’explosion du volcan de Santorin, phénomène dont les géologues nous disent qu’il s’est produit au XVe siècle av. J.C. et dans lequel les archéologues ont cru identifier le gigantesque raz de marée fatal à la civilisation minoenne de Crète.
L’hypothèse égéenne repose sur un fait géologique incontestable : la formidable explosion du volcan de Santorin alors île de Théra fréquentée depuis la préhistoire en raison de la richesse de son sol. Le raz de marée, qui suivit l’événement, ravagea les rives de la mer Egée, entraînant la ruine instantanée d’Amnisos, le port de Cnossos, la principale métropole de la grande île crétoise.
Mais une telle interprétation se heurte immédiatement à l’argument chronologique : la civilisation minoenne apparaît et se développe mille ans avant Platon, et nous sommes loin des neuf mille ans rapportés par celui-ci. Nous savons, par ailleurs, que la Crète minoenne a connu un déclin brutal à partir du XVe siècle avant notre ère, sans pouvoir expliquer ce déclin par l’arrivée d’envahisseurs. Et peut-on assimiler les Crétois aux Atlantes ? Rien n’est moins sûr, car il est difficile de prêter aux Minoens - peuples de marins, de pêcheurs et de commerçants - les intentions belliqueuses des Atlantes de la légende, à moins que l’on interprète, en ce sens, la légende du Minotaure. Pourtant, la géographie semble infirmer l’hypothèse égéenne, puisqu’il est clairement question d’une île située devant les colonnes d’Hercule. Il faudrait donc chercher l’Atlantide au-delà du détroit de Gibraltar, étant donné que les envahisseurs, venus assaillir Athènes, seraient originaires de la mer Atlantique. On peut ainsi imaginer que les Atlantes de Platon puissent être identifiés aux Peuples de la mer et du nord que les textes égyptiens désignent comme le pays de l’obscurité, ce qui confirmerait la thèse nordique. Les témoignages archéologiques apportent des confirmations non moins intéressantes : les envahisseurs du XIIe siècle av. J. C. ont laissé sur leur passage des épées à soie plate et à rivets caractéristiques du Nord protogermanique. La forme des navires figurés sur les parois du temple de Médinet-Habou est identique à celle des embarcations observables sur les gravures rupestres scandinaves de l’âge de bronze. Une autre donnée doit également nous éclairer : l’orichalque, ce précieux métal mentionné dans le Critias, serait l’ambre, résine fossile recherchée dans toute l’Europe ancienne, mais ne se trouvant que sur les rivages des mers septentrionales. La thèse comprend néanmoins des points faibles. Platon signale la présence d’éléphants dans l’île mythique : or, il est bien peu probable que ces animaux aient pu se trouver dans le nord de l’Europe plusieurs millénaires après la fin de la dernière glaciation et ils n’ont, en tous cas, laissé aucune trace archéologique.
Quelle qu’ait pu être la réalité de l’île décrite dans le Timée et le Critias, le continent englouti n’a pas fini d’exciter notre imaginaire. S’il demeure une part de vérité dans le mythe platonicien, c’est peut-être celle relative aux raisons qui conduisirent ce puissant empire à la ruine. L’auteur grec nous explique, en effet, que l’oubli des lois issues de la tradition, les ferments de la division furent fatals aux Atlantes car "quand l’élément divin diminua en eux, ils méritèrent le châtiment de Zeus". Comment on écrit l’Histoire...
(Sources : Philippe Parroy)
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